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était nouveau, extraordinaire; mais on l'attribuait à des causes plus étranges les unes que les autres, tout en soutenant, bien entendu, que le talent équestre du cavalier n'était pour rien dans l'habileté du cheval. Suivant les uns, j'étais un nouveau Carter, habituant mes chevaux à l'obéissance en les privant de sommeil ou de nourriture; selon d'autres, je leur liais les jambes avec des cordes et les tenais ainsi suspendus pour les préparer à une espèce de jeu de marionnettes ; quelques-uns n'étaient pas éloignés de croire que je les fascinais par la puissance du regard. Enfin, une certaine portion du public, voyant ces animaux travailler en cadence au son de la charmante musique de l'un de mes amis, M. Paul Cuzent, soutenait sérieusement qu'ils possédaient sans doute, à un très-haut degré, l'instinct de la mélodie, et qu'ils s'arrêteraient court avec les clarinettes et les trombones. Ainsi, le son de la musique était plus puissant sur mon cheval que je ne l'étais moi-même! L'animal obéissait à un ut ou à un sol bien détaché; mais mes jambes et mes mains étaient absolument nulles dans leurs effets. Croirait-on que de pareils nonsens étaient débités par des gens qui passaient pour cavaliers? Je conçois que l'on n'ait pas compris d'abord mes moyens, puisque ma méthode était nouvelle; mais avant de la juger d'une manière aussi étrange, on aurait dû, ce me semble, chercher au moins à la connaître.

J'avais trouvé le cercle de l'équitation trop restreint, puisqu'il suffisait de bien exécuter un mouvement pour pratiquer immédiatement les autres avec la même facilité. Ainsi, il m'était prouvé que le cavalier qui parcourait avec précision une ligne droite de deux pistes au pas, au trot, au galop, pouvait marcher de même la tête ou la croupe au mur, l'épaule en dedans, exécuter les voltes ordinaires ou renversées, les changements et les contre-changements de mains, etc., etc. Quant aú piaffer, c'était, comme je l'ai dit, la nature seule qui en décidait. Ce long et fastidieux travail n'avait d'autres variantes que les titres divers des mouvements, puisqu'il suffisait d'une seule difficulté vaincue pour surmonter toutes les autres. J'ai donc créé des airs de manége nouveaux dont l'exécution nécessite plus de souplesse, plus d'ensemble, plus de fini dans l'éducation du cheval. Cela m'était facile avec mon système; et pour convaincre mes adversaires qu'il n'y a dans mon travail au Cirque ni magie ni mystère, je vais expliquer par quels procédés purement équestres, et même sans avoir recours aux piliers, caveçons ou cravaches, j'ai amené mes chevaux, à exécuter les seize airs de manége qui semblent si extraordinaires.

1o Flexion instantanée et maintien en l'air de l'une ou l'autre extrémité antérieure, tandis que les rois autres restent fixées sur le sol.

Le moyen de faire lever au cheval l'une de ses deux jambes de devant est bien simple, dès que l'animal est parfaitement souple et rassemblé. Il suffit pour faire lever, par exemple, d'incliner légèrement la tête à droite, tout en faisant refluer le poids du corps sur la partie gauche. Les deux jambes du cavalier seront soutenues avec énergie (la gauche un peu plus que la droite), afin que l'effet de la main qui amène la tête à droite ne réagisse pas sur le poids, et que les forces qui servent à fixer la partie surchargée donnent à la jambe droite du cheval assez d'action pour la faire soulever de terre. En répétant quelquefois cet exercice, on arrivera à main-tenir cette jambe en l'air aussi longtemps qu'on le voudra.

2° Mobilité des hanches, le cheval s'appuyant sur les jambes de devant, pendant que celles de derrière se balancent alternativement l'une sur l'autre, la jambe postérieure qui est en l'air exécutant son mouvement de gauche à droite sans toucher la terre pour devenir pivot à son tour, sans que l'autre se soulève et exécute ensuite le même mouvement.

La mobilité simple des hanches est un des exercices que j'ai indiqués pour l'éducation élémentaire du cheval. On compliquera ce travail en multipliant le contact alternatif des jambes, jusqu'à ce qu'on arrive à porter facilement la croupe

du cheval d'une jambe sur l'autre, de manière à ce que le mouvement de droite à gauche et de gauche à droite ne puisse excéder un pas. Ce travail est propre à donner au cavalier une grande finesse de tact, et prépare le cheval à répondre aux plus légers effets.

3o Passage instantané de piaffer lent au piaffer précipité, et vice versâ.

Après avoir amené un cheval à déployer une grande mobilité des quatre jambes, on doit en régler le mouvement. C'est par la pression lente et alternée de ses jambes que le cavalier obtiendra le piaffer lent; il le précipitera en multipliant le contact. On peut obtenir ces deux piaffers sur tous les chevaux; mais comme ceci rentre dans les grandes difficultés, un tact parfait est indispensable.

4° Reculer avec une élévation égale des jambes transversales qui s'éloignent et se posent en même temps sur le sol, le cheval exécutant le mouvement avec autant de franchise et de facilité que s'il avançait et sans concours apparent du cavalier.

Le reculer n'est pas nouveau, mais il l'est certainement dans les conditions que je viens de poser. Ce n'est qu'à l'aide d'un assouplissement et d'un ramener complet qu'on arrive à suspendre tellement le corps du cheval, que la répartition du poids est parfaitement régulière et que les extrẻmités acquièrent une énergie et une activité éga

les. Ce mouvement devient alors aussi facile et aussi gracieux qu'il est pénible et dépourvu d'élégance lorsqu'on le transforme en acculement.

5o Mobilité simultanée et en place des deux jambes par la diagonale; le cheval, après avoir levé les deux jambes opposées, les porte en arrière pour les ramener ensuite à la place qu'elles occupaient et recommencer le même mouvement avec l'autre diagonale.

L'assouplissement et la mise en main rendent ce mouvement facile. Lorsque le cheval ne présente plus aucune résistance, il apprécie les plus légers effets du cavalier, destinés, dans ce cas, à ne déplacer que le moins possible de forces et de poids pour arriver à mobiliser les deux extrémités opposées. En réitérant cet exercice, on le rendra en peu de temps familier au cheval. Le fini du mécanisme donnera bientôt le fini de l'intelligence.

6o Trot à extension soutenue; le cheval, après avoir levé les jambes, les porte avant en les soutenant un instant avant de les poser sur le sol.

Les procédés qui font la base de ma méthode se reproduisent dans chaque mouvement simple et à plus forte raison dans les mouvements compliqués. Si l'équilibre ne s'obtient que par la légèreté, en revanche il n'est pas de légèreté sans équilibre: c'est par la réunion de ces deux conditions que le cheval acquerra la facilité d'étendre son trot

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