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Nous avons, par le travail de l'assouplissement, annulé complétement les forces instinctives du cheval. Nous devons nous exercer maintenant à réunir ces forces dans leur véritable centre de gravité, c'est-à-dire au milieu du corps de l'animal; c'est par l'opposition bien combinée des jambes et des mains que nous y parviendrons. Les avantages que nous possédons déjà sur le cheval nous mettront à même de combattre à leur naissance toutes les résistances qui tendraient à le faire sortir de la position droite, indispensable pour pratiquer avec fruit ces oppositions. Il est aussi de première nécessité de mettre dans nos procédés du tact et de la gradation, de telle sorte, par exemple, que les jambes n'impriment jamais une impulsion que la main ne serait pas à même de saisir et de dominer au même in¬ stant. Je vais rendre ce principe plus clair par une courte explication.

Je suppose un cheval au pas, avec un emploi de force de 20 kilogrammes, nécessaire pour conserver l'allure régulière au moment des oppositions de mains et de jambes qui vont suivre. Bientôt arrive une pression lente et graduée des jambes qui ajoute 5 kilogrammes à l'impulsion de l'allure. Comme le cheval est supposé parfaitement dans la main, cette main sentira aussitôt ce passage de forces, et c'est alors qu'elle devra s'en emparer pour les fixer au centre. Les jambes, pendant ce temps, conserveront leur pression, afin que ces forces ainsi refou

lées ne retournent pas au foyer d'où elles sortent; ce qui ne serait plus alors qu'un flux et un reflux inutiles des forces. Cette succession d'oppositions bien combinées réunira bientôt une assez grande somme de forces au milieu du corps du cheval, et plus on l'augmentera, plus l'animal perdra de son énergie instinctive. Bientôt, lorsque la pression des jambes sera devenue insuffisante pour obtenir l'entière réunion des forces, le moment sera venu d'avoir recours à un moyen plus énergique, c'està-dire aux attaques.

Les attaques doivent se pratiquer, non pas par à-coups et avec de grands mouvements de jambes, mais avec délicatesse et ménagement. Le cavalier devra rapprocher les jambes de manière à ce que l'éperon, avant de se mettre en contact avec les flancs du cheval, n'en soit éloigné que d'une ligne, s'il est possible. Les légères attaques par lesquelles on débutera devront toujours avoir la main pour écho; cette main sera donc énergiquement soutenue, afin de présenter une opposition égale à la force communiquée par l'éperon. Si, par un temps mal saisi, la main n'interceptait pas bien l'impulsion donnée et la commotion générale qui en résulte, on devrait, avant de recommencer, rétablir l'ensemble dans les forces du cheval, et le calme dans ses mouvements. On augmentera progressivement la force des attaques jusqu'à ce que le cheval les supporte aussi vigoureuses que possible, sans présenter la moindre résistance à la main, sans aug

menter la vitesse de l'allure, ou sans se déplacer, si on travaille de pied ferme.

Le cheval amené à supporter ainsi les attaques sera aux trois quarts dressé, puisqu'on aura la libre disposition de toutes ses forces. En outre, le centre de gravité étant là où se réunissent les forces, nous l'avons amené à sa véritable place, c'est-à-dire au milieu du corps. Toutes les oscillations de l'animal nous seront donc subordonnées, et nous pourrons imprimer aisément au poids les translations nécessaires.

Il est facile de comprendre maintenant le point de départ des défenses: soit que le cheval rue, se cabre ou s'emporte, la mauvaise place occupée par le centre de gravité en est toujours la cause. Cette cause elle-même tient à une construction défectueuse qu'on ne peut changer, il est vrai, mais dont on peut toujours modifier les effets. Si le cheval rue, le centre de gravité est sur les épaules; il est sur la croupe lorsque l'animal se cabre, et trop en avant du milieu du corps, lorsqu'il s'emporte. L'unique préoccupation du cavalier doit donc être de conserver toujours au milieu du corps du cheval le centre de gravité, puisqu'il évitera par là les défenses, et qu'il ramènera les forces d'un cheval mal conformé à la véritable place qu'elles occupent dans les belles organisations. C'est ce qui me fait dire qu'un cheval bien construit ne peut pas se livrer à des défenses ni à des mouvements désordonnés, car il lui faudrait des efforts surnaturels pour détruire l'harmonie de

ses ressorts et donner un aussi grand déplacement au centre de gravité. Ainsi, quand je parle de la nécessité de donner au cheval un nouvel équilibre pour prévenir ses défenses et remédier au disgracieux de ses formes, j'entends désigner la combinaison de forces dont je viens de m'occuper, ou, pour mieux dire, la transposition du centre de gravité d'une place à une autre. Toute l'éducation du cheval est dans ce résultat; lorsque l'écuyer réussit à l'obtenir, son talent devient une vérité, puisqu'il transforme la laideur en grâce, et donne l'élégance et la légèreté à des mouvements jusqu'alors lourds et confus (1).

Les emplois de force du cavalier, quand ils sont bien appliqués, ont aussi sur le cheval un effet moral qui accélère les résultats. Si l'impulsion

(1) J'ai prouvé souvent que les chevaux réputés froids ou chevillés dans leurs épaules n'ont pas le défaut qu'on leur suppose, en d'autres termes, qu'il est excessivement rare qu'ils soient paralysés de leurs épaules, de manière à nuire à la régularité et à la vitesse des allures, principalement en ce qui concerne le trot. Les épaules du cheval, si je puis me servir de cette comparaison, ressemblent aux ailes d'un moulin à vent; l'impulsion donnée par la détente des jarrets remplace la force motricé. Il existe, sans doute, quelques vices locaux qui affectent les épaules, mais ce cas est rare; le défaut, s'il y en a un, prend sa source dans l'arrière-main. Pour mon compte, je n'ai jamais rencontré de chevaux qu'on disait avoir les épaules paralysées, sans que je ne les aie rendus très-libres, et cela, après quinze jours seulement de travail d'une demi-heure par jour. Le moyen est, comme tous ceux que j'emploie, de la plus grande simplicité; il consiste à assouplir l'encolure pour obtenir une prompte mise en main; puis ensuite, à l'aide des jambes et de petites attaques successives, on ramènera l'arrière-main près du centre. C'est alors que les jarrets retrouveront une détente qui, projetant la masse en avant, donnera aux épaules une liberté qu'on était loin de leur supposer.

donnée par les jambes trouve dans la main l'énergie et l'à-propos nécessaires pour en régler l'effet, la douleur qu'éprouvera l'animal sera toujours proportionnée à ses résistances, et son instinct lui fera bientôt comprendre comment il pourra diminuer, éviter même cette contrainte, en cédant promptement à ce qu'on lui demande. Il se hâtera donc de s'y soumettre et préviendra même nos désirs. Mais, je le répète, ce n'est qu'à force de tact, de délicatesse et de ménagement, qu'on arrivera à ce point important. Si l'on donne par les jambes une impulsion trop vigoureuse, le cheval dominera bien vite les effets de mains, et reprendra avec sa position naturelle tous les avantages qu'elle donne à ses mauvais instincts pour déjouer les efforts du cavalier. Si, au contraire, la main présente une résistance trop considérable, le cheval forcera bientôt les jambes, et trouvera dans cette position acculée un moyen de se défendre. Ces difficultés, du reste, ne doivent pas trop ef-frayer; elles n'étaient réellement graves que lorsqu'aucun principe rationnel ne donnait les moyens de lés surmonter. L'application bien entendue de ma méthode mettra le commun des hommes de cheval à même d'obtenir ces résultats, qui n'appartenaient autrefois qu'aux organisations équestres les plus favorisées.

Lorsque l'animal sera bien habitué à de semblables oppositions par les attaques, il deviendra facile de combattre avec l'éperon toutes les résis

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