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II.

DES FORCES DU CHEVAL.

DE LEURS CAUSES ET DE LEURS EFFETS.

L'adresse profite avec raison de tous ses stratagèmes pour entraîner dans le piége la violence qui la tient emprisonnée.

(Passe-Temps équestres.)

Le cheval, comme tous les êtres organisés, est doué d'un poids et d'une force qui lui sont propres. Le poids, inhérent à la matière constitutive de l'animal, rend sa masse inerte et tend à la fixer au sol. La force, au contraire, par la faculté qu'elle lui donne de mobiliser ce poids, de le diviser, de le transférer de l'une à l'autre de ses parties, communique le mouvement à tout son être, en détermine l'équilibre, la vitesse, la direction.

Pour rendre cette vérité palpable, supposons un cheval au repos. Son corps sera dans un parfait équilibre, si chacun de ses membres supporte exactement la part de poids qui lui est dévolue dans cette position. S'il veut se porter en avant au pas, il devra préalablement transférer sur les jambes qui resteront fixées au sol le poids qui pèse

sur celle qu'il en détachera la première. Il en sera de même pour les autres allures, la translation s'opérant au trot, d'une diagonale à l'autre; au galop, de l'avant à l'arrière-main, et réciproquement. Il ne faut donc jamais confondre le poids avec la force celle-ci est déterminante, l'autre lui est subordonné. C'est en reportant le poids sur telles ou telles extrémités que la force les mobilise ou les fixe. La lenteur ou la vitesse des translations détermine les différentes allures, qui sont elles-mêmes justes ou fausses, égales ou inégales, suivant que ces translations s'exécutent avec justesse ou irrégularité.

On comprend que cette puissance motrice se subdivise à l'infini, puisqu'elle est répartie sur tous les muscles de l'animal. Quand ce dernier en détermine lui-même l'emploi, les forces sont _instinctives; je les appelle transmises (1) lors

(1) Plusieurs pamphlétaires très-érudits et profonds anatomistes ont beaucoup discuté sur cette expression: forces transmises, n'ayant, disaient-ils agréablement, rien trouvé de semblable dans les chevaux qu'ils avaient écorchés à l'école d'Alfort. On reconnaîtra sans doute avec moi que cette bouffonnerie est fort concluante.

Pour parler sérieusement, je déclare qu'en employant l'expression transmises, je ne prétends pas créer des forces en principe, mais seulement en fait. Je parviens à diriger et à utiliser des forces qui, par suite de contractions et de résistances, demeuraient complétement inertes, et qui seraient conséquemment comme si elles n'étaient pas. N'estce donc point là une espèce de transmission? Au surplus, j'ai adopté ce mot tant épilogué parce qu'il m'a paru propre à rendre mon idée plus clairement que tout autre, et parce que je m'adressais à des ecuyers, non à des puristes académiques.

qu'elles émanent du cavalier. Dans le premier cas, l'homme, dominé par son cheval, reste le jouet de ses caprices; dans le second, au contraire, il en fait un instrument docile, soumis à toutes les impulsions de sa volonté. Le cheval, dès qu'il est monté, ne doit donc plus agir que par des forces transmises. L'application constante de ce principe constitue le vrai talent de l'écuyer.

Mais un tel résultat ne peut s'obtenir instantanément. Le jeune cheval, habitué à régler lui-même, dans sa liberté, l'emploi de ses ressorts, se soumettra d'abord avec peine à l'influence étrangère qui viendra en disposer sans partage. Une lutte s'engagera nécessairement entre le cheval et le cavalier; celui-ci sera vaincu s'il ne possède l'énergie, la patience, et surtout les connaissances nécessaires pour parvenir à ses fins. Les forces de l'animal étant l'élément sur lequel l'écuyer doit agir principalement pour les dompter d'abord et les diriger ensuite, c'est sur.elles avant tout qu'il lui importe de fixer son attention. Il étudiera ce qu'elles sont, d'où elles émanent, les parties où elles se contractent le plus pour la résistance, les causes physiques qui peuvent occasionner ces contractions. Dès qu'il saura à quoi s'en tenir sur ce point, il n'emploiera envers son élève que des procédés en rapport avec la nature de ce dernier, et les progrès seront alors rapides.

Malheureusement, on chercherait en vain dans

les auteurs anciens et modernes qui ont écrit sur l'équitation, je ne dirai pas des principes rationnels, mais même des données quelconques sur ce qui se rattache aux forces du cheval. Tous ont bien parlé de résistances, d'oppositions, de légèreté, d'équilibre; mais aucun n'a su nous dire ce qui cause ces résistances, comment on peut les combattre, les détruire, et obtenir cette légèreté, cet équilibre, qu'ils nous recommandent si instamment. C'est cette grave lacune qui a jeté sur les principes de l'équitation tant de doutes et d'obscurité; c'est elle qui a rendu cet art stationnaire pendant si longtemps; c'est cette lacune enfin que je crois être parvenu à combler.

Et, d'abord, je pose en principe que toutes les résistances des jeunes chevaux proviennent, en premier lieu, d'une cause physique, et que cette cause ne devient morale que par la maladresse, l'ignorance ou la brutalité du cavalier. En effet, outre la roideur naturelle, commune à tous ces animaux, chacun d'eux a une conformation particulière dont le plus ou le moins de perfection constitue le degré d'harmonie existant entre les forces et le poids. Le défaut de cette harmonie occasionne la disgrâce des allures, la difficulté des mouvements, en un mot, tous les obstacles à une bonne éducation. A l'état libre, quelle que soit la mauvaise structure du cheval, l'instinct seul lui suffira pour disposer ses forces de manière à maintenir

son équilibre; mais il est des mouvements qui lui seront impossibles jusqu'à ce qu'un travail préparatoire l'ait mis à même de suppléer aux défectuosités de son organisation par un emploi mieux combiné de sa puissance motrice (1). Un cheval ne se met en mouvement qu'à la suite d'une position donnée; s'il est des forces qui s'opposent à cette position, il faut donc les annuler d'abord, pour les remplacer par celles qui pourront seules la déterminer.

Or, je le demande, si, avant d'avoir surmonté ces premiers obstacles, le cavalier vient y ajouter le poids de son propre corps et ses exigences ineptes, l'animal n'éprouvera-t-il pas une difficulté plus

(1) J'engage beaucoup les amateurs désireux de suivre mes préceptes dans tout ce qu'ils ont de naturel et de méthodique, à bien prendre garde d'y mêler des moyens pratiques qui y sont étrangers et contraires. Dans le nombre de ces grotesques inventions se trouve placé le jockey anglais ou l'homme de bois, auquel de graves auteurs ont attribué des propriétés que la saine équitation réprouve; en effet, la force permanente du bridon dans la bouche du cheval est une gêne et non pas un avis; elle lui apprend à revenir sur lui-même en s'acculant, pour en éviter la sujétion. A l'aide de cette force brutale, il connaîtra de bonne heure comment il peut éviter les effets de main du cavalier.

C'est à cheval, et par de justes et progressives oppositions de main et de jambes, que l'on trouvera des résultats prompts et infaillibles, résultats qui seront tous en faveur du mécanisme et de l'intelligence du cavalier. Si le cheval présentait quelques difficultés dangereuses, un second cavalier, à l'aide du caveçon, produirait une action suffisante sur le moral du cheval, pour donner le temps à celui qui le monte d'agir physiquement, afin de disposer la masse dans le sens du mouvement qu'on veut exiger. Mais, on le voit, il faut une intelligence pour parler intelligiblement au cheval, et non pas une machine fonctionnant sans moteur.

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