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dont ma méthode, ainsi tronquée, ne doit pas subir la responsabilité.

Quant à la mesure en elle-même du Comité supérieur de cavalerie, comme un jugement dans une affaire qui m'intéresse si directement pourrait paraître suspect, je crois devoir m'en référer à ce lui d'un tiers. Un publiciste distingué, dont la compétence dans les questions d'équitation militaire est parfaitement établie d'ailleurs, M. Clément Thomas, a publié au mois de septembre dernier, dans le National, une série d'articles à l'occasion de la décision qui a frappé si inopinément ma méthode. Ces articles ont été, plus tard, réunis en une brochure : c'est le document le plus concluant et le plus véridique qui ait été écrit sur mon système d'équitation.

Au lieu de mon appréciation personnelle, je mettrai donc sous les yeux du lecteur impartial toute la partie de cette brochure, relative à l'arrêté du Comité supérieur de cavalerie.

<< Afin, dit l'auteur, de bien nous éclairer sur la portée de la détermination qu'il a jugé convenable de prendre, il est bon de connaître, avec le personnel de ce Comité, l'aptitude de chaque membre et le rôle qu'il a joué dans cette circon

stance.

<< Le comité de cavalerie appelé à prononcer sur la nouvelle méthode d'équitation se composait de MM. les lieutenants généraux Dejean, de Sparre, de Lavastine, Desmichel,

Oudinot, Wathiez et Denniée, intendant général. Les trois premiers de ces sept officiers généraux n'ont jamais étudié personnellement la méthode : mais, après avoir vu le résultat des premières expériences, ils l'avaient d'abord approuvée. Le général Desmichel, quand on lui parla de cette innovation, répondit qu'on avait fait sans elle les campagnes d'Italie et d'Allemagne, gagné les batailles d'Austerlitz et de Wagram, et qu'il ne voyait pas l'utilité de rien changer. Ce brave général, du reste, n'était pas le seul de cette opinion: nous pourrions citer quelques colonels qui la partageaient avec lui. On sait la part qu'a prise à tout ceci le général Oudinot. Le général Wathiez, après avoir suivi attentivement les expériences faites dans plusieurs corps de cavalerie et particulièrement dans la garde municipale, a toujours soutenu ce système, dont l'efficacité n'offrait pour lui aucun doute. Enfin, l'intendant général Denniée, ayant aussi à émettre son avis, ne voulut pas le faire sans connaissance de cause il assista souvent aux leçons du manège, fit dresser un cheval sous ses yeux, et, convaincu par ce qu'il vit, approuva la nouvelle méthode.

« Ainsi donc, quelque anormale que fût cette réunion, le nouveau système y réunissait pourtant, dans le principe, une grande majorité; et, en supposant, ce qui n'était pas probable, que le général Desmichel persistât dans son opiniâtreté de vieux soldat, il y aurait eu encore cinq voix contre deux pour accorder à la cavalerie une réforme qu'elle réclamait presque à l'unanimité. Mais elle avait compté sans l'un de ses officiers généraux, le plus jeune, le plus incompétent, peut-être, et à ce qu'il paraît, cependant, le plus puissant de tous, par le seul fait de sa naissance : nous voulons parler de M. le duc de Nemours.

« M. le duc de Nemours s'était montré très-indifférent, dès le principe, au nouveau système d'équitation. Lorsque le duc d'Orléans, son frère, suivait avec intérêt et persévé

rance les expériences diverses qui se faisaient à Paris, le duc de Nemours, obligé de l'accompagner dans ses investigations, s'y faisait remarquer par une nonchalance, un dédain un ennui qu'il ne cherchait pas même à dissimuler. Son opinion, peu importante à cette époque, a dû avoir ensuite plus de poids; et l'on peut dire que c'est lui, lui seul qui a privé l'armée d'une innovation aussi utile que profitable. C'est à son influence, sans doute, qu'est dû le changement de dispositions de MM. Dejean, de Sparre et de Lavoestine, et c'est à son influence aussi qu'a été obligé de céder le ministre de la guerre lui-même.

« L'opposition du duc de Nemours était-elle, au moins, fondée sur quelque chose pour qu'il pût se prononcer souverainement dans une question aussi grave? Comme habileté équestre, on sait ce que sont les princes: leur vie est trop précieuse pour qu'on la confie à des chevaux un tant soit peu difficiles on cherche à les poser majestueusement en selle, et voilà tout. Quant au duc de Nemours personnellement, il n'a jamais étudié la nouvelle méthode, et ce qu'il en a vu n'aurait dû que le prévenir favorablement. Il a été témoin, à Paris, du résultat des premières expériences; il a assisté, à Lunéville, à un carrousel exécuté par de jeunes chevaux dressés en vingt-six jours d'après les nouveaux principes; il a pu consulter tous les officiers qui les ont étudiés, et dont nous avons cité les témoignages. Les moyens de s'éclairer ne lui manquaient donc pas. Il a préféré s'en rapporter à son propre jugement. Il en est qui disent que son opinion, en ceci, n'est que la conséquence d'une aberration d'esprit; d'autres prétendent quelle est le résultat des intrigues de certains adversaires de la nouvelle méthode, qui ont trouvé accès auprès du prince (1). Peu importe, quant à

(1) M. le vicomte d'Aure, ancien professeur d'équitation du duc de Nemours.

nous, le motif qui l'a guidé, mais il n'en est pas moins déplorable de voir les intérêts les plus graves de l'armée livrés à de pareilles influences.

«Mais quelles raisons donne au moins M. le duc pour justifier son opposition? une seule :-Je ne veux pas, dit-il, d'un système qui prend sur l'impulsion des chevaux.

«Que dire de ce : Je ne veux pas? Outre que cette objection est étrangement formulée, elle n'a pas le moindre fondement. Qu'entendez-vous donc par impulsion? Est-ce cet élan déréglé d'un coursier emporté, furieux, que rien n'arrête plus que la muraille ou le rocher contre lequel il vient se briser? Est-ce cette vitesse factice et dangereuse des chevaux de course, que l'on n'obtient qu'aux dépens de leur organisation, en les jetant sur leurs épaules, en les soutenant avec peine du bridon, et qui occasionne tous les jours les accidents funestes que nous avons à déplorer? Est-ce enfin cet emportement outré, cette course à fond de train d'un escadron mal conduit, que le décousu, le désordre de sa manœuvre livre bientôt à la merci de l'ennemi? Si c'est là ce que vous voulez poser en principe équestre, dites-le. Mais non, vous n'oseriez l'avancer, car l'impulsion, pour être efficace, a besoin surtout d'être ici maîtrisée. Soutenir le contraire serait absurde, et c'est cependant sur cette absurdité que vous vous appuyez pour étouffer une découverte utile à l'instruction de notre armée. Nous ne pouvons pas reprocher au Ministre de la guerre de n'avoir pas su apprécier cette innovation, puisqu'il a cherché à la faire prévaloir mais, ce dont on a le droit de lui demander compte, c'est de n'avoir pas usé de l'autorité suprême que lui donne son rang pour annuler la décision du comité de cavalerie, et déjouer les intrigues de l'ignorance et de la passion.

:

<< Mis en demeure de s'expliquer sur les motifs qui l'avaient déterminé à faire cesser dans la cavalerie l'application du nouveau système d'équitation, voici les objections étranges

que le ministre de la guerre, ou plutôt la majorité du Comité supérieur qui a fait signer au maréchal cette pièce, a émises dans une lettre adressée à M. Baucher, le 9 juillet dernier :

<< Et d'abord, j'ai constaté que votre système de dressage << était inséparable de votre méthode d'équitation; que le << département de la guerre n'avait point à apprécier les << avantages ou les inconvénients de cette méthode appli« quée aux services civils, et que j'avais à résoudre une << seule question, celle de savoir si elle offrait des avantages « militaires; en d'autres termes, si votre système de dres<< sage et une partie de vos principes d'équitation pouvaient « être substitués avec avantage au mode déterminé par l'or<< donnance du 6 décembre 1829 sur l'exercice et les évolua tions de la cavalerie.

<< Un examen attentif de cette question m'a démontré : « Que les principes que vous avez posés ne pourraient <«< être suffisamment bien enseignés aux militaires qui res« tent trop peu de temps sous le drapeau pour devenir des « écuyers capables de les comprendre et de les appliquer << sans danger pour eux et pour leurs montures ;

« Que d'ailleurs votre méthode, plus ou moins efficace « pour des chevaux de manége, rendrait les chevaux de << troupe trop fins et trop susceptibles pour pouvoir sup<< porter la pression et la gêne du rang;

« Qu'enfin l'excès de finesse pouvait être nuisible au che<< val de rang, et que demander à ce cheval une instruction plus étendue que celle de l'ordonnance de 1829, plus de << susceptibilité que n'en comporte le genre de service qu'il « est appelé à rendre, était incompatible avec les exigences <<< des manœuvres et des évolutions.

« Nous gagerions volontiers que l'auteur de cette lettre

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