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envahi le palais, où les torches et les flambeaux éclairent l'émeute populaire. Ce spectacle ferait le sujet d'un magnifique tableau. Si nous avions un vœu à émettre, nous voudrions que M. A. Polain s'emparât d'une de ces grandes et terribles épisodes de l'histoire de Liége pour en faire un roman historique. Le Sanglier des Ardennes ou Jean sans piété sont des sujets bien beaux à traiter!

J. S.

HISTOIRE DE LA BELGIQUE, par G. H. Moke. Première partie. Un volume in-8°, de 236 pages.

M. Moke n'est pas nouveau-venu dans la carrière des lettres. Il y est entré, passé douze à treize ans, par le journalisme, qui, en ces temps de préoccupations politiques, semble devoir servir d'apprentissage aux jeunes talents. Il ne tarda pas à trouver les colonnes d'un journal trop étroites pour son imagination vive, et trop légères pour ses études sérieuses. Il écrivit des romans historiques, dont on a gardé souvenir. Bientôt après il se borna à l'histoire, et nous livra des travaux qui, pour être empreints de quelques idées systématiques, n'en donnaient pas moins de grandes espérances. Ensuite, il se voua à l'enseignement moyen et universitaire, qui forme aujourd'hui la base de ses occupations. Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que la variété des études nuise à leur succès. Une intelligence bien conformée gagne à étendre son horizon, s'enrichit de tout ce qu'elle voit, et trouve des forces nouvelles dans chaque fait qu'elle recueille, dans chaque pensée que fait jaillir la méditation. Les idées fausses, les élucubrations systématiques (résultats synonymes, la plupart du temps), contre lesquelles les meilleurs esprits ne peu

vent assez se prémunir, sont le produit net des considérations étroites qu'inspire l'étude d'une seule des faces du mystérieux et sombre édifice des connaissances humaines. Bien savoir, c'est beaucoup savoir, n'en déplaise aux illustrations en us, qui, par prudence personnelle sans doute, professent la maxime contraire. Inutile d'établir cette restriction que les diverses branches que l'esprit cultive, doivent correspondre au tronc auquel elles servent d'ornement. Nous ne prétendons pas en effet que des études, pour ainsi dire opposées et sans liaison sensible, puissent se prêter un secours efficace. A parler absolumement, cette dernière proposition est loin d'être insoutenable; mais dans l'état présent des sciences et des relations sociales, une universalité trop prononcée serait dangereuse, et il paraîtrait difficile d'en apprécier les résultats. - Qu'il nous soit permis de croire que l'application sérieuse de M. Moke au journalisme, à la littérature d'imagination, à l'histoire et à l'enseignement lui a valu la rectitude de jugement et Ja puissance de style qui dominent les autres qualités de son dernier ouvrage.

Puisque nous voilà revenu, d'assez loin, à l'Histoire de la Belgique, ne quittons plus ce livre, et disons sommairement au lecteur ce que nous en pensons.

On s'aperçoit tout d'abord que M. Moke s'est placé à un autre point de vue que ses devanciers. Au lieu d'écrire l'histoire spéciale des diverses principautés dont la réunion a formé la Belgique actuelle; de se montrer tantôt flamand, tantôt brabançon, tantôt encore liégeois; de suivre l'ordre des faits et de sacrifier l'ordre chronologique, il se pose au centre des provinces, et, adoptant la méthode synchronistique, il efface les limites des petits états belges, les confond comme en un seul royaume, et fait passer sous nos yeux les événements importants sans distinction de sceptre ni de nationalité. Cette méthode offre des

avantages, mais elle est exposée à des inconvénients. Les avantages sont que le lecteur peu exercé ne confond pas les dates; que les événements se déroulent clairs et rapides, que les enseignements, qui en découlent, sont mieux compris. Les inconvénients consistent en ce que l'auteur s'expose à rapprocher des événements sans liaison, à effacer des oppositions, à laisser dans l'ombre des particularités qui, pour être d'un intérêt secondaire, n'en ont pas moins du prix aux yeux de l'historien. Cette espèce de compensation a servi de prétexte aux esprits étroits pour suivre presque généralement la méthode qu'on pourrait nommer analytique, en opposition avec celle que nous appellerions synthétique, si ces qualifications ne peignaient sous des couleurs trop opposées des manières qu'il est désirable, si non facile d'harmonier. Hâtons-nous de dire que des avantages et des inconvénients signalés plus haut, M. Moke a su s'approprier les uns et éviter les autres. Il saisit habilement les situations culminantes, autour desquelles il groupe avec tact les faits secondaires; les causes sont bien posées, les effets heureusement déduits; le récit est concis et clair; le style est souvent élégant, parfois élevé, toujours correct. Cet éloge général est flatteur, mais, nous le disons en conscience, il n'est pas exagéré. Nous croyons notamment que M. Moke a expliqué avec beaucoup de talent les grandes révolutions sociales et dynastiques, qui ont agité nos provinces lors de l'invasion des Romains, de la conquête des Francs, de la formation de la Lotharingie, et de l'établissement des principautés féodales qui se sont réunies, au XVe siècle, sous le sceptre des ducs de Bourgogne. Dans plusieurs endroits de son livre, M. Moke a présenté les événements sous un jour si heureux, que des lecteurs, rompus aux difficultés historiques, lui sauront gré de ses efforts.

Cependant, ce compte rendu étant sincère, nous croyons

devoir, pour notre satisfaction propre et pour celle de M. Moke, formuler ici quelques remarques critiques sur lesquelles il nous est impossible de passer condamnation. Libre à chacun ensuite d'en juger autrement que nous.

L'auteur parle constamment des Belges et de la Belgique, comme si ces mots avaient eu quelque valeur depuis les Francs jusqu'à l'avènement de Philippe de Bourgogne, dit le Bon. Il suppose, que dans cet immense intervalle, nos provinces formaient un tout plus ou moins complet, qui eût un nom général, un caractère commun. Or il n'en est rien, et M. Moke le sait mieux que nous. Au moyen-âge, il n'y avait ni Belges ni Belgique, pas plus que de Hollande, de Prusse, etc. La Belgique actuelle ne comptait que des Flamands, des Hennuyers, des Brabançons, des Liégeois, des Namurois et des Luxembourgeois. Le mot de Belge était même inconnu à nos ancêtres. Il nous semble donc faux de leur donner une qualification commune, en dehors de leurs mœurs et de leurs connaissances. On s'expose ainsi à donner au lecteur une idée fausse du véritable état des choses. Nous savons bien que M. Moke destine son livre aux écoles, et qu'il lui a peut-être paru convenable d'imprimer un caractère national à son récit. Il aura craint que l'étranger ne nous reproche de ne pas avoir eu de patrie pendant mille ans. Nous n'acceptons pas cette explication: d'abord en histoire, il faut être vrai avant tout; ensuite, les noms flamands, brabançons et liégeois sont aussi glorieux, aussi honorables que le nom belge. Nos ancêtres ont possédé assez de vertus pour ennoblir plusieurs noms. La France serait-elle désespérée de savoir qu'elle n'est France que depuis neuf siècles? Qu'était la France sous les premiers successeurs de Charlemagne? Ne formait-elle pas, comme la Belgique, un cahos de provinces sans cohésion, indépendantes les unes des autres, et chacune fière d'elle-même? Il est bon sans

doute d'aider au patriotisme, de flatter les croyances honorables, mais quand on a l'honneur d'écrire au nom de la vérité, c'est envers elle seule qu'il faut garder des ménagements.

M. Moke a glissé par-ci par-là quelques assertions, qu'il n'a pas vérifiées avec sa conscience habituelle. Les remarques que nous pourrions faire à ce propos, sembleraient futiles à bien de personnes, et elles sont en effet peu importantes pour le commun des lecteurs. Cependant, nous en dirons une, qui prouvera du moins que nous avons lu M. Moke avec une scrupuleuse attention.

A la page 64, il est dit que les Normands cessèrent, vers l'an 900, d'attaquer nos provinces. Ce fait est exact, mais la raison qu'en donne l'auteur ne l'est point. En effet, M. Moke pense que les Normands n'osaient plus reparaître sur nos côtes. La vérité est qu'il n'y avait plus de Normands conquérants. La soif du pillage, la beauté des sites de l'Europe méridionale, l'usage adopté par les cadets de famille de la basse Germanie, du Danemarc et de la Suède de chercher fortune par terre ou par mer, les armes à la main, avaient, pendant plusieurs siècles, poussé des armées de brigands vers la Méditerannée; plus tard, à la suite des conquêtes de Charlemagne en Germanie, le fanatisme religieux des habitants du nord de l'Europe les porta à continuer leurs excursions. A la cupidité était venu se joindre le mobile non moins puissant de la vengeance. Nous croyons fermement que les invasions des barbares dans nos provinces, pendant le neuvième siècle, n'ont pas eu d'autre cause que la haine vouée par eux aux Chrétiens. Nous pourrions, au besoin, appuyer cette opinion de faits remarquables. Qu'arriva-t-il à la mort de Charlemagne ? Les sanglantes conquêtes du grand homme furent continuées d'une manière plus douce et plus fructueuse par les prédicateurs chrétiens. Les Nor

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