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l'étalage d'un brocanteur. Des hautes verreries, ont disparu ces figures gigantesques d'empereurs et de princes empourprés, de saints et de chevaliers, couverts de rubis et de lapis, et auxquels les siècles avaient commis la garde de leur œuvre impérissable. A leur place, le vide, vide effrayant pour l'œil le moins exercé à apprécier la force d'un cube de pierres, à travers lequel une lumière irritante semble accuser la vanité de l'homme, qui veut tout voir à nu (1).

Sans doute une manie qui aujourd'hui fait rechercher tout ce qui est vieux, a, en partie, donné naissance au zèle de restauration qui croit pouvoir s'écarter enfin de la règle qu'on s'était imposée du jour où l'on commença à effacer le coup de marteau de l'Iconoclaste du XVIe siècle, pour perpétuer de génération en génération les barbares ajustements d'alors. Espérons que, venant en aide à un goût mieux raisonné, on ne verra plus le Saint des Saints drapé comme une alcove, lors même qu'on trouvera ailleurs des cabinets de jeu ressemblant aux baptistères du moyen-âge, et des boutiques de confiseurs et de bonbons, près desquelles on se croirait dans la cour des lions de Grenade. On comprendra un jour que la nef d'une église, étant faite pour contenir l'autel, il faut nécessairement que celui-ci participe au caractère du vaisseau dans lequel il se trouve, et qu'on ne peut considérer comme un meuble cet échafaudage de colonnes, qui du sol montent jusqu'à la clef des voûtes.

La pensée de remplacer par du verre teint les vitraux incolores, rendra à chaque bâtiment la quantité de lumière calculée lors de sa construction. Les plus anciennes églises, du style roman, ne présentent que de très

(1) La fatigue qu'on éprouve dans certaines églises, depuis qu'il n'y a que du verre blanc aux fenêtres, est telle, qu'il y en a, comme St-Roch à Paris, où l'on a été obligé de placer des rideaux d'étoffe partout.

petites ouvertures; mais dès que les vides devinrent plus grands que les pleins des murs de clôture, il fallut songer à ménager le jour, et on employa le verre de couleur; cette combinaison tient donc essentiellement aux plans de l'architecte, et il est aussi important de ne pas s'en écarter que de relever un mur sur son alignement primitif.

Ce projet nous mène à l'examen de cette question: Qu'y a-t-il de vrai dans le préjugé que l'art de peindre en verre (1) a été perdu; cet art est-il compris comme il doit l'être, par ceux qui prétendent l'avoir ressuscité; peut-on espérer de voir renaître l'école du maître verrier, et l'idée de substituer à des cartons faits exprès pour lui des tableaux peints à l'huile est-elle bonne à suivre?

L'opinion que la peinture en verre se perdait, remonte déjà fort haut, et l'un de ceux qui l'accréditèrent, fut un certain Guillaume Trompe, d'Utrecht, qui répara les vitraux à Gouda, après l'ouragan de 1581 (2). Cependant on n'a point cessé de connaître la nature du verre dont on s'est anciennement servi; ou n'a jamais ignoré les matières colorantes qui se mêlent à cette composition, ni par quels procédés on les y fait pénétrer. Plusieurs ouvrages décrivent minutieusement les procédés à suivre: ceux d'Antoine Neri, Ars vitraria firenze, 1612; du célèbre chimiste Hurkel, 1679, tous deux traduits par le baron d'Holbach (Paris, 1752); les écrits d'Hundigner de Blancourt, imprimés en 1697; ceux de Pierre Le Vieil, écrits en 1731, d'autant plus curieux que sa famille exerçait depuis près de deux siècles l'art de peindre en verre (son fils les publia en 1772); le Journal économique de mars 1787, et un article inséré dans la Gazette d'Utrecht, en

(1) En employant le terme de peinture en verre, nous suivons l'exemple de M. Brogniart qui a publié sur la matière d'intéressants mémoires, lus à l'Institut de France.

(2) Fiorillo, t. 2, pag. 483.

1773; les ouvrages du savant Langlois, du Pont de l'Arche, réimprimés tout dernièrement à Rouen; enfin les articles de l'Encyclopédie, et un mémoire lu à l'Institut de France, le 17 mars 1802, par M. Brogniart, sont les preuves écrites de procédés prétenduement perdus, qui remontent jusqu'à l'époque où ils étaient connus par une pratique constante. Au temps de Neri, il n'y avait pas un siècle qu'avaient été peints les vitraux de Gouda, réputés les plus beaux du monde (1); la chapelle de la Vierge à Ste-Gudule, à Bruxelles, ne fut achevée qu'en 1653 (2).

Van Diepenbeek, mort seulement en 1675 (3), était aussi peintre en verre; nous avons vu des armoiries, avec la date de 1709, dont les couleurs étaient aussi belles que celles d'aucuns vitraux anciens. Du vivant de Pierre Le Vieil, qui écrivit en 1731, il y avait encore un peintre verrier à Paris: il paraît cependant que cet art était alors arrivé, sur le continent du moins, à son plus infime degré d'abaissement, et vers cette époque, on ne fabriquait plus, ni en France, ni en Allemagne, de verre propre à la peinture en verre, ni teint en masse. Cependant en Angleterre, William Peckil et Robert Scolt Godfrey offrirent encore, en 1768, des ouvrages qui furent admirés; vers le même temps, on plaça à Oxford des vitraux dont on vantait la beauté. Cependant, en général, cette peinture n'offrait plus que des tons fades et monotones, qu'on étalait sur du verre incolore, et dont on peut voir des échantillons au Musée céramique de la fabrique de porcelaine, à Versailles.

Il y eut donc interruption réelle d'environ trois quarts de siècle dans la fabrique des maîtres en verrerie; il n'en

(1) Les peintures des fenêtres de l'église de Gouda, gravées par Boëtius, 1736.

(2) Sanderus.

(3) Fiorillo, t. 3, pag. 24.

existait plus: il fallait rechercher leurs procédés dans les ouvrages qu'ils avaient laissés. En 1804, un nommé Michel Frank, de Nuremberg, peignit sur verre des armoiries, puis des paysages, des sujets mythologiques; mais ce fut la restauration des vitraux de Ratisbonne, commencée en 1821, qui ramena entièrement la peinture en verre à son but primitif. Ceux qui s'en étaient occupés dans les temps modernes, avaient surtout voulu peindre de petits sujets, employer plusieurs couleurs sur le même panneau, pour éviter les plombs, dont l'effet paraissait peu agréable, sans cependant recourir aux émaux dont nous parlerons plus tard; on voulut aussi introduire dans cette peinture des nuances inconnues aux anciens; ce qu'on fit de plus remarquable en ce genre, furent les glaces peintes, exposées en France en 1829. Cependant les nouveaux vitraux, pour avoir voulu être supérieurs aux anciens, n'en présentaient pas l'éclat éblouissant; on restait d'accord qu'il y avait telles couleurs, les rouges, les verts entre autres, qu'on ne pouvait plus faire aussi belles qu'autrefois : les théories étant parfaitement connues, on comprit toute l'importance de la pratique, dans laquelle nous sommes restés inférieurs jusqu'ici. Presque dans tous les pays, se sont alors formés quelques artistes qui, faute de connaître ce qui avait été écrit et les essais tentés autour d'eux, ont cru avoir retrouvé un secret perdu, tandis qu'ils n'avaient que repris des travaux assez long-temps suspendus pour que la tradition des ateliers se soit entièrement éteinte. Cependant on a fait depuis à Sèvres et en Bavière, ainsi qu'en Suisse, de magnifiques vitraux avec les procédés des anciens et qui laissent peu de chose à désirer; quelques échantillons non moins beaux sont dûs à des artistes isolés, et sans contredit, une des productions les plus remarquables en ce genre, est la copie d'une ancienne verrerie par M. Dony, exposée au salon de Gand de cette année (1838).

Rien de plus simple que la manière de procéder pour faire un tableau à l'huile; dès qu'il s'agit d'en transporter le sujet en verre, le travail se complique singulièrement (1). Il faut un verre composé tout exprès, qui ait la dureté nécessaire pour pouvoir être exposé au feu de moufle, sans se gondoler: l'art de le teindre en masse demande des connaissances en chimie toutes particulières; il faut encore une grande pratique pour la fabrication des oxides métalliques colorants et pour les faire pénétrer dans les panneaux de verre. Quelques mots sur la marche tenue par les peintres verriers, ne seront pas inutiles pour faire comprendre en quoi consiste leur art, à ceux qui n'ont pas fait de cet art une étude spéciale et auxquels nous voulons prouver avec quelle facilité on peut le ressusciter.

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La matière vitrée était connue des anciens ; ils en faisaient des vases de diverses formes, que nous avons trouvés dans les tombeaux, et qu'on voit dans presque tous les cabinets d'antiquités romaines. S'-Jérôme en parle comme étant employée en carreaux, dans les fenêtres, déjà à la fin du III° siècle, fenestræ quæ vitro in tenues laminas fuso obductæ erant. Il en est ensuite question dans St-Grégoire de Tours (2); les fenêtres de St-Germain le Rond, aujourd'hui St-Germain l'Auxerrois à Paris, que brisèrent les Normands en faisant le siége de cette ville, étaient garnies de verre, suivant la Chronique d'Abbon; le pape Léon III, qui couronna Charlemagne à Rome, employa le verre dans la construction de St-Jean de Latran (3). Vasari nous dit que dans l'origine il était en forme d'yeux, le finestre si facevaro in principio d'occhi bianchi, e con argoli bianchi,

(1) C'est précisément à cause de cela que nous avons adopté, pour signifier la peinture ou la couleur pénétrée dans le verre, des termes qui ne peuvent convenir qu'à elle seule.

(2) De Gloria Martirum, 1. I, c. 59.

(3) Anast. in Vit. Leon. III.

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