Voici la seule traduction française des Lettres d'Aristénète; elle a près de trois siècles de date, et il serait aussi injuste d'en demander une nouvelle, que de souhaiter une version, plus moderne que celle d'Amyot, du roman de Daphnis et Chloé. Le douteux Longus, et l'incertain Aristénète ont été mis en français, une fois pour toutes, par le précepteur de Charles IX, et par son quasi-contemporain, Cyre Foucault, sieur de la Coudrière. Boissonade qui s'est passionnément occupé d'Aristénète, qui se l'est en quelque sorte approprié, rendait justice à l'exactitude de son devancier, mais, suivant le goût de son temps, n'appréciait que peu les agréments et la saveur d'un style du a. : XVIe siècle; il les trouvait surannés. C'est pourquoi il avait entrepris et mené à bien une traduction nouvelle, avec des notes aussi étendues que le texte, qu'il proposa inutilement, vers l'an VII, aux libraires de Paris. Le moment était bien choisi elle eût paru vraiment à sa place et à sa date, entre l'Erotopagnion, de F. Noël, et les Quatre métamorphoses, de Népomucène Lemercier; pourtant personne n'en voulut faire les frais. L'auteur la jeta au feu, et son sacrifice n'est à regretter que dans une certaine mesure, puisque tout son travail d'helléniste se retrouve, et par delà, dans les notes, mêlées de grec et de latin, qui sextuplent le texte dans l'édition de 1822. Jamais auteur de prédilection ne fut traité avec plus d'abondance, ou même d'aimable profusion (1). (1) APITAINETOΣ. Aristaneti epistolæ. Ad fidem cod. Vindob. recensuit, Merceri, Pauwii, Abreschii, Huetii, Lambecii, Bastii, aliorum notis, suisque instruxit Jo. Fr. Boissonade. Lutetiæ, 1822, in-8, Dans la seconde édition du texte grec, avec version latine, qu'il donna à Paris en 1595 (1), Josias Mercier avait avancé que le nom d'Aristénète, qui se lit dans la suscription de la première lettre du premier livre, avait sans doute passé à tout le recueil. Après diverses conjectures ingénieuses et insuffisantes, la critique est revenue à cette opinion de bon sens. Si l'on ignore le nom de l'auteur, il n'y a pas au moins de doute sur le temps où il vivait c'était au quatrième siècle. Sa langue le montre assez, sans parler de menus faits, tels que l'éloge du Caramallus cité avec admiration par Sidoine Apollinaire : « ce brave Harlequin de Caramalle, » dit Cyre Foucault, souvent hardi dans le choix des équivalents. XVI-760 p. La préface de la traduction nouvelle des Lettres d'Aristénète par Boissonade a été imprimée dans le Magasin encyclopédique de Millin, an VII-1799, t. I, p. 450-458. (1) In-8; réimprimée en 1600, 1610, 1639. L'édition princeps est celle de Sambucus, Anvers, 1566, in-4, d'après un manuscrit aujourd'hui à Vienne, qui est le seul connu en Europe. VIII Aristénète, puisque tel est désormais le pseudonyme de cet anonyme, n'est point un épistolaire, bien que son recueil porte le titre de Lettres; plutôt un conteur, mais à le bien prendre, un metteur en œuvre précieux et raffiné de descriptions, d'anecdotes, de scènes et de façons amoureuses. Sa manière a de l'emphase et de la déclamation, mais elle est vive, colorée, et fait sans cesse tableau. Les détails précieux sur les mœurs grecques y abondent, et le charme du livre est d'être bien grec, tout animé et pénétré du plaisir de vivre sans arrière-pensée, tel qu'il se pouvait encore rencontrer dans quelques coins heureux de l'empire, au moment où une religion nouvelle allait étendre sur le monde, pour des siècles, un voile de mortelle tristesse et de dégoût. Ce sentiment hellène tout pur de l'innocence de la beauté, et de la « prière naturelle » que les sexes se font entre eux (1), emprunte (1) Expression de Montesquieu, Esprit des lois, 1. Ier, ch. 2. quelque chose de touchant aux circonstances où il trouvait encore moyen de se produire. Après avoir feuilleté Aristénète, en murmurant, presqu'à chaque page, le vers du poëte : Qu'il est doux d'être au monde, et quel bien que la vié! il le faut quitter en se souvenant qu'on est avec lui au siècle qui devait voir fermer les derniers temples des Dieux, échappés à la fureur de dévastation des bandes de moines immondes. Cyre Foucault s'est porté à la traduction de son auteur avec toute l'allégresse d'un homme de la Renaissance; il a serré le texte de près, sans s'aider de la version latine de Josias Mercier, sur la nouvelle édition de qui il opérait. Le petit nombre de libertés qu'il se soit permises, ne touchent pas à la fidélité de la translation, mais tiennent à un goût particulier de recherche des dictons et des façons de parler proverbiales ou sentencieuses. |