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entend le ru du baston, il ne peut jamais mal finir, et paroist habile et propre à

toutes choses. »

V

La malice d'une femme qui trompe son mari par une nouvelle ruse.

ALCIPHRON A LUCIAN

Il se faisoit une assemblée publique aux faux-bourgs, avec festins de tous costez, et Charidème avoit là convié ses amis en banquet, où se trouva une certaine Dame, il n'est jà besoin de la nommer. Charidème luy-mesme, tu sçais comme il est de complexion amoureuse, l'ayant de guet à pens rencontrée au marché, avoit tant fait, qu'elle luy avoit promis. Quand tous les conviez furent assemblez, voici venir de renfort un maistre d'hostel leste et galland, qui conduisoit un vieillard, que l'on avoit aussi prié. De tant loing que cette femme le voit, elle s'évade promtement, et plus viste qu'un

trait se jette en la maison prochaine, ou ayant fait appeler Charidème : « Tu ne sçais, » dit-elle, « quel mal tu viens de faire sans y penser. Ce vieillard là est mon mari, et a bien recogneu la cappe que j'ay laissé tomber en m'en-fuyant. Et comme il est vrai-semblable, cela l'aura mis en cervelle. Toutes fois, si tu peux donner ordre de m'envoyer secrettement la cappe, et quelques bagages de vostre festin, je le rendray bien camus, et luy lèverai de l'esprit, sans me travailler beaucoup, la mauvaise opinion qu'il a maintenant de moy. » La bonne Dame ayant tout son paquet, s'en retourne à la maison, par je ne sçay quelle ruelle esgarée, premier que son mari, et ayant attitré une sienne voysine sa commère, complotent ensemblement des moyens pour donner la trousse au penard, qui ne faut pas à revenir incontinant, criant, souflant comme un furieux et enragé, que sa femme luy avoit joué un meschant tour. « Ha! paillarde, dit-il, « tu ne coucheras jamais à mes costez, de ta vie tu ne souilleras mon lit si à ton aise. » Et prenoit argument du forfait de sa femme sur la cappe qu'elle avoit

D

laissée, si que transporté d'une jalouse fureur il cerchoit son espée pour la tuer, lorsque voici arriver à point nommé cette bonne voisine, à qui l'autre avoit fait le bec: « Voilà, », dit-elle, « ma grand amie, vostre cappe, et grand merci plus de mille fois. J'ai esté à la feste, s'il a pleu à Dieu, et assisté au banquet, là ou il n'y avoit rien de trop, tenez, en voilà encor quelques reliqua, ce sera pour vostre part. » Ces parolles refroidirent un peu la cholère du vieillard despité, et devint plus doux qu'un aigneau, mettant jus et son soupçon et sa rage, avec telle submission qu'il s'excusa luy-mesme envers sa femme. « Pardonne moy, » dit-il, « ma mie, j'estois hors de moy, je le confesse, mais quelque bon ange favorisant ta chasteté, pour le bien commun de nous deux nous a fort à point amené cette bonne voisine, qui par sa venue nous a garantis d'un très-grand malheur. »

VI

Une jeune fille dépucellée avant qu'estre

mariée.

HERMOCRATE A EUPHORION

Une jeune fille disoit à sa nourrice: « Si vous voulez me promettre la foy de taire ce que je vous dirai, je vous découvrirai un secret. » La nourrice jure, et aussi tost la fille luy va dire : « Ha! nourrice, il faut confesser la vérité, je ne suis plus pucelle. » La vieille se prend à crier, et à se déchirer le visage, détestant un si malheureux acte. « Pour Dieu, » dit la fille, « taisez-vous, ma mère, et ayez patience, de peur que quelqu'un ne soit léans aux escoutes pour nous entendre. Hélas! bon Dieu, vous me venez de jurer tout à cette heure, que jamais au grand jamais vous n'en sonneriez mot : pourquoy donc, ma bonne amie, huchez-vous si haut afin que l'on vous oye? J'ateste Diane que combien que je bruslasse d'A

mour misérablement, j'ay résisté tant que j'ai peu, mais j'ay eu peu de pouvoir, et mon esprit se sentoit combatu de contraires pensées. Je disoi d'un costé en moy-mesmes: obéirai-je à l'Amour, ou si j'estouferai son feu? Tous les deux avoient ores le dessus et ores le dessous : mais à la parfin j'ai succombé à l'amour, qui s'augmentoit par le retardement; et tout ainsi qu'une plante enracinée en terre, il croissait de plus en plus en mon ame. Ainsi j'ay esté vaincue, je le confesse, par un brandon invincible. » La vieille repart : « Tu me contes un estrange accident, ma fille; tu as dés-honoré ma vieillesse, mais pour-autant qu'une chose faite ne se peut rendre non-faite, il faut pourvoir au reste, et t'advertis bien que tu te donnes gardes cy après, de faire encore une autres-fois la folle, de peur qu'avec le temps et l'effet tu ne devinsses grosse, et que tes père et mère en sentissent le vent. Mais Dieu veille, que viennent bien tost tes nopces, avant qu'on en soit abruvé. Tu ès des-ormais bonne à marier et s'en va temps de donner ordre, que ton père amasse l'argent de ton mariage. Que dites-vous,

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