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ma douleur ? Voilà, je fay joug à vostre beauté, et me rends vostre prisonnier, moy qui jusques icy ay tousjours esté invincible et triomphois de tous mes ennemis. » Mais elle pour response, luy allègue cette chanson digne d'une tigresse, plustost que d'une femme : « Quand vous parlez à moy, vous parlez aux rochers, vous peignez dessur l'onde, vous embrassez les vents, et semez sur l'arène. Brief, vous faictes tout ce que des hommes à déloisir font, et qui ne sçavent à quoy passer leur temps, sinon cercher leur mal'encontre. » A la parfin le pauvre jeune homme désesperé entre desmesurément en colère, et à demi fol et enragé se prent à luy chanter poüilles, et iuy dire injures : « Eh! que tu es une cruelle et venimeuse femme pleine de fiel et de poison! Que tu es inexorable! Je vous en appelle à tesmoins, vous cieux et terre. Une ame si barbare devoit plustost vestir le corps d'une Lionne farousche. » Mais elle en dodelinant un peu de la teste, mettant son chapron de travers, sa main sur les roignons : « J'aurai bien », ditelle, « et sans me tourmenter, la raison de tes propos. Tu ressembles aux faucilles

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de Beausse, tu n'as que le bec, tu ne sçais que japper; tout ce que tu contes, ce sont contes et fadaises. Au reste pour te respondre en un mot, et te clorre la bouche pour jamais les bestes sauvages ne bougeans de leurs tesnieres et forests assaillent peu souvent les hommes, mais quand vous les pressez et poursuivez à la chasse, elles apprenent à se revancher et à estre cruelles tout de mesmes nous aprenezvous par vos continuelles chasses et poursuittes à n'estre point pitoyables, mais à estre revesches, à nous moquer insolemment de vous, et vous bailler des cassades. Car tandis que vous aimez, vous couchez sur la dure devant l'huis de vos maistresses, bien-heureux, ce dites-vous, d'en baiser le coureil, vous faites les petis, et priez que l'on daigne seulement parler à vous par le guichet. Vous serez tout un jour à mugueter une fenestre pour dérober seulement une œillade. Vous faites en pleurant mille et mille sermens que la langue profère et non le cœur. Car les hommes aiment les femmes comme le loup fait la brebis, et telle amour est une amour de loup. Mais aussi tost que vous

avez à cœur saoul contenté vos désirs, et que par un contre-coup d'Amour, celles qu'auparavant vous aimiez, commancent à vous aimer, alors vous devenez glorieux, superbes, et pleins de braverie, vous triomphez de nostre pucellage, vous faites vos risées des pauvres malheureuses, et boufis d'orgueil, vous foullez aux pieds les Cupidons, que n'aguères humbles vous adoriez. Car vos larmes sont volontaires, elles ne durent qu'autant qu'il vous plaist, et sèchent aussi aisément que la sueur de vostre front. Quand à vos juremens, vous avez opinion qu'ils ne vienent pas jusques aux oreilles des Dieux. Desloge donc d'icy, faux affronteur, retire toy de moy, loup ravissant, et n'appelles plus bestes cruelles, celles qui se gardent de tomber entre les griffes des bestes inhumaines comme toy. »

XXI

Un amant fait comparaison de sa maistresse avec les autres Dames.

ABROCOMAS A DELPHIDE

SA MAISTRESSE

Sur ma foy, j'ay contemplé toutes les Dames que j'ay peu voir, non pour les requérir de cela, Mon cœur, afin que vous ne preniez pas mes parolles au pied levé, mais pour vous parangonner de bout en bout à elles, comme ainsi soit que vous passez en beauté toutes autres ; et sur toutes vous avez aussi prins la meilleure place en mon cœur. Et je jure Cupidon qui a si heureusement navré mon ame des traits aimez de vos rares perfections, que de tous points vous surpassez toutes les autres en beauté, gentilesse, et bonne grace. Car vos graces sont sans fard et sans affetterie, et toutes nues, comme on dit; une rougeur naïve vermeillonne vos joues,

vos sourcis d'ébène esclatent brunement sous l'albastre du front: et n'est point besoin de vous atourner la teste de guirlandes, vos cheveux sont assez beaux. Brief, d'autant que la rose est plus soëfve et agréable que toutes autres fleurs, d'autant paroissez-vous entre les autres Dames. Car vous ravissez, Mon tout, et captivez les esprits d'un chacun en vous voyant seulement, par une je ne sçay quelle façon inusitée, mieux que le pescheur n'attrape le poisson, ni l'oiseleur l'oiseau, ni le veneur le faon. Car ces animaux se prenent ou par l'appast, ou par la glus, ou quelque autre moyen, mais par une seule œillade vous nous esclavez en riant. O ma mignonnette, le seul bien et souhait de mon ame, ou plustost l'ame de mon ame, puissiezvous vivre trèslonguement et trèsheureusement! Car c'est à vous seule que s'adressent mes vœuz, et prie tous les Dieux, qu'ils me facent tant de grace de ne me destourner jamais l'esprit de cette sainte volonté. Or sus remportez donc, Ma vie, cette belle victoire par l'aide de Nature, qui vous a si prodigalement enrichie de ses dons, et cependant je garderai pour

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