Page images
PDF
EPUB

autres jeunes hommes aiant cognu une fois qu'on vous aime, vous commancez à dédaigner. Et pour cette cause justement tu adores une seule Thaïs; elle t'est belle, pour ce qu'elle te fuit. Vous autres n'aspirez qu'à choses malaisées, méprisans ce qui est à la main et de facile accès. Que si par fois après luy avoir fait une infinité de présens, priée et repriée en vain, tu t'en vais sans rien faire, alors tu as recours à moy par faute d'autre, prisant beaucoup cette belle Dame de trois deniers. Mais je n'en donne le blasme qu'à moy mesmes, qui suis cause de tous ces maux. Car ayant souventefois juré et rejuré que je romprois cette sotte amitié, si tost que je te voy je deviens toute transportée, et me jette à ton col, sans me resouvenir aucunement de mes sermens, et t'embrassant estroitement je te baise sans cesse, te tiens serré entre mes bras et permets que tu me touches librement le tetin. Tu me cuides, peut estre, avoir tousjours en cette sorte, courtoise et facile à appaiser: mais j'ateste les Amours, tu le cognoistras à l'effet. Mais qu'est-il besoin d'en jurer davantage, puis que je puis m'obliger à cela de moy

mesmes, et à ma volonté en prononcer un arrest sans appel ? A Dieu, ma seconde ame, et au nom des tetons et des baisers de Thaïs, ne me sois plus si rigoureux et défiant.

XVII

Un Rufien prie importunément une honeste femme de son déshonneur.

ÉPIMÉNIDE A ARGINOTE

Vous me remonstrez courtoisement, Madame, et vostre parler ressent aucunement sa pitié. Car vous m'allez disant : « Et quoy, Monsieur, me serez-vous tousjours importun? Voulés-vous point me donner patience? Je suis mariée, laissez moy pour telle que je suis, sans tascher ainsi à me dés-honorer, passez vostre chemin, de peur que mon mari ne survienne, je seroi faschée qu'un si honeste homme eust du mal à mon occasion. » Mais, Madame, en

me faisant ces remonstrances, vous monstrés par vos propos, que vous n'avez jamais aimé, que vous n'avez jamais veu amoureux, car vous parlez en femme nonpratique en l'amour; un vrai amant n'est nullement honteux, non pas mesmes quand il faudroit recevoir des affronts. Il n'est point craintif, non pas mesmes quand il faudroit mourir. Qu'il ait vent et marée, ou non, si ne laissera-il de faire voile. Ce sont des sacrifices, des offrandes plus agréables à Vénus que l'encens et le sang des animaux. Ne me tenez donc plus tels langages. Ce sont contes et pures moquettes où on ne doit point prendre pied. Mais moy, hardi amant, sans m'estonner de rien, j'imiterai la vaillance des Laconiens; car entre eux, les mères admonnestent leurs enfans, quand ils vont à la guerre, et quand à moy, c'est mon esprit qui me presche bien plus amiablement. Vois-tu ce bouclier, mon fils, disent-ellès, ou le raporte, ou qu'il te raporte. Ainsi l'un ou l'autre, vaincu de vos beaux yeux, Madame, ou je mourrai, ou je vous aurai. Les detz sont jettez, arrive telle chance qu'il pourra. Et cependant, ô belle entre

les belles, n'estimez pas que ceci, soient seulement les escrits de ma main ou de ma langue. Vous vous abuseriez de tout en tout. Ce sont les empreintes d'une ame amoureuse qui respand toute sa passion par ces parolles.

XVIII

Un maquereau contre-faisant le Magicien, pour piper un Amoureux.

MANTITHÉE A AGLAOPHON

Une Dame appellée Telxinoé, contrefaisant la femme de bien, se couvrant la moitié du visage d'une cappe, et à peine osant lever les yeux pour regarder le monde, pipoit et affrontoit finement la jeunesse mal-avisée. Car la fausse louve portoit contenance d'une douce brebis, saincte Nitouche; vous n'eussiez pas dit, qu'elle eust sçeu troubler l'eau. Pamphile l'ayant je ne sçay comment avisée de bon œil, en devint aussi tost amoureux, car

recevant par ses yeux la charmeresse poison de sa beauté, s'embrasa de telle sorte, que forcené, il couroit çà et là en guise d'un toreau esguillonné du taon. Mais il craignoit de luy déclarer son amour, d'apréhension qu'il avoit pour cette feinte chasteté. La Dame qui entendoit le matois, eut bon nez et descouvrit incontinant l'envie du jeune homme .

[ocr errors]

Adonc cet affronteur s'acoste de luy, non en qualité de maquereau, ou maquinon d'Amour, mais comme l'un de ces magiciens, et diseurs de bonn'adventure. Et luy contant plusieurs choses estranges, promist par ses charmes divins de mettre la dame en la possession et discrétion du jeune homme. Et de fait après luy avoir tiré de la gibecière quelque nombre de ducats, il fist venir par la vertu de je ne sçay quels mots qu'il grummeloit entre les dents, la Dame dont est question, droit à ses pieds, comme il s'estoit vanté, lors que fortuitement en passant elle s'estoit apparue à eux. Mais elle, pour faire valoir la marchandise, et donner créance à la feinte, s'assiet d'abordée ayant sa cappe sur la

« PreviousContinue »