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L'obligation d'indemniser l'ouvrier, victime d'un accident, trouve désormais son fondement dans le fait du risque créé. C'est l'industrie qui devient responsable des accidents, ce sont les frais généraux de l'entreprise qui doivent en supporter les conséquences, de même qu'ils comprennent la destruction ou l'usure du matériel, les risques d'incendie et autres. La profession expose l'ouvrier à un risque continuel; s'il en est victime, il a droit à une indemnité. « Comme son travail le constitue créancier du salaire, tout accident du travail le fait créancier d'une indemnité >> (Circul. du ministre du Commerce, du 24 août 1899). La loi veut que l'ouvrier soit garanti contre tous les risques qu'il va courir, sans qu'on ait à discuter désormais sur son imprudence ou sa faute, sur le défaut de prévoyance du patron. L'indemnité est même fixée à l'avance, sauf dans le cas de faute inexcusable du patron ou de l'ouvrier; dans ce cas elle peut être majorée ou abaissée par les tribunaux. L'accident causé intentionnellement est le seul qui, en toute justice et raison, ne peut donner droit à une indemnité.

Ainsi, le patron n'a plus à craindre d'être obligé de réparer intégralement le dommage, et l'ouvrier est toujours assuré d'avoir une indemnité malgré sa faute, son imprudence, le cas fortuit, la force majeure. On avait calculé, au moment où l'on discutait la loi, que 68 0/0 des accidents étaient le résultat de cas fortuits ou de force majeure, que 20 0/0 étaient dus à la faute de l'ouvrier et 12 0/0 seulement à celle du patron. Dans 12 cas, le patron était responsable et devait réparer intégralement le préjudice; dans 88 cas sur 100, l'ouvrier n'avait droit à rien. Il aura désormais toujours droit à une indemnité fixée d'avance à forfait; c'est une solution transactionnelle par rapport à la situation antérieure. Grâce à cette indemnité forfaitaire, les patrons peuvent calculer à l'avance l'importance des charges que le risque leur impose; elle est le complément logique du risque professionnel.

B. Étendue et conditions d'application de la loi. — L'article 1er consacre en ces termes le principe du droit nouveau : « Les accidents survenus par le fait du travail ou à l'occasion du travail aux ouvriers ou employés... donnent droit au profit de la victime ou de ses représentants à une indemnité à la charge du chef de l'entreprise. » Quatre conditions sont requises pour que l'article 1er trouve son application : 1° que l'accident soit survenu dans le travail ou à l'occasion du travail; 2o que l'accident soit survenu dans l'une des industries indiquées par la loi; 3o que l'accident soit survenu à des ouvriers ou employés; 4o que l'ioterruption du travail ait duré plus de quatre jours.

a) Première condition: Accident survenu dans le travail ou à l'occasion du travail. Tout accident, c'est-à-dire, tout événement soudain ayant pour effet une lesion corporelle, peut donner lieu à une indemnité. Mais il faut qu'il soit produit par le fait du travail ou à l'occasion du tra

Par le fait du travail, si l'accident a pour cause directe le travail luimême par exemple, l'explosion d'une machine que l'ouvrier fait fonctionner, la chute d'un ouvrier qui tombe d'un échafaudage. Il n'y aurait pas de relation directe entre le travail et un accident provenant de la foudre ou d'un tremblement de terre 1.

Ou à l'occasion du travail, si l'accident, sans trouver sa cause directe dans l'exécution d'un travail, se rattache toutefois au travail de l'ouvrier et en est une conséquence nécessaire. Les accidents arrivés à un mineur qu'on descend dans le puits, à l'ouvrier qui prend ses repas à l'usine ou sur le chantier, au commis employé aux écritures et atteint par une explosion ou la chute d'un bâtiment, trouvent dans le travail leur cause occasionnelle 2.

Ce n'est pas l'exécution du travail qui les a produits, mais ils ont avec ce travail une relation directe.

Il ne faut pas assimiler, aux cas qui précèdent, celui de l'ouvrier tué ou blessé, à la suite d'un accident quelconque, en dehors de la mine ou de l'usine, au moment où il se rend à son travail. L'ouvrier n'a ce titre qu'à partir du moment où il est entré dans l'usine; au dehors, c'est un passant comme un autre que le principe du risque professionnel ne peut couvrir.

Il ne faudrait pas attacher à ces mots : au dehors de l'usine, une portée trop absolue. Une installation d'eau ou de gaz, des réparations faites à des canalisations sont des travaux intéressant l'établissement industriel; l'accident dont des ouvriers seraient victimes viendrait du fait du travail. L'explosion d'une chaudière qui atteindrait l'ouvrier aux abords de l'usine, alors qu'il s'y trouve pour se rendre à son travail, serait un accident ayant un rapport direct avec l'industrie. Il en serait de même des accidents qui surviennent dans les trains organisés par l'entrepreneur pour transporter ses ouvriers sur le chantier; ces moyens de transport sont comme le prolongement du chantier. Le risque professionnel devra s'appliquer à ces différents cas.

Il ne couvrirait pas, au contraire, l'ouvrier qui se trouve à l'usine, alors qu'on lui a défendu d'y venir ou qui, abandonnant son poste, est victime d'un accident dans un endroit où il ne devait pas se trouver3.

Maladies professionnelles. Dans les limites que je viens d'indiquer,

1 Trib. civil de Bourg, 30 janv. 1900, Rev. de dr. ind., 1900, 129.

2 Trib. civ. Saint-Etienne, 29 octobre 1900, Rev. de dr. ind., 1900, p. 337.

3 Consultez, Trib. civ. Versailles, 23 janvier 1900. Trib. civ. Melun, 31 janvier 1900. Trib. civ. Pontoise, 21 mars 1900. Trib. civ. Laon, 12 mars 1900. Trib. civ. du Havre, 18 janvier 1900. Cour de Rouen, 28 février 1900. Jugements et arrêts cités par la Revue: Questions pratiques de législ. ouvrière, 1900, p. 338.

Docteur Mongin, Le risque professionnel dans les maladies et accidents du travail au point de vue de l'hygiène générale et de la médecine judiciaire.

la loi ne doit s'appliquer qu'aux accidents, mais non aux maladies, alors même qu'elles trouveraient leur cause dans le travail1. La nécrose des allumettiers, la colique de plomb, la phtisie des aiguiseurs de meules sont en dehors des prévisions de la loi. Il en serait ainsi même des insolations qui frapperaient un cocher ou un conducteur de tramway; c'est une maladie qui frappe certains tempéraments et en épargne d'autres soumis aux mêmes conditions 2. Il n'y a pas de difficultés à connaître la cause de l'accident, du fait spontané qui se produit, et atteint toute personne dans le cas donné; il y en aurait à chercher l'origine des maladies tenant à des prédispositions naturelles. Il faudra, d'ailleurs, distinguer les maladies, supposant un état continu et durable, nées d'une cause également continue et durable3», des atteintes violentes subies par l'organisme à la suite de manipulations de matières dangereuses ou toxiques. Le fait soudain revêt alors un caractère accidente! et donne lieu au risque professionnel. C'est cette nature de l'affection qui devra guider les tribunaux dans l'appréciation des faits douteux. Il faut dans tous les cas limiter les indemnités aux conséquences immédiates des accidents, sans tenir compte des aggravations provenant d'infirmités ou de maladies préexistantes et étrangères à l'industrie. Celle-ci ne répond que du préjudice qu'elle produit; il faut une relation de cause à effet entre l'accident et la blessure. Une hernie' latente, qui apparait tout à coup à la suite d'un effort violent, pourra donner lieu à indemnité, mais un ouvrier déjà borgoe, qui devient aveugle, ne pourra faire supporter à l'entreprise l'incapacité absolue de travail.

b) Deuxième condition. L'accident doit être survenu dans l'une des industries prévues par la loi. Les dispositions de la loi nouvelle s'appliquent, d'une façon générale, à tout travail ayant un caractère industriel, sans distinguer les industries dangereuses de celles qui ne le sont pas, la grande et la petite industrie; elles n'excluent que le commerce proprement dit et les exploitations rurales qui n'emploient pas de machines.

L'article 1er énumère certaines industries et en désigne deux autres catégories d'une façon collective.

1° Industries assujetties et désignées par la loi. Ce sont << les industries du bâtiment, les usines, manufactures, chantiers, les entre

1 La loi du 21 avril 1898, créant une caisse de prévoyance entre les marins français, contre les risques de leur profession, assimile aux blessures les maladies, ayant leur cause dans un risque de la profession survenu pendant la durée de leur dernier embarquement sur un navire français, et qui les mettraient dans l'impossibilité absolue et définitive de continuer la navigation.

2 Trib. civ. Lyon, 3 mai 1901, Rev. de dr. ind., 1901, p. 292.

3 Paroles de M. Léon Bourgeois à la Chambre, Chambre des députés, 29 octobre 1897; J. Off., p. 2216.

Trib. civ. Lille, 8 novembre 1900, Rev. de dr. ind., 1901, p. 10. Trib. civ. Toulouse, 31 mai 1901, même revue, 1901, p. 191.

prises de transport par terre el par eau, de chargement et de déchargement, les magasins publics, mines, minières, carrières... >>

L'industrie du bâtiment comprend tous les métiers qui concourent à l'édification et à la décoration du bâtiment : maçons, tailleurs de pierre, peintres, menuisiers, serruriers, etc..., mais non les tapissiers, tous ceux dont le travail se réfère au mobilier.

Ces deux mots usines et manufactures, expriment aujourd'hui une idée analogue, supposent une fabrication importante et se distinguent ainsi des ateliers qui ne sont pas compris textuellement dans la loi. Fautil les exclure nécessairement et la loi est-elle limitative? Je n'irai pas jusque-là Il faut soumettre à l'empire de la loi les grands ateliers ressemblant aux usines et manufactures, où l'on travaille à l'avance et sans attendre les commandes pour la vente en gros. Ils ont un caractère industriel; ils livrent aux marchands, non aux consommateurs grands ateliers de confection, de chapeaux, de chaussures, de fleurs artificielles. La loi n'est pas limitative. Les tribunaux ont un pouvoir d'appréciation et décideront si l'établissement a le caractère industriel ou le caractère commercial (Circ. du ministre du Commerce du 24 août 1899) 1.

Les chantiers sont les endroits où travaillent le charpentier, le marchand de bois ou de vins en gros, le maçon, le tailleur de pierre, etc. 2.

Les entreprises de transport par terre et par eau ne comprennent que les travaux dus à une spécialité de métier avec l'esprit de gain comme but final. La loi ne s'appliquera donc pas au propriétaire ou au négociant qui ont des voitures pour transporter leurs produits ou leurs marchandises. Elle ne comprendra pas davantage dans son domaine les entreprises de pompes funèbres qui ne sont pas des industries spécialisant des opérations de transport dans un intérêt privé de lucre; elles ont la spécialité des fournitures d'enterrement, les voitures ne sont qu'un accessoire de la pompe des funérailles. Mais toute véritable entreprise de transport ne peut échapper à l'empire de la loi chemins de fer, tramways, omnibus, voitures, maisons de roulage et de camionnage, sociétés de déménagements, navigation sur les fleuves, lacs, canaux et rivières. Une loi spéciale, la loi du 21 avril 1898, s'occupe spécialement des marins et des pêcheurs (consultez Loubat, Traité du risque profess., p. 102).

L'article 1er contient encore dans son énumération les entreprises de

1 Décisions en ce sens relatives à l'atelier d'un maréchal-ferrant, Trib. de paix de Paris (8e arr.), 15 novembre 1900; Trib. civ. de la Seine (7 ch.), 7 juin 1901; Angers, 13 mars 1901, Rev. de dr. ind., 1901, p. 261, 262.

2 Paris (7e ch.), 12 janvier et 12 février 1901, Rev. de dr. ind., 1901, p. 258, 295. Avis du comité consultatif des assur., du 21 juin 1899.

3 Trib. civ. de la Seine (4o ch.), 30 mars 1901, Rev. de dr. ind., 1901, p. 266. On les dispense d'ailleurs de l'impôt des patentes et des voitures, de celui des portes et fenêtres, des réquisitions en cas de mobilisation. Décret du 7 février 1887; Cass., 30 janvier 1892, Dall., 92, 1, 305.

chargement et de déchargement des navires dans les ports, les magasins publics, ce qui comprend les docks, les magasins généraux, les entrepôts de douane, les salles de vente publique; il indique enfin les mines, minières et carrières. Le principe s'appliquera pour le dernier cas aux ouvriers du fond comme à tous ceux qui travaillent dans les dépendances industrielles de la mine.

2o Industries non désignées spécialement mais où sont fabriquées ou mises en œuvre des matières explosives. Ce sont, comme dit l'article 1er, « des exploitations ou parties d'exploitation » qui, n'étant pas assujetties par elles-mêmes, en tant qu'usines par exemple, le seront à cause des explosifs qu'elles fabriquent ou mettent en œuvre. Un magasin peut fabriquer son gaz ou son acétylène pour son éclairage. La mise en œuvre suppose, non pas le simple emploi, mais la préparation et la manipulation de certaines matières dans le but d'en utiliser les vertus explosives.

3° Industries où l'on fait usage d'une machine mue par une force autre que celle de l'homme ou des animaux. Il s'agit d'exploitations ou de parties d'exploitation qui se servent de machines mises en mouvement par une force élémentaire ou mécanique : eau, vapeur, vent, gaz, électricité, etc., et où un accident s'est produit par l'effet des machines employées.

Exploitations agricoles. Loi du 30 juin 1899. Par elle-même, l'agriculture n'est pas soumise au principe du droit nouveau, à moins qu'il ne s'agisse d'exploitations où il est fait usage de machines mues par une force autre que celle de l'homme ou des animaux. La loi du 9 avril 1898 avait consacré ce principe par son article 1er. Mais des difficultés s'étant élevées sur l'application de cette loi à l'agriculture, la loi du 30 juin 1899 fut édictée pour lever tous les doutes. Son article unique met à la charge de l'exploitant tous les accidents occasionnés, par l'emploi de machines agricoles mues par des moteurs inanimés, aux personnes occupées au service de ces moteurs. L'exploitant est l'individu ou la collectivité qui dirige le moteur ou le fait diriger par ses préposés. En dehors de ce cas, la loi de 1898 ne s'applique pas à l'agriculture.

Le texte de la loi nouvelle (1899) montre qu'il faut faire rentrer, sous ce terme d'exploitant, non seulement le propriétaire, le fermier, ou le colon qui dirigent l'emploi du moteur, mais encore l'industriel qui loue, de ferme en ferme, des machines agricoles, pourvu qu'il en conserve, par lui ou ses préposés, la direction et la surveillance. Tous les travailleurs occupés à leur fonctionnement, à quelque titre que ce soit, sont protégés par la nouvelle loi, alors même qu'ils ne seraient pas des ouvriers salariés, et viendraient à titre d'aides, comme amis ou voisins, prêter leur concours au travail agricole. L'indemnité, pour l'ouvrier à

1 Questions pratiques de législ. industrielle, 1900, p. 193.

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