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preneur pourrait être, en cas d'infraction, exclu pour un temps ou à toujours des marchés de travaux publics, sans préjudice des sanctions habituelles prévues au cahier des charges (art. 4 et 5).

Afin d'éviter que les ouvriers âgés ou peu robustes soient toujours écartés, les décrets invitent l'entrepreneur à prévoir l'emploi d'un certain nombre d'ouvriers recevant un salaire réduit. La proportion maxima de ces ouvriers par rapport au total des ouvriers de la catégorie et le maximum de la réduction possible de leurs salaires seront fixés par le cahier des charges (art. 3, dernier alinéa).

Les mêmes décrets décident qu'une clause du cahier des charges rappellera l'interdiction du marchandage, que l'entrepreneur ne pourra, sans autorisation de l'Administration, céder à des sous-traitants et que cet entrepreneur restera tenu tant envers l'Administration que vis-à-vis des ouvriers et des tiers (art. 2). Ils assurent aux ouvriers un jour de repos par semaine, limitent la durée du travail journalier à la durée normale du travail en usage, pour chaque catégorie, dans la région où le travail doit être exécuté, et enfin défendent d'employer des ouvriers étrangers au-delà d'une proportion fixée par l'Administration suivant la nature des travaux et la région où ils sont exécutés (art. 1er, §§ 1, 2 et 4) 1.

Il faut remarquer la différence de rédaction, que nous présente l'article 1o des décrets. Le premier qui se réfère à l'État nous dit : « Les cahiers des charges devront contenir; » les deux autres, qui se réfèrent aux départements et aux communes, disent au contraire : « les cahiers des charges pourront contenir. » Les prescriptions relatives au salaire, aux conditions du travail sont obligatoires pour l'État, facultatives pour les départements et les communes. Le Parlement a voulu faire lui-même, pour l'État, ce que les administrations départementales et municipales feront pour les départements et les communes. Il a voulu prendre une décision pour les travaux publics dont il vote les crédits ou ordonne l'exécution et laisser aux départements et aux communes, tout en protégeant leurs droits, la liberté des mesures qu'ils prennent.

Les décrets, comme on a pu facilement le voir, par l'exposé qui précède, ne fixent donc pas un minimum de salaires ni une durée uniforme du travail journalier. Ils veulent uniquement, comme on l'a fait en Angleterre (résolution de la Chambre des communes du 13 février 1891), que le salaire des ouvriers soit égal au taux courant dans une région et que les contrats passés par l'État, les départements et les communes ne puissent troubler le cours normal de la main-d'œuvre.

La saisie-arrêt des salaires et petits traitements (Loi du 12 janvier 1895). Toutes les mesures proposées en vue de protéger le salaire des ouvriers, de réglementer les amendes et retenues, le régime des

1 Voir ces décrets dans la Rev. prat. de dr. ind., 1899, pp. 269 et suiv.

économats, le mode de paiement des salaires, les formes différentes qu'a revêtues le « Truck system » sont restées à l'état de projets. La loi du 12 janvier 1895, dans son article 4, s'en est, toutefois occupée, en prohibant, en principe, toute compensation que les patrons voudraient opérer entre le montant des salaires dus par eux à leurs ouvriers et les sommes qui leur seraient dues à eux-mêmes pour fournitures diverses.

Je vais étudier cette loi en me plaçant aux trois points de vue qu'elle envisage saisie-arrêt, cession, compensation. Les règles relatives à la procédure seront examinées à la suite de ce commentaire.

1. Saisie-arrêt. — J'ai donné, aux pages 118 et suivantes, un aperçu sommaire de la législation relativement à la saisie-arrêt de certains traitements, les décisions de la jurisprudence, à défaut de loi spéciale, en ce qui concernait les salaires des ouvriers et des employés, les principales dispositions des législations étrangères. Je puis donc aborder les règles édictées par la loi nouvelle.

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A. Conditions d'application: a) Quant aux personnes et à la portion saisissable. La loi s'applique aux ouvriers et gens de service dont les salaires, quel qu'en soit le montant, ne peuvent plus être saisis que jusqu'à concurrence du dixième; les neuf dixièmes sont considérés comme indispensables à la subsistance de l'ouvrier et de sa famille. La créance du saisissant comme celle de l'ouvrier saisi doivent être certaines. La saisie-arrêt ne pourrait pas s'opérer contre un ouvrier qui loue accidentellement ses services comme journalier; il y a, dans ce cas, une incertitude dans le contrat qui rend incertaine la créance elle-même. Il ne faudrait pas, d'ailleurs, exclure pour cette raison l'ouvrier payé à la journée, lorsque le louage de services ne présente pas un caractère accidentel'.

La loi s'applique encore aux employés, commis et fonctionnaires, dont les appointements ou traitements sont saisissables, jusqu'à concurrence du dixième, lorsqu'ils ne dépassent pas 2.000 francs par an. La loi fixe dans ce cas, un maximum, parce qu'il est facile de le connaître à raison du caractère de stabilité qu'il présente; il n'est pas, comme le montant des salaires, soumis à des variations dues aux temps de chômage et de crises industrielles.

L'ouvrier est celui qui fait un travail manuel; l'employé, le commis, le fonctionnaire est celui qui fait un travail plutôt intellectuel, sans distinguer d'ailleurs s'il est au service d'un patron, d'un établissement public ou de l'État. Mais pour lui, tout est fixé: 1° la portion saisissable,

▲ Lambert, Essai sur la protection des salaires. Bender, Le salaire effectif, sa protection par la loi de 1898. Recordet, Étude historique et législative du paiement du salaire en nature, 1899. - Questions pratiques de législation ou

vrière, 1901, p. 97.

2 Trib. de paix de Saint-Denis, 1er mars 1895, Moniteur des juges de paix, 95,

161. Trib. de paix du Havre, 7 novembre 1893, Le greffier, 96, 151.

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le dixième; la créance qui, dans cette limite, peut faire l'objet d'une saisie, c'est celle qui a pour objet un gain de 2.000 francs au plus. L'employé gagne-t-il une somme supérieure? Il faut appliquer le droit commun; pour les commis et employés, ce sera la jurisprudence qui déterminera la portion saisissable comme elle le faisait avant 1893, en indiquant la somme qui doit être considérée comme ayant la nature alimentaire; pour les fonctionnaires, les lois et décrets qui les concernent garderont leur application (Loi du 21 ventôse an IX. Décret du 19 pluviôse an III). (Voir pages 118 et 119). Ces lois spéciales ne cessent donc d'être appliquées, pour faire place à la loi nouvelle, que dans le cas où le traitement du fonctionnaire public ne dépasse pas 2.000 francs. Les soldes et traitements déclarés insaisissables pour le tout par des lois antérieures conservent leur ancien privilège (sous-officiers, soldats, ministres du culte).

Il faut, pour apprécier le montant de cette somme, tenir compte du gain personnel de chaque individu. Cette remarque a de l'intérêt, lorsqu'il s'agit de deux époux mariés sous le régime de communauté et dont les appointements respectifs ne sont pas supérieurs à 2.000 francs, alors que réunis ils dépassent cette somme. Il faut faire abstraction de la communauté qui n'est pas une personne morale, et considérer la créance spéciale de chaque époux.

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b) Conditions d'application quant au calcul du dixième saisissable. Il faut comprendre, sous le nom de salaire ou de traitement, pour en calculer le dixième, toute rémunération résultant d'un contrat de travail, d'un louage d'ouvrage ou de services.

Il faut donc y comprendre 1° les salaires ou appointements payés en argent, à la journée, au mois ou à l'année, quelle que soit la nature du travail, qu'il s'agisse de sommes dues à un ouvrier, à un employé, aux choristes d'un théâtre, à un voyageur de commerce, au médecin d'un bureau de bienfaisance, à un fonctionnaire quelconque. Il ne saurait y avoir sur ce point aucune difficulté:

2o Les sommes payées aux ouvriers ou employés pour les heures supplémentaires de travail; c'est un salaire véritable et non une gratification.

3° Celles qu'un patrou retient en vue de constituer à l'ouvrier ou à l'employé une retraite pour la vieillesse1. C'est toujours une partie du salaire nominal; sa destination spéciale ne peut porter atteinte à l'éterdue des droits des créanciers qui n'ont à se préoccuper que du chiffre brut des appointements ou du salaire. Les retenues, qui sont entrées dans le calcul du dixième saisissable, ne peuvent plus, d'ailleurs, faire ensuite l'objet d'une saisie particulière.

Nancy,

1 Dijon, 3 mars 1896, Dall., 97, 2, 41, et la dissertation de M. Glasson. 31 mars 1897, Dall., 98, 2, 40. Trib. civ. Dijon, 10 décembre 1898, Dall., 99, 2, 294.

4o Les remises et commissions, les parts d'intérêts allouées aux commis dans les affaires d'une maison de commerce1.

5o Les allocations et prestations en nature. Elles font, en effet, partie intégrante du salaire qui ne consiste pas nécessairament en argent. Elles forment la rémunération du travail et ne peuvent échapper à l'application de la loi. Le logement, le chauffage, l'éclairage ont une valeur facile à déterminer et dont l'importance diminue le montant du salaire donné en argent, mais qui doit compter dans l'ensemble de la rémunération. La théorie contraire' a toutefois été soutenue à raison des difficultés que pourrait présenter l'évaluation de ces prestations en nature. On peut, d'ailleurs, saisir parfois les objets eux-mêmes, et, dans le cas contraire, l'évaluation en argent des avantages fournis n'est jamais impossible3. Il ne faut pas compter, au contraire, pour le calcul de la portion saisissable:

1o Les gratifications qui sont un don facultatif du patron et non une rémunération fixe et certaine du travail.

2o Les pourboires, alors même qu'ils seraient l'unique rétribution de certains employés, car on ne pourrait pas les saisir dans les mains du patron qui ne les détient pas, ni dans celles des clients qui les don

nent.

3o Les indemnités, dues pour frais de route, allouées à un commis-voyageur, qui représentent non la rémunération du travail, mais le remboursement des dépenses que l'employé est obligé de faire pour l'accomplissement de son service.

Toutes ces sommes, qui seront ou non saisissables dans les limites de la loi de 1895, supposent des ouvriers ou des employés exerçant actuellement une profession. Mais s'ils abandonnent leur métier ou leur fonction, ils se trouvent aussitôt en dehors de la protection de la loi. Ils pourront avoir droit à une pension de retraite, ou s'ils sont arrêtés dans leur travail par un accident, à des indemnités. Ce n'est plus, sans doute, un salaire, mais il existe une relation étroite entre l'idée du salaire et ces pensions ou indemnités, car les unes sont souvent constituées par des retenues de salaires et les autres représentent la rémunération perdue. Sont-elles insaisissables? Les pensions de retraite des fonctionnaires, des membres de la Légion d'honneur sont insaisissables en partie (Lois des 11 avril 1831, art. 28; 18 avril 1831, art. 30; 9 juin 1853, art. 26). La loi de 1895 ne s'est pas occupée de protéger l'ouvrier sous ce rapport. Les pensions de retraite pourront donc être saisies en totalité, et, quant aux indemnités dues en cas d'accidents, elles ne pourront

1 Trib. civ. Lyon, 20 janvier 1898, Dall., 99, 2, 220.

2 Trib. civ. Corbeil, 2 mars 1898, Dall., 99, 2, 220; Justice de paix Versailles, 6 juillet 1898, Gaz. des Tribun., 98, 2, 414.

Trib. civ. Lisieux, 6 février 1900, Gaz. Pal., 24 février. Consultez Josserand, dans la Revue Questions pratiques de législ. ouvrière, 1900, p. 189.

plus l'être, depuis la loi du 9 avril 1898 (art. 3), lorsqu'elles sont allouées sous forme de rentes.

II. Cession. Quelle est la portion cessible des salaires et petits traitements? Aux termes de l'article 2: « Les salaires, appointements et traitements visés par l'article 1er, ne pourront être cédés que jusqu'à concurrence d'un autre dixième. » Il résulte de cet article qu'un second dixième, qui n'est pas saisissable, est seul cessible. La saisie et la cession se trouvent nettement séparées; le dixième saisissable ne peut être cédé, le dixième cessible ne peut être saisi. Les créanciers saisissants ne courent plus le risque de rencontrer des créanciers cessionnaires sur le dixième saisissable; il n'y a plus à se préoccuper de réglementer un concours qui ne peut pas se présenter.

On n'a pas voulu que l'ouvrier ou l'employé ne pussent que céder la portion saisissable, «< afin d'empêcher un débiteur de mauvaise foi de se procurer le bénéfice de l'insaisissabilité complète en cédant l'unique dixième à un compère (rapport du Sénat). » La cession a donc lieu pour un autre dixième afin de laisser à l'article 1er, qui s'occupe de la saisie, toute sa portée.

Cette modification, apportée aux principes généraux, peut avoir une conséquence facheuse. Supposez que l'ouvrier ait déjà cédé un dixième à l'un de ses créanciers; s'il a un second créancier, il ne peut plus lui consentir de cession même pour le dixième qui demeure saisissable; la saisie s'impose donc avec les frais qu'elle entraîne.

On pouvait objecter que la disposition de l'article 2 enlevant à l'ouvrier la libre disposition des neuf dixièmes insaisissables, le privait de tout crédit, et le gratifiait d'une protection qui le mettait en tutelle. Mais le législateur a voulu précisément le prémunir contre les trafiquants qui abusent de sa situation, et qui éviteront de commettre à son préjudice des actes frauduleux qu'un crédit limité ne pourra plus encourager.

Le cessionnaire devra prouver son droit par un transport régulier, rédigé sur papier timbré fait en double, signé par les deux parties et enregistré. Dans le cas d'une double cession, la date de la signification du transport faite au débiteur cédé indiquerait la priorité du droit des cessionnaires.

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III. Saisies et cessions faites pour le paiement des dettes alimentaires prévues par les articles 203 à 207, 214 et 349 du Code civil. - « Ces saisies et cessions, dit l'article 3, ne sont pas soumises aux restrictions qui précèdent. » Il faut supposer que l'ouvrier ou l'employé est débiteur de l'une des créances alimentaires prévues aux articles énumérés. Dans ce cas, le salaire peut être saisi non pas seulement jusqu'à concurrence du dixième, mais dans la limite de la créance alimentaire qu'il faut apprécier suivant les besoins de celui qui la demande, et suivant les ressources de celui qui la doit.

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