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statue à Paris, en 1893, et à Loudun, sa ville natale, le 14 mai 1894. Les tentatives, faites pour reno uveler et perpétuer l'œuvre de Renaudot, furent éphémères et peu efficaces.

Après la Révolution, la suppression des corps de métiers aurait rendu plus nécessaire la création de bureaux de secours et de travail, mais c'est le souvenir des corporations que fit échouer tout projet de cette nature. Les placeurs firent quelques tentatives infructueuses; l'embauchage dans les lieux publics et le placement direct restèrent néanmoins la seule ressource des ouvriers en quête de travail. L'État s'était fait, d'ailleurs, le grand distributeur du travail et dépensa des sommes considérables, pour procurer provisoirement à des milliers d'ouvriers, dans des ateliers publics, un travail de charité nul et sans surveillance.

2° Époque du Consulat jusqu'au décret de 1852.- Le régime des bureaux de placement fut alors celui de l'autorisation préalable avec privilège, et investiture du préposé par l'administration préfectorale (Ord. du préfet de police, 20 pluviôse an XII). A partir de la Restauration, l'industrie des placements devient libre (Ord. 6 février 1823), sauf pour la boulangerie qui rentra dans le droit commun, le 18 septembre 1830.

Le 8 mars 1848, le gouvernement provisoire posa le principe de la gratuité des bureaux de placement à la charge des municipalités dans un décret rendu sur le rapport de la commission du gouvernement pour les travailleurs. Ce décret ne supprimait pas les bureaux libres, mais le préfet de police prit sur lui de porter atteinte à une liberté que le droit commun reconnaissait; sa décision fut, d'ailleurs, reconnue comme illégale par les tribunaux qui rétablirent les placeurs dans leurs droits.

3o Régime du décret du 25 mars 1832. Ce décret qui existe encore aujourd'hui, exige, pour toute création de bureaux de placements une permission spéciale délivrée par l'autorité municipale dans les départements et, à Paris, par le préfet de police. Ce décret n'a pas songé à donner un véritable monopole à des placeurs officiels, il a voulu seulement établir une surveillance sérieuse et un contrôle permanent de l'autorité publique. Il faut reconnaître, toutefois, que l'administration crée ainsi une catégorie de personnes paraissant investies d'un privilège, d'autant plus que le nombre restreint des autorisations constitue, en faveur des titulaires, un véritable monopole.

Cette industrie qui compte, à Paris seulement, 350 bureaux, plaçant près de 500,000 ouvriers chaque année, a été vivement critiquée. Le contrôle de l'autorité ne s'est jamais exercé d'une façon effective, n'a pas empêché l'installation de bureaux clandestins et une foule d'abus déplorables, tels que des exagérations de tarifs, des demandes d'avances, d'injustes spéculations.

Depuis 1875, une ligue pour la suppression des bureaux de placement s'est constituée et a suscité de nombreux projets de réformes. Les uns

veulent la liberté de placement, les autres la suppression des bureaux existants au moins après un certain délai, et leur remplacement par des bureaux gratuits institués par les municipalités, les syndicats et les sociétés de bienfaisance. Le conseil supérieur du travail s'est prononcé pour la liberté sans imposer la gratuité; mais la tendance qui semble prévaloir, c'est le désir de faire du placement une opération professionnelle et gratuite, et non une opération commerciale.

4o État actuel du placement par intermédiaire1.— Sous le régime actuel, les ouvriers et les patrons ont le droit de s'adresser aux agences autorisées, aux syndicats, aux bureaux créés par les municipalités. Les syndicats peuvent, d'après l'article 6 de la loi du 21 mars 1884, sur les syndicats professionnels, « créer et administrer librement des offices de renseignement pour les offres et les demandes de travail. La meilleure organisation se trouverait dans une chambre syndicale mixte composée de patrons et d'ouvriers, car chaque syndicat séparé présente des inconvénients. S'agit-il de syndicats de patrons? les ouvriers n'aiment pas à s'y adresser pour éviter d'être sous leur dépendance. S'agit-il de syndicats ouvriers? les patrons s'y rendent avec peine, parce qu'on veut leur imposer un tarif de salaires absolu et leur enlever le choix des employés qu'on désire placer suivant l'ordre des inscriptions.

En dehors des bureaux créés par les syndicats, les mairies ont établi, dans certains arrondissements de Paris, des bureaux gratuits, en vertu du droit que leur accorde la loi du 5 avril 1884.

L'initiative individuelle s'est, en outre et depuis longtemps, manifestée par des institutions charitables, permettant aux ouvriers sans travail d'en trouver sans avoir besoin de s'adresser aux bureaux autorisés : ce sont les œuvres d'assistance par le travail, d'hospitalité de nuit, les écoles professionnelles, les couvents, refuges, patronages et autres œuvres de bienfaisance. La liberté, laissée au placement des ouvriers, permet à chaque institution de satisfaire des besoins multiples et de répartir le travail d'une façon plus large et plus équitable.

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c) Placement direct par les travailleurs. Le placement personnel et direct est celui qui met en présence l'ouvrier et le patron sans le concours d'aucun intermédiaire. La recommandation d'un protecteur, l'avis donné par un camarade ne détruit pas le caractère du placement direct. Il se trouve également facilité par les avis d'offres et demandes d'emploi que les journaux insèrent suivant certains tarifs, ou par cette publicité gratuite résultant d'écriteaux placés par les fabricants à la porte des ateliers.

Les stationnements publics d'embauchage, sur la place de certaines villes, facilitent aussi le placement direct. Le patron ne traite pas tou

Le placement des employés, etc... (public. de l'Office du travail). Beauregard, Les bureaux de placement (le Monde économique, 13 mai 1893).

jours, d'une façon immédiate avec les ouvriers, et charge de cette office une autre personne contre-maître, piqueur, marchandeur ou sousentrepreneur.

Les employés et domestiques se placent surtout « par connaissance » avec l'aide des fournisseurs des maisons: boulangers, épiciers. Les aubergistes et débitants de vin rendent un service semblable aux ouvriers, et ces renseignements officieux facilitent toujours un placement direct, sans émaner d'une agence établie dans le but spécial du placement des travailleurs.

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d) Bourses de travail'. On peut rattacher l'origine des Bourses de travail aux stationnements publics d'embauchage que les villes d'une certaine importance ont toujours autorisés sur certaines places déterminées. A Paris, ces « places de grèves,» au nombre de quarante, sont surtout fréquentées par les ouvriers en bâtiments. C'est le marché du travail où les patrons peuvent venir discuter les conditions d'embauchage. Ces marchés en plein air sont le principe de ces marchés nouveaux plus confortables et surtout plus dispendieux.

Les Bourses de travail existent dans la plupart des grandes villes, sans être toutefois légalement reconnues. C'est le 22 mai 1892 qu'a été inaugurée à Paris la Bourse centrale du travail. Cet édifice, abandonné par la ville aux chambres syndicales, n'a pas coûté moins de trois millions et a occasionné, à la charge du budget municipal, des subventions annuelles s'élevant à deux cent mille francs environ. Le gouvernement a été obligé de fermer cette Bourse de travail, au mois de juillet 1893, parce qu'elle recevait des syndicats professionnels constitués illégalement, et qui, malgré les avis des pouvoirs publics, refusaient obstinément de se conformer à la loi.

Jusqu'ici, en effet, ces institutions ont manqué leur but et n'ont servi de réunion qu'aux syndicats d'ouvriers socialistes. C'est là que se fomentent les grèves et d'où partent les sommations adressées aux pouvoirs publics. Les Bourses des départements, au nombre de trente environ, s'inspirent d'un esprit semblable, et les congrès, qui se sont réunis à différentes époques (en 1892 à Saint-Étienne, en 1893 à Toulouse), expriment l'idée qu'une liquidation sociale, prochaine et inévitable, permettra de faire droit aux revendications ouvrières.

Le règlement, élaboré par le Conseil d'État et soumis à la signature du Président de la République (juin 1894), indique quel doit être le véritable but des Bourses de travail. Elles doivent faciliter les transactions relatives à la main-d'œuvre, au moyen de salles d'embauchage publiques, auxquelles on peut joindre des bureaux de placement gratuit et des offices de renseignement. Tous les patrons, ouvriers et employés, syndiqués ou non, peuvent profiter de cette organisation. Les bureaux

1 De Molinari, Les Bourses de travail.

de placements gratuits, ne peuvent être établis dans la Bourse de travail que par les syndicats légalement constitués ou par d'autres sociétés reconnues (sociétés de secours mutuels, d'assistance par le travail, de compagnonnage). Le préfet n'intervient que pour assurer l'ordre et le respect de la légalité.

Le local de la Bourse doit donc être un terrain neutre, où puissent se rencontrer patrons et ouvriers, pour traiter les conditions du contrat de travail, pour y établir un centre d'affaires et non un centre politique. e) Le placement à l'étranger. Dans la plupart des pays étrangers, les bureaux de placement n'existent guère que pour les domestiques. Les ouvriers se placent par l'intermédiaire des corporations, trade-unions, artèles, ou syndicats auxquels ils appartiennent; il en est ainsi en Allemagne, en Angleterre, en Russie et en Autriche. Il existe, toutefois, des bureaux de placement pour les ouvriers, en Suisse, en Danemark, en Suède et en Norwège. En Belgique, les Bourses de travail fonctionnent avec le caractère de bureaux de placement, à Bruxelles, à Liège et à Gand. Il en existe plusieurs à Bruxelles; l'une est sous la présidence du bourgmestre, l'autre, la Maison du peuple, est la Bourse des socialistes et des syndicats; une troisième est établie au cercle Concordia, centre des ouvriers antisocialistes catholiques. En Hollande, la Bourse du travail, établie à Amsterdam, depuis 1886, s'occupe de placer, moyennant une rétribution minime, les ouvriers de toute profession.

B. Conditions relatives à la conclusion du contrat de travail. - Le louage de travail est un contrat consensuel qui exige, pour sa formation, quatre conditions: 1o le consentement des parties, 2° leur capacité, 3o une chose, c'est-à-dire le travail à fournir par l'ouvrier, 4° un prix, soit le salaire à payer par l'entrepreneur. Le travail et le salaire rentrent dans les prestations dues par les deux parties contractantes; je les étudierai en dernier lieu et ne retiens ici que le consentement et la capacité.

a) Le consentement. L'accord des contractants peut se manifester de toute manière par écrit ou verbalement, d'une façon expresse ou tacite. Il doit être exempt de toutes les causes qui peuvent l'annuler ou le vicier erreur, violence ou dol; en présence de tels faits, les tribunaux appliqueraient les principes du droit commun. Le contrat ne peut être rescindé, sous prétexte que l'ouvrier, en proie à la misère, accepte un salaire minime; la lésion n'est pas, en principe, une cause de rescision du contrat. Pour admettre la nullité, il faudrait prouver l'absence réelle de liberté dans le consentement donné.

Le contrat, formé sous la pression d'une coalition, licite depuis 1864, ne serait pas annulable, à moins qu'il n'y ait eu des actes de violence ou des menaces formelles portant atteinte à la liberté du travail.

Des règlements d'ateliers. 1° Rôle et caractère. Ces règlements,

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lus et affichés dans l'usine, se rattachent à la conclusion du contrat de travail, car ils deviennent une loi pour les ouvriers, qui sont intéressés comme le patron au bon fonctionnement des ateliers. Ils ne remplacent pas nécessairement le contrat de travail qui peut varier suivant chaque individu, comme ils diffèrent eux-mêmes les uns des autres suivant les régions et les industries.

Leur but est de déterminer les obligations réciproques des parties, les conditions d'admission et de sortie des ouvriers, le mode et le paiement des salaires, les précautions à prendre dans l'exécution du travail, les retenues sur les salaires au profit des caisses d'assurances ou autres, les amendes infligées en cas de violation du règlement et qui en deviennent la sanction efficace.

L'entrepreneur, qui a la direction et la responsabilité, prend l'initiative des règlements intérieurs qui ne seraient nuls que s'ils étaient contraires aux lois et aux bonnes mœurs.

2o Intervention du législateur en matière de règlements d'ateliers. Les critiques soulevées contre les règlements d'ateliers, à raison surtout des amendes et des retenues sur les salaires, ont motivé des projets de réforme. L'un d'eux voulait enlever au patron le droit de faire des règlements intérieurs qui seraient rédigés par une commission du travail composée, en nombre égal, de délégués élus par les ouvriers et les employeurs des divers centres industriels.

Mais le projet voté par la Chambre, le 5 novembre 1892, laisse au patron la faculté de faire un règlement d'atelier, sauf à le soumettre à l'homologation du conseil de prud'hommes ou, à défaut, du juge de paix. Le projet de règlement doit, avant d'être approuvé, rester affiché dans l'atelier pendant un mois, afin que les ouvriers puissent faire parvenir leurs observations aux autorités chargées d'approuver le règlement.

Ce projet de loi, relatif aux règlements d'ateliers, a perdu, devant le Sénat, sa portée première et générale et est devenu une simple proposition sur le paiement du salaire des ouvriers (Sénat, session de 1894). Il fixe les conditions du paiement et s'occupe des retenues de salaires; nous retrouverons ces dispositions dans des études ultérieures.

30 Législation comparée. Dans les pays étrangers, le législateur s'est également occupé des règlements d'ateliers. La loi fédérale suisse, du 23 mars 1877, et la loi allemande du 8 mai 1891 imposent au patron l'obligation de faire des règlements d'ateliers ou ordres de travail (Arbeitsordnung). La loi suisse, dans son article 7, nous dit : « Les fabricants sont tenus d'établir un règlement sur toute l'organisation du travail, sur la police de la fabrique, sur les conditions d'admission et de sortie, sur le paiement des salaires. » Ce règlement, dit un message du Conseil fédéral, est obligatoire, parce qu'il est le meilleur moyen pour fournir la preuve que l'organisation de l'établissement industriel est conforme aux prescriptions de la loi.

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