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Kensington). Des associations s'occupent encore des apprentis, mis à la charge des paroisses et pour lesquels certains règlements ont été édictés. L'Italie a des Instituts techniques de différents degrés et des écoles royales donnant un enseignement commercial supérieur.

La Suède, le Danemark, la Belgique, ont également de nombreuses écoles d'apprentissage. En Russie, les ateliers de travaux manuels, qui se sont surtout développés depuis quinze ans, sont dus en grande partie à l'initiative de la Société impériale polytechnique de Saint-Pétersbourg.

TITRE II.

Louage de travail ou contrat de salaire '.

SECTION I. Idée du droit dans le louage de travail.

Le contrat de travail intervient entre un patron qui s'oblige à donner un prix déterminé à un ouvrier, en échange de services que celui-ci doit lui rendre ou d'un ouvrage qu'il doit faire: louage de services pour l'ouvrier qui travaille à temps, louage d'ouvrage pour celui qui travaille aux pièces ou à façon. Telle est l'idée générale; je préciserai bientôt la nature juridique de ce contrat. J'aurai surtout en vue le louage de services, sauf à indiquer les règles spéciales du louage d'ouvrage, lorsque je les rencontrerai.

Pothier, dans son Contrat de louage, ne songe pas à traiter spécialement du contrat de travail unissant des ouvriers avec des entrepreneurs, parce qu'il le considère comme en dehors des relations juridiques, comme une affaire de police qui n'a pas à prendre sa place dans des études de droit civil.

Le silence de Pothier explique le laconisme du Code civil, et cependant les principes nouveaux avaient fait entrer les rapports contractuels des patrons et des ouvriers dans le domaine du droit privé. Toutefois, la politique industrielle du Consulat et de l'Empire faisait revivre le souvenir des règlements de police de l'ancien droit, et méconnaissait l'égalité juridique par ses dispositions de faveur au profit du patron. Le Code civil se fit sous l'influence de ces idées qui régnaient encore et ses rédacteurs ne voulurent pas s'occuper en détail de rapports contractuels, dont ils sentaient la difficulté de déterminer les bases au lendemain d'une ère nouvelle dans le régime de l'industrie.

1 Guillouard, Traité du contrat de louage. Laurent, Principes de droit civil, t. XXVII. Aubry et Rau, t. IV. Glatard, Contrat de travail. Le Saulnier, Des ouvriers des usines. Tuya, Louage d'industrie. Glasson, Le Code civil et la question ouvrière. P. Leroy-Beaulieu, La question ouvrière et Essai sur la répartition des richesses. Sauzet, Le nouvel article 1780 et le livret obligatoire. Beauregard, Théorie des salaires. Villey, La question des salaires. Fawcett, Travail et salaires. Fougerousse, Patrons et ouvriers. Mony, Etude sur le travail.

« Tel qu'il existe aujourd'hui, dit M. Glasson, l'ouvrier, travailleur libre et indépendant, est un homme tout nouveau dans notre société... En l'absence de précédents, à défaut de coutumes uniformes, les rédacteurs du Code civil ont presque entièrement passé les ouvriers sous silence1. »

Mais des lois nouvelles sont venues, dans ces derniers temps, combler les lacunes de la législation ou modifier ses règles premières. Les mesures qui sentaient la différence de classes et viciaient la liberté du contrat de travail ont disparu. L'obligation du livret, l'inégalité en matière de preuve, l'insuffisance des bases d'indemnités en cas de rupture unilatérale du louage de services: toutes ces conséquences d'une législation antérieure n'existent plus. L'idée du droit s'est affirmée depuis. 1789 et gagne du terrain à la suite de conquêtes successives. Les relations contractuelles des patrons et des ouvriers ne sont plus comme dans l'ancien droit affaires de police, mais rentrent dans le domaine juridique. En l'absence de lois spéciales, le droit commun devra les régir d'après cette règle générale édictée déjà par la loi du 22 germinal an XI (art. 14): « Les conventions faites de bonne foi entre les ouvriers et ceux qui les emploient seront exécutées. »

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A. Notions générales et définitions. Le fait qui donne naissance au contrat de travail est simple et facile à comprendre. Un entrepreneur veut établir une industrie; son travail personnel est insuffisant pour faire valoir le capital dont il dispose et il fait appel au concours d'ouvriers salariés. Ce n'ést pas un contrat d'association qui va se former entre eux, car la situation des deux parties n'est pas égale: 1o l'ouvrier, qui est sans avances, ne peut attendre trop longtemps sa rémunération; il a besoin, pour se procurer toutes les choses nécessaires à la vie, d'un salaire déterminé, payable à des époques assez rapprochées; 9 ce salaire ne peut être subordonné aux risques, de l'entreprise que l'ouvrier n'a pas conçue et ne dirige pas; il n'avait rien à perdre, il n'a rien pu risquer. L'acte qui intervient entre ces deux coopérateurs dans l'œuvre de la production est donc une convention à forfait, par laquelle l'entrepreneur promet à l'ouvrier une somme fixe et payable à des époques déterminées, en échange de l'abandon que l'ouvrier fait des produits de son travail.

Ce contrat, pour l'économiste, est une forme de l'association où la part de l'un est fixée à forfait; c'est la vente d'une marchandise qui, sous le nom de main-d'œuvre, a un prix fixé en principe suivant les lois de l'offre et de la demande, et suivant l'utilité du travail et du besoin

1 Glasson, Le Code civil et la quest. ouvr., p. 6.

Villey, La question des salaires, p. 131.

G. BAY.

qu'on peut en avoir à une époque donnée ; c'est encore l'échange d'un nombre d'heures de travail ou d'une tâche déterminée pour un salaire qui en est l'équivalent 3.

Pour le juriste, c'est un louage, auquel s'applique la définition de l'article 1710 du Code civil: « le louage d'ouvrage est un contrat par lequel une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre, moyennant un prix convenu entre elles. »

Cette définition est générale et s'applique à tous ceux qui louent leur travail ouvrier au service d'un entrepreneur, artisan au service du public. Mais qu'on se garde ici d'une confusion. Le salarié est celui qui travaille pour le compte d'un autre homme, c'est l'ouvrier de la manufacture, des mines, l'agent de la compagnie des chemins de fer. Ce dernier est un bailleur d'ouvrage lié par le contrat de salaire, qu'il soit commissionné ou non. L'agent non commissionné est engagé suivant les besoins du service et payé à la journée; l'agent commissionné est payé au mois ou à l'année et engagé pour un temps indéterminé. L'importance du rôle que le salarié peut remplir ne change pas à elle seule la nature du lien juridique3. Qu'il s'agisse de manoeuvres, de contre-maîtres, d'employés supérieurs, s'ils sont au service spécial d'une exploitation, tous sont des salariés, sinon des ouvriers, mot que l'on réservera aux travailleurs manuels. Mais l'artisan qui travaille pour le public, bien que lié par le louage d'ouvrage, n'est pas un salarié proprement dit.

Le contrat de travail peut revêtir parfois le caractère d'un mandat salarié, mais ce n'est que dans le cas où l'employé a mission de représenter l'employeur; sinon, quelle que soit la nature de la fonction, il n'y a toujours qu'un louage de services ou d'ouvrage.

Le Code civil, dans son article 1779, distingue trois espèces principales de louage d'ouvrage ou d'industrie : « 1° le louage des gens de travail qui s'engagent au service de quelqu'un (cette expression gens de travail comprend les domestiques, ouvriers et employés); 2° celui des voituriers, tant par terre que par eau, qui se chargent du transport des personnes ou des marchandises; 3o celui des entrepreneurs d'ouvrage par suite de devis ou marchés. » Ces trois espèces de louage, n'en font réellement que deux : 1° le louage de services; 2o le louage d'ouvrage ou à la tache, à l'entreprise; c'est ce double caractère qu'il faut dégager en ayant en vue le contrat de salaire.

B. Louage de services, travail à temps; louage d'ouvrage, travail à la tâche, à l'entreprise. a) Louage de services. Par ce louage, l'ouvrier s'oblige à travailler pour un temps sous les ordres

1 Gide, Princ, d'éc. polit., 3e édit., p. 527.

--

2 Cauwès, Cours d'écon. polit., 3e édit., p. 10.

3 Cass., 22 janv. 1882, Sir., 82, 1, 209.

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d'un entrepreneur. C'est le contrat à la journée; le salaire fixé suivant le temps et la productivité présumée du travail est payé à des époques déterminées. Le patron subit tous les risques, même ceux qui concernent le travail d'exécution; les pertes fortuites des matières premières et des produits sont à sa charge, sans qu'il puisse se dispenser de payer les journées de travail. L'exécution du travail à la journée demande une surveillance minutieuse, pour en assurer la productivité. L'égalité des salaires, résultant d'un travail de même durée, est souvent modifiée d'ailleurs par des tarifs variant suivant l'intensité de la production et l'activité de l'ouvrier.

b) Louage d'ouvrage, travail à la tâche. -1° Travail à la tâche d'un ouvrier traitant seul avec l'entrepreneur. Ce louage a pour objet un certain travail à exécuter et dont le prix est fixé d'après l'ouvrage convenu et non d'après la durée du travail; l'ouvrier est alors payé à la tâche, aux pièces ou à façon. Si l'ouvrier fournissait à la fois le travail et la matière première, il y aurait vente d'une chose fabriquée, plutôt que louage d'ouvrage.

Ce travail à la tâche a, pour avantages, de stimuler l'intérêt person nel de l'ouvrier, de développer ses qualités morales, de le préparer au patronat; il accroît la puissance productive, est plus rémunérateur et évite au patron les nécessités de la surveillance. Les salaires seront inégaux et cependant ce genre de travail procure parfois une égalité rationnelle que ne présentent pas certains travaux à la journée; on a constaté que la femme travaillant aux pièces obtient souvent un salaire égal à celui de l'homme exerçant un emploi analogue.

Mais il n'est pas sans inconvénients. Le tâcheron prend à sa charge les risques du travail d'exécution, il supporte les pertes fortuites des matières premières, en ce sens que s'il est libéré de livrer le travail, il ne peut demander en retour aucun salaire. Il peut se tromper sur l'appréciation du temps nécessaire à l'exécution du travail et subir une perte. C'est pourquoi les patrons assurent, en général, aux travailleurs aux pièces, un minimum de salaire journalier égal à celui que leur procurerait le travail à la journée. Le conseil municipal de Paris décidait, dans sa séance du 2 mai 1888, que, dans les travaux de la ville, le salaire à la tâche serait fixé de manière à assurer, par jour, à l'ouvrier, le prix de la série sans rabais.

Ce travail à la tâche peut produire un abus des forces de l'ouvrier, car il sera d'autant plus rémunérateur qu'on aura fait l'ouvrage en peu de temps. On peut craindre un chômage volontaire après ce labeur excessif, un emploi moins régulier du temps.

Il excite, en outre, l'ouvrier à travailler vite mais moins bien, et aussi les industries artistiques qui exigent le fini de la main-d'œuvre n'emploient pas de tâcherons. Les établissements métallurgiques et le

tissage, où il n'y a pas à craindre les effets de la précipitation, les admettent plus facilement.

Les socialistes et les unions de métiers condamnent le travail à la tâche à raison du surmenage, de la concurrence entre ouvriers et des difficultés qu'il fait naître entre les patrons et les travailleurs.

2o Travail à la tâche exécuté par une association d'ouvriers. Les résultats de l'entreprise et du contrat de salaire se trouvent réunis en la personne du tâcheron qui devient un sous-entrepreneur, un soustraitant. Un groupe d'ouvriers, en se réunissant, arrive à combiner l'association et le salariat. Il s'entend avec le manufacturier pour l'exécution d'un travail à forfait et devient un sous-entrepreneur tout en conservant une rémunération certaine, tout en restant à l'abri des risques de la direction et de la responsabilité commerciale de l'entreprise.

Cette association entre tâcherons est connue dans l'industrie parisienne sous le nom de commandite; elle offre aux ouvriers le moyen de composer eux-mêmes l'atelier, d'échapper ainsi à la surveillance du patron qui n'intervient que pour fournir les matières premières et, le plus souvent, les outils et les machines.

On rencontre cette association dans la grande industrie et, en particulier, dans celle de la construction des machines. On a pu en apprécier les effets dans les chantiers de construction de navires de la Tamise, dans les usines de la société Cail et de la compagnie de Fives-Lille. A Amsterdam, les ouvriers tailleurs de diamant forment également de petites associations travaillant à façon.

Il ne faut pas confondre cette association avec le marchandage dont je vais parler, car l'article 2 du décret du 2 mars 1848 qui proscrivait le marchandage disait : « Il est bien entendu que les associations d'ouvriers qui n'ont point pour objet l'exploitation des ouvriers les uns par les autres ne sont pas considérées comme marchandage. »

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30 Du marchandage. Le 1er mars 1848, une délégation de 200 ouvriers était venue au Luxembourg afin d'exposer ses prétentions à la Commission du Gouvernement pour les travailleurs. Cette Commission, présidée par Louis Blanc, avait pour mission d'organiser le travail. Les ouvriers réclamaient la réduction des heures de travail et l'abolition du marchandage comme injuste et vexatoire. Un décret du 2 mars 1848 ratifia leurs revendications en décidant que l'exploitation des ouvriers par des sous-entrepreneurs ou marchandage était abolie. Un second décret du 21 mars punit le marchandage d'une amende de 50 à 200 francs et, en cas de double récidive, d'un emprisonnement de un à six mois. Qu'est-ce donc que cette exploitation injuste et vexatoire dont nous venons de voir décréter l'abolition? Je distinguerai, pour mieux en préciser le caractère, le marchandage simple ou combinaison du travail à la tâche avec le travail à la journée, et le marchandage

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