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de cour permanente. La décision rendue par la cour est obligatoire pour l'ouvrier qui, dans les quarante-huit heures, n'a pas manifesté son refus d'adhérer à la convention. Cette sanction est illusoire, car l'ouvrier peut toujours s'y soustraire, en donnant congé à son patron, à la seule condition d'observer les délais de prévenance.

2° Allemagne. Les tribunaux industriels, que nous avons entrevus déjà dans ce pays, avec la mission de trancher les conflits individuels, ont encore le droit de résoudre, par la conciliation et l'arbitrage, les conflits collectifs (loi fédérale, 29 juill. 1890). Ils doivent être saisis en vertu de l'accord des deux parties; leur sentence peut fixer, pour l'avenir, les bases des contrats, mais elle n'est pas susceptible d'exécution forcée ce sont là deux différences avec le cas où ils jugent les conflits individuels. La sanction du jugement qui intervient à la suite d'un différend collectif, est donc purement morale, et afin d'y intéresser l'opinion publique, le tribunal fait publier sa décision, avec l'avis des délégués de chaque partie, dès que le délai fixé pour l'accepter se trouve expiré.

3o Belgique. Les conseils de l'industrie et du travail, autorisés par la loi du 16 avril 1887, ont un caractère identique. Ces conseils de conciliation et d'arbitrage, établis dans les grands centres industriels, sont composés en nombre égal de patrons et d'ouvriers. Ils se divisent en sections qui correspondent aux plus importantes industries d'une région et peuvent, comme conseils consultatifs, s'occuper des intérêts généraux du travail industriel.

Cette loi ne fut pas accueillie avec un grand enthousiasme par les patrons et les ouvriers, et il n'y aurait sans doute pas en core un seul conseil établi sans l'initiative que prit le gouvernement en 1889. Il institua, à cette époque, plusieurs conseils et, en 1892, il en existait cinquante environ.

L'initiative privée avait toutefois, dès 1876, institué des comités, connus sous le nom de chambres d'explication, et dont le but était de prévenir les conflits par une entente mutuelle. Ces comités créés dans les charbonnages de Mariemont sont composés, en nombre égal, de représentants de la compagnie et de délégués ouvriers. Ils se réunissent tous les mois pour s'occuper des conditions du travail, du taux des salaires, et ils ont contribué puissamment, depuis leur fondation, à maintenir l'accord entre les ouvriers et les directeurs des charbonnages.

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4° États-Unis. Il faut distinguer, dans ce pays: 1° les tribunaux volontaires ou juridictions arbitrales, créées par les particuliers sous certaines conditions indiquées par les lois, et qui connaissent des litiges individuels ou collectifs; les décisions rendues à la suite d'un conflit individuel sont exécutoires après avoir été enregistrées par le tribunal ordinaire. La loi de Pensylvanie (1883) est le premier acte législatif

américain, qui ait créé des conseils permanents d'arbitrage. Les juges des tribunaux ordinaires en autorisent la création, lorsque la demande en est faite par cinquante ouvriers et cinq patrons occupant au moins dix ouvriers chacun, ou par un patron occupant soixante-quinze ouvriers; 2o les tribunaux officiels d'arbitrage qui sont organisés par les législations de certains États de l'Union américaine, et dont la compétence se borne aux conflits collectifs. D'après les lois du Massachusets (2 juin 1886, 14 mai 1887), le gouverneur de l'État nomme trois arbitres dont les fonctions durent trois ans ; les deux premiers, un patron et un ouvrier, présentent le troisième au gouverneur qui nomme, d'ailleurs, directement, à défaut d'entente de la part des deux premiers arbitres. Les signataires d'une requête, à fin de conciliation, doivent s'engager à continuer le travail sans grève ni lock-out, jusqu'à ce que le conseil ait rendu sa sentence, trois semaines au plus après la date de la requête.

La législation de New-York (18 mai 1886, 10 mars 1887) indique certaines règles pour la constitution des conseils privés et corporatifs d'arbitrage, composés de deux délégués, l'un patron, l'autre ouvrier, et d'un président élu par les délégués; elle organise, en outre, le conseil officiel d'arbitrage, juge d'appel des comités corporatifs, mais qui peut être saisi directement si les intéressés y consentent, et à la condition qu'il n'y ait ni grève, ni lock-out jusqu'à la prononciation du jugement. 5o Il existe encore des juridictions arbitrales dans d'autres pays étrangers. En Autriche, les corporations de métiers ont leurs commissions arbitrales, véritables tribunaux de famille, dont l'autorité provinciale doit approuver le statut organique. Les gouverneurs de province peuvent encore crééer des collèges d'arbitres, pour les fabriques qui ne sont pas situées dans le ressort d'un tribunal industriel organisé par la loi du 14 mai 1869 sur le modèle de nos conseils de prud'hommes. Les inspecteurs d'industrie et les tribunaux de commerce sont intervenus également pour prévenir ou terminer les conflits collectifs.

En Hollande, il n'existe que des comités de conciliation, dus à l'initiative privée, dans certaines fabriques, et une association, le Drapeau néerlandais, dont le but est de maintenir le taux des salaires, et de défendre à ses membres le recours à la grève.

En Suède et en Norwège, il n'y a aucune loi facilitant l'organisation de tribunaux d'arbitrage; les conseils, formés à certaines époques, n'ont eu qu'une durée purement temporaire. Il existe toutefois, en Norwège, des organes de conciliation pour les affaires civiles et même criminelles de droit commun qui pourraient être d'une grande utilité pour la solution des conflits industriels.

En Suisse, l'initiative privée s'est occupée de créer, pour Zurich et sa banlieue, des tribunaux industriels (prud'hommes) pour les conflits individuels et un office de conciliation pour les conflits collectifs.

En Italie, un projet de loi, soumis au Parlement, tend à confier à une même juridiction (les prud'hommes, probi viri) la solution des deux natures de conflits, à l'imitation des tribunaux industriels de l'Allemagne.

CHAPITRE VIII.

CONSEILS ADMINISTRATIFS DE L'INDUSTRIE.

Toutes les parties de la législation relative au travail industriel nous ont mis en présence de vœux et de projets de réforme. L'État a donc le devoir de s'éclairer sur les intérêts de l'industrie, afin de remplir avec utilité sa mission dans l'œuvre de coopération sociale, à laquelle il ne peut rester étranger. Dans ce but, on a créé, près du pouvoir central et dans les grands centres manufacturiers, des corps consultatifs, dont le but est d'étudier les questions intéressant le commerce et l'industrie, et de réunir les éléments d'information et de statistique relatifs aux conditions du travail.

Nous avons vu que les conseils de prud'hommes sont consultés sur les projets, destinés à réformer la législation économique et industrielle, que les inspecteurs des manufactures établissent, chaque année, la statistique des conditions du travail dans la région qu'ils surveillent; mais je veux étudier ici l'organisation des conseils créés spécialement en vue de faciliter les progrès de la législation.

Les conseils placés près du pouvoir central sont de deux natures: les uns ont des attributions générales, les autres n'ont qu'un rôle spécial et technique. Après avoir indiqué le caractère propre de chacun d'eux, je parlerai des corps constitués dans les grands centres industriels.

A. Corps consultatifs généraux placés près du pouvoir central (Ministère du commerce et de l'industrie). a) Conseil supérieur du travail et Office du travail. Cette double institution doit occuper, malgré sa création récente, la première place dans notre étude, car elle est la seule, qui soit vraiment destinée à traiter toutes les questions que font naître le travail industriel et les rapports des patrons et des ouvriers.

Le conseil supérieur, créé par le décret du 22 janvier 1891, se compose de soixante membres, dont cinquante sont nommés par décret sur la proposition du ministre du commerce et de l'industrie, et choisis parmi les membres du Parlement, les industriels, les ouvriers, les membres des chambres syndicales, des associations patronales ou ouvrières, des groupes corporatifs, des conseils de prud'hommes et,

d'une manière générale, parmi les hommes versés dans les questions économiques et sociales; les dix autres, qui sont des membres de droit, appartiennent en général à la direction de divers services placés près des ministres (art. 2). Le conseil est nommé pour deux années avec renouvellement par moitié tous les ans ; il se réunit sur la convocation du ministre qui peut nommer une commission permanente prise dans le sein du conseil supérieur (art. 3, 4).

Ce conseil nous apparaît comme un syndicat mixte, dont le rôle est purement technique et consultatif et qui doit étudier, d'une façon impartiale, les questions intéressant l'industrie, les patrons et les ouvriers (salaires, heures de travail, grèves, syndicats, sociétés coopératives, etc.).

L'Office du travail', créé par la loi du 21 juillet 1891, organisé par le décret réglementaire du 19 août de la même année, complète cette institution et a pour mission d'éclairer, par des enquêtes et des recherches de statistique, le pouvoir central et toutes les personnes intéressées à connaître les conditions du travail tant en France que dans les pays étrangers. Il constitue, près du ministère du commerce et de l'industrie, une direction nouvelle, qui tient lieu de ministère du travail, dont la création, demandée par les socialistes de la Chambre des députés, fut rejetée comme inutile et dangereuse, car les auteurs du projet, qui reprenaient la pensée de Louis Blanc, voulaient lui confier la direction et l'organisation du travail.

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Organisation et but de l'Office du travail. Cette direction comprend deux services le service central et le service extérieur. Le service central a une double mission : 1o il recueille, par correspondances avec des administrations publiques, des fonctionnaires, des collectivités ou des particuliers, ou par voie de recherches dans les publications françaises ou étrangères, les renseignements utiles aux travaux de l'Office; 2o il coordonne ces renseignements avec ceux qui lui sont fournis par le service extérieur, et met le tout en œuvre pour la rédaction des documents à publier et à fournir au ministre (art. 7, décr. de 1891).

Pour faciliter l'enquête du service central, un questionnaire est envoyé aux collectivités (syndicats, tribunaux et chambres de commerce, etc.), et une circulaire ministérielle, du 5 novembre 1891, a été adressée à ces différents corps pour les inviter à prêter leur concours efficace à l'œuvre de l'Office du travail.

Le service extérieur complète l'enquête écrite, dont je viens de parler, par une enquête orale, à l'aide de délégués permanents ou temporaires chargés de recueillir sur place les informations relatives au travail industriel. Ces délégués sont placés sous l'autorité immédiate du directeur de l'Office, et effectuent leurs enquêtes ou travaux sur son

1 J. off., Ch., 1891, doc. parl., p. 1406, 1615.

G. BRY.

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ordre et suivant ses instructions. Les informations à recueillir, dans les industries placées sous la direction ou le contrôle de l'État, restent confiées exclusivement à l'autorité compétente, à moins qu'elle ne réclame elle-même le concours de l'Office du travail (art. 8).

L'organisation que je viens de décrire indique en même temps le but et les attributions de cet Office, qui sont de recueillir, coordonner et publier toutes les informations relatives au travail, et concernant ses rapports avec le capital, la condition des ouvriers, l'état de la production, les causes des crises et des conflits industriels, la marche des institutions de prévoyance, de crédit et d'épargne... Il est, suivant les heureuses expressions de l'exposé des motifs de la loi du 21 juillet 1891, « un observatoire des conditions du travail, » il doit faire « de véritables leçons de choses, » en présentant les tableaux de ses statistiques et en précisant les enseignements qu'ils renferment.

Depuis sa création, l'Office du travail a déjà publié de précieux documents relatifs au fonctionnement de l'assurance obligatoire en Allemagne et en Autriche, au placement des ouvriers et employés, aux grèves, au taux des salaires et à la durée du travail, aux tribunaux de conciliation et d'arbitrage. A côté de ces publications importantes sur des points déterminés, le Bulletin de l'Office du travail, créé pour obéir aux prescriptions du décret réglementaire (art. 9), publie tous les mois, depuis 1894, des renseignements généraux sur le mouvement législatif, social et industriel en France et à l'étranger.

Cet Office a déjà produit d'heureux et féconds résultats, et peut rendre d'éminents services, par sa méthode expérimentale, pour l'étude scientifique et technique des questions industrielles.

Institutions étrangères. Législation comparée. C'est aux nations étrangères et, en particulier, aux États-Unis, que la France a emprunté l'institution, dont je viens de préciser le caractère et le but. Il importe donc d'indiquer en quelques mots le rôle et l'importance de ces divers organes administratifs dans les pays où ils existent.

1° États-Unis. Il existe des Offices du travail dans la plupart des États de l'Union américaine qui ont suivi, sous ce rapport, l'exemple donné par le Massachusets dès 1869. Ces Offices, dirigés par un commissaire que le gouvernement de chaque État désigne, recueillent toutes les informations relatives aux conditions du travail, à l'aide de correspondances ou d'agents spéciaux qui ont même le droit de pénétrer, avec le concours de la police si c'est nécessaire, dans les établissements industriels. La loi fédérale du 27 juin 1884, a créé, à Washington, un bureau national qui a pour but de centraliser les résultats publiés par les Offices locaux et de généraliser l'étude des questions industrielles. Ce bureau central est devenu le département du travail, relevant, comme un ministère, du président de l'Union, et il a justifié l'importance qui lui a été reconnue, en publiant de précieux et de vastes documents sur les grandes industries minières et métallurgiques de l'Amérique

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