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poration des marchands (el gremio) dont elles faisaient légalement partie. Cet impôt était souvent excessif, alors que la corporation qui le fixait avait intérêt à empêcher la concurrence des sociétés coopératives. L'article 39 de la loi de finances, pour l'année 1892-1893, les dispense de faire partie des corporations de commerce et les affranchit des surcharges dont on les grevait. Elles ne payent qu'une cote fixe et un impôt proportionnel qui ne peut jamais dépasser 6 p. 0/0 des bénéfices nets. Elles sont même dispensées de tout impôt, lorsqu'elles n'ouvrent pas leurs magasins au public'.

CHAPITRE VI.

LA RÉGLEMENTATION DU TRAVAIL

TUTELLE ET POLICE DE L'ÉTAT, PROTECTION DES PERSONNES,
HYGIÈNE ET SÉCURITÉ, MONOPOLES ET ACCAPAREMENTS.

Les études qui précèdent nous ont montré combien le rôle de l'État était important, dans toutes les questions qui se réfèrent à l'industrie et aux rapports des patrons et des ouvriers. La liberté sert bien de base aux relations contractuelles et à la fixation des salaires, mais le législateur a dû intervenir, pour suppléer au silence de la convention, garantir la manifestation des volontés individuelles ou collectives, protéger les droits de tous, favoriser et développer les institutions de prévoyance et les associations de différentes natures. Les devoirs de tutelle et de police de l'État lui imposent surtout de limiter la liberté des contractants au profit de certaines personnes, ou pour des raisons de sécurité qui intéressent même la société tout entière. Le travail n'est pas une marchandise ordinaire et l'on ne peut ni abuser des forces du travailleur, ni le soumettre, sans des précautions multiples, à des travaux qui compromettent son existence. Le pouvoir tutélaire de l'État sur les personnes va nous arrêter tout d'abord et nous allons voir dans quelles limites il peut intervenir.

TITRE I.

Réglementation du travail des enfants et des femmes dans les établissements industriels. Loi du 2 novembre 18922.

A. Aperçu historique.

La grande industrie modifiait, comme nous l'avons vu, les conditions du travail. Les capitaux, dépensés pour

Almanach de la coopération, 1894, p. 790. Rev. d'écon. polit., 1892, p. 1165. 2 Georges Lagrésille, Commentaire de la loi du 2 nov. 1892, Paris, 1892. Louis Bouquet, Le travail des enfants...

transformer l'outillage, exigeaient un travail incessant, un emploi presque continu des nouvelles forces que la science mettait à la disposition du monde industriel. Les enfants et les femmes pouvaient souvent se servir des engins mécaniques ou les surveiller, là où autrefois il eût fallu déployer une grande force musculaire. Toute la famille ouvrière se trouvait donc jetée, par la situation nouvelle et par l'appât de gains nouveaux, dans les manufactures, et l'on voyait, à la fin du dernier siècle, et encore au début de notre ère contemporaine, des enfants de cinq ans travaillant quatorze et seize heures par jour, surtout dans les manufactures de coton, et tomber épuisés sur le métier.

La corporation du Moyen-Age, qui ne connaissait encore que la petite industrie, veillait sur le travail des enfants pour empêcher que le patron n'imposât à l'apprenti un labeur excessif aux dépens de son développement physique, de son instruction, et de son éducation morale et religieuse.

L'État devait, à défaut des institutions d'autrefois, protéger les faibles contre l'excès d'un travail trop prolongé et suppléer, dans un intérêt social, à l'oubli des devoirs imposés aux patrons et à la famille des enfants. C'est, en effet, sur les enfants que la vigilance du législateur s'étendit tout d'abord, et ce fut l'Angleterre qui, sur l'initiative du père de Robert Peel, donna, dès 1802, le signal des réformes législatives.

En France, un décret du 3 janvier 1813, relatif aux exploitations minières, défendait de laisser travailler ou descendre dans les mines, des enfants au-dessous de dix ans. Mais ce fut la loi du 22 mars 184! qui, la première, s'occupa des enfants employés dans les manufactures, usines, ou ateliers, ayant plus de vingt ouvriers, pour y défendre l'admission des enfants avant l'âge de huit ans. Mais cette loi était insuffisante et fut inefficace. L'âge d'admission des enfants était encore prématuré, et l'absence d'une inspection sérieuse empêcha la stricte application de la loi. La situation toujours navrante des enfants livrés à la manufacture dictait à M. Jules Simon son livre sur l'ouvrier de huit ans, mais la sollicitude et la pitié des moralistes ne parvinrent cependant pas à modifier rapidement la législation.

La loi de 1851, sur l'apprentissage, ne pouvait servir à sauvegarder le jeune ouvrier, qui n'entre pas dans la manufacture au même titre que l'enfant confié au patron de la petite industrie.

La loi du 19 mai 1874 vint réglementer le travail des enfants et des filles mineures dans les établissements industriels privés. Cette loi reculait l'âge d'admission, en général, à douze ans, limitait la durée du travail et imposait un repos (travail de demi-temps); elle interdisait ou réglait, suivant l'âge et le sexe, le travail de nuit, consacrait le principe du repos du dimanche et des fêtes légales et défendait les travaux souterrains aux enfants de moins de douze ans, aux filles et aux fem

mes de tout âge. La loi s'occupait encore de la sécurité des ateliers, des inspections et de la sanction des règles prescrites.

Dans la même année, une loi du 7 décembre 1874 était votée dans le but de protéger les enfants employés dans les professions ambulantes. Elle édicte des peines contre ceux qui font exécuter, par des enfants de moins de seize ans, des tours de forces périlleux ou emploient ces enfants à des représentations d'acrobates.

Cette dernière loi est toujours en vigueur, mais la loi du 19 mai 1874 est aujourd'hui remplacée par la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, des filles mineures, et des femmes dans les établissements industriels.

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B. Économie générale de la loi de 1892 et raison d'être de la réglementation. Cette loi a une portée plus large que celle des législations précédentes; elle s'occupe non seulement des enfants et des filles mineures, mais encore des femmes adultes, auxquelles la loi de 1874 interdisait seulement les travaux souterrains. L'âge d'admission est, en principe, reculé à treize ans, le demi-temps est supprimé; un certificat d'aptitude physique est exigé dans certains cas; le travail est réduit à dix heures par jour pour les mineurs de seize ans, soixante heures par semaine pour les mineurs de seize à dix-huit ans; les femmes, de tout âge, ne peuvent être employées à un travail effectif de plus de onze heures par jour. Les jeunes gens, jusqu'à dix-huit ans, les femmes à tout âge ne peuvent travailler la nuit et doivent avoir un jour de repos par semaine. La loi nouvelle réorganise l'inspection et aggrave les pénalités anciennes en cas de récidive. Elle s'applique aux enfants placés en apprentissage dans les établissements qu'elle prévoit. Tel est l'esprit général de cette loi, dont j'analyserai les règles spéciales après avoir indiqué les raisons d'être de la protection accordée aux enfants et aux femmes.

1o Enfants. - L'État a le devoir d'empêcher qu'un travail prématuré ou trop prolongé n'arrête le développement physique de l'enfant et n'épuise ses forces; il doit assurer son instruction primaire indispensable, garantir le progrès de ses facultés intellectuelles et de son savoir professionnel. L'intérêt social exige impérieusement qu'on protège l'enfant contre des abus qui compromettent l'avenir de la race sans profit pour l'industrie.

Les parents sont souvent entraînés, par le besoin, à livrer leurs enfants au travail malsain de la manufacture. Le législateur doit, au nom de l'intérêt général, suppléer à l'oubli des devoirs de la puissance paternelle qui ne peut s'exercer que dans l'intérêt de ceux qui s'y trouvent soumis, et, en intervenant, il ne viole pas le principe de la liberté du travail, puisque l'enfant n'a pas encore de capacité pour choisir librement ce qui est le plus conforme à ses goûts et à ses intérêts.

2o Femmes. La législation ne s'était occupée jusqu'ici de la femme adulte que pour lui défendre les travaux souterrains; mais la loi de 1892 a fait davantage et l'a comprise dans ses règles limitatives concernant la durée du travail, le travail de nuit, le repos hebdomadaire. Ce n'est pas sans difficulté que la protection en faveur des femmes a été admise; on invoquait contre toute réglementation la liberté du travail dont elles peuvent, à la différence de l'enfant, apprécier les conséquences et accepter les résultats en connaissance de cause.

Mais l'intérêt général, qui commande la protection pour l'enfant, l'impose aussi pour la femme protéger la femme, c'est encore protéger l'enfant. C'est protéger la vigueur physique de l'enfant qu'elle mettra au monde et favoriser plus tard son éducation, c'est maintenir le lien moral de la famille. Il ne faut pas, d'ailleurs, faire une distinction entre les femmes mariées, et les filles majeures1 et les veuves, pour ne restreindre que la liberté des premières. La distinction manquerait de base certaine et serait arbitraire. Il faut savoir concilier, pour toutes, la protection qui leur est due avec la liberté qu'elles ont de soutenir par le travail leur existence personnelle et celle de leur famille. Qu'on ne dise pas que les limites imposées nuiront à la puissance productrice, car l'intensité d'un travail mesuré vaut mieux que la fatigue d'un travail trop prolongé.

On verra toutefois, en étudiant les dispositions spéciales de la loi, que les différences multiples qui existent dans la durée du travail des enfants, des hommes et des femmes peuvent jeter le trouble dans l'organisation de l'industrie et que, sous ce rapport, la loi manque d'unité et mérite d'être modifiée.

C. Conditions d'application de la loi. L'article 1er indique : 1o les personnes, 2° les établissements industriels, et 3° le genre de travaux auxquels s'applique la loi de 1892.

a) Personnes protégées. <«<Le travail des enfants, des filles mineures et des femmes... est soumis aux obligations déterminées par la présente loi » (art. 1er).

1o Les enfants, d'après la dénomination de la loi, sont ceux qui ont au moins treize ans, et même douze, s'ils sont munis du certificat d'études primaires, et qui n'ont pas dépassé dix-huit ans. La protection est plus ou moins rigoureuse, suivant qu'ils sont âgés de moins ou de

1 Trib. corr. Saint-Etienne, 28 avr. 1894, Rev. de. dr. ind., 94, 259.

2 Décrets réglementaires : 15 déc. 1892 (service de l'inspection); 21 avr. 1893 (déclaration des accidents); 3 mai 1893 (durée du travail des enfants dans les mines); 13 mai 1893 (travaux dangereux, insalubres); 25 juill. 1893 (durée du travail, repos hebdomadaire, travail de nuit, etc.); 23 nov. 1893 (accidents du travail); Cir. minist., 19 el 20 déc. 1892; Voir, Revue pratique de dr. ind., 1893, nos 1, 3, 5, 6, 9.

plus de seize ans. En principe, tous les mineurs, de l'un et de l'autre sexe, jouissent jusqu'à dix-huit ans d'une égale protection; toutefois, les garçons seuls peuvent, à partir de treize ans, être employés, soust certaines conditions, aux travaux souterrains.

20 La fille mineure, même après dix-huit ans, et la femme, à tout âge, même après la majorité légale, sont soumises à des règles de protection identiques, tandis que l'ouvrier qui a dépassé l'âge de dix-huit ans, acquiert une pleine liberté et se trouve dans la catégorie des hommes adultes.

L'article 1er nous dit «< que toutes les dispositions de la loi s'appliquent aux étrangers. » Elle est, en effet, une loi de police et de sûreté devant s'appliquer à tous les travailleurs qui résident sur le territoire, sans distinction de nationalité. Elle ne s'étend pas, toutefois, en l'absence d'une disposition expresse, aux ouvriers employés dans des établisse

ments situés dans les colonies.

b) Etablissements industriels. · Établissements compris dans la loi. Les industries auxquelles doit se restreindre, même en France, l'application de notre loi sont indiquées par l'article 1er. Ce sont : « les usines, manufactures, mines, minières, carrières, chantiers, ateliers, et leurs dépendances. » Ce dernier mot, dépendances, que la loi ne définit pas, laisse aux tribunaux une certaine latitude pour apprécier la nature des locaux sur lesquels devront s'étendre la protection et la surveillance de la loi. Il est évident que ceux qui serviront, comme annexes, à l'exploitation industrielle ou même au logement des travailleurs, rentreront sous cette expression de dépendances.

Il n'y a pas à distinguer entre les établissements « publics ou privés, laïques ou religieux, même lorsque ces établissements ont un caractère d'enseignement professionnel ou de bienfaisance. » Les manufactures de l'État, les ouvroirs, les orphelinats, les maisons d'apprentis, tous les établissements, où un travail industriel est effectué, sont désormais soumis à la surveillance et aux mesures de protection édictées par le législateur. Il était illogique de distinguer, et le texte a bien fait de combler les lacunes de la loi de 1874 dont le silence autorisait les manufactures de l'Etat à se soustraire à toute inspection, en donnant ainsi le mauvais exemple de l'insoumission aux lois, et permettait à la jurisprudence de ne pas y soumettre également les orphelinats ou autres maisons, qui avaient plutôt pour but l'instruction professionnelle que la réalisation de bénéfices.

Il faut même faire rentrer, sous l'application de la loi, les maisons de correction, en ce qui concerne les enfants, qui s'y trouvent détenus, et qui travaillent, sous la direction d'un tiers ou de l'administration, à l'entreprise ou à la régie.

Etablissements non compris dans la loi. Les magasins et boutiques, toutes les maisons, destinées à l'exploitation d'un commerce, sont en

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