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En Serbie, la loi de 1881 donne la liberté aux associations, mais leurs fondateurs doivent déclarer aux autorités préfectorales le but de l'association et le nom des administrateurs.

En Bulgarie, le même principe de liberté se trouve inscrit dans la constitution du 16 avril 1879 (art. 83). Les associations qui existent, dans ce pays comme dans la plupart des pays slaves, sous le nom de Zadrouga, ont, à l'exemple des artèles russes, le caractère professionnel et coopératif.

CHAPITRE V.

DES SOCIÉTÉS COOPÉRATIVES 1. LE TRAVAIL SOUS
LE RÉGIME DE L'ASSOCIATION.

SECTION I.

Caractères, histoire et état actuel des sociétés
coopératives.

A. Idée générale. Toute coopération suppose un groupement de personnes et de capitaux, pour faire une œuvre commune, en dehors de tout entrepreneur distinct; la direction, le capital et le travail se trouvent ainsi réunis et associés. La fonction de l'entrepreneur subsiste toujours, mais ce sont des gérants, des délégués de l'association qui l'exercent; le capital conserve son utilité et son rôle nécessaire, mais il est rémunéré par un intérêt qui représente un salaire et non le profit. Le caractère propre de l'association coopérative apparaît dès lors facilement c'est la subordination du capital au travail, c'est le profit donné au travailleur ou au consommateur, c'est le salaire réservé au capital. Ce dernier, dans l'entreprise individuelle, avait une rémunétion éventuelle le profit; le travail avait une rémunération fixe et indépendante le salaire. Avec l'entreprise coopérative, le travail aura les bénéfices, mais subira les pertes; le capital aura un intérêt fixe, sans être, toutefois, à l'abri des risques industriels.

La société coopérative demande, en dehors du lien personnel, un apport, un capital fourni par les associés, si minime que soit cet apport. Mais les profits vont aux coopérateurs, moins comme capitalistes qu'à raison de leurs efforts personnels. Si le capital avait la prépondérance, si les actions sociales n'étaient pas les mêmes pour tous, les plus riches

1 Cauwès, Cours d'écon. polit., III, p. 292. Hubert-Valleroux, Les assoc. coopér. Gide, De la coopération et des transformations qu'elle est appelée à réaliser dans l'ordre économique, Rev. d'écon. polit., oct. 1889, p. 473; même revue, 1893, p. 1. De Boyve, Hist. de la coopér. à Nimes. Brelay, Les soc. de consomm. P. Leroy-Beaulieu, Revue des Deux-Mondes, 1er nov. et 1er déc. 1893, Almanach de la coopération, 1893, 1894.

arriveraient à écarter les petits actionnaires, et l'entreprise individuelle et patronale reparaitrait sous forme de société anonyme ordinaire.

Les capitaux étrangers iront difficilement, d'ailleurs, à l'association coopérative pour subir des pertes, sans avoir ni la direction de l'entreprise, ni un privilège en compensation du risque éventuel. Les coopérateurs devront donc fournir la plus grande partie du capital qui, uni au travail et au lien de solidarité personnelle, deviendra la base logique des profits et qui servira en même temps de garantie au capital étranger dont l'appoint sera nécessaire pour compléter l'organisation de l'entreprise.

La prévoyance doit servir de base à la constitution du capital social. Ce n'est donc pas la masse des travailleurs qui pourra songer à la coopération; elle est accessible à ceux qui ont vécu jusque-là d'ordre et d'économie et qui auront ensuite l'abnégation et le dévouement nécessaires pour travailler et agir dans l'intérêt de tous les associés.

Mais quel est le mobile intéressé, le but économique des sociétés coopératives? La coopération poursuit trois buts principaux : 1o augmenter les revenus du travailleur ayant droit aux bénéfices dans les sociétés de production; 2° diminuer les dépenses en lui permettant d'acheter à meilleur compte dans les sociétés de consommation ou d'approvisionnement; 3o emprunter à des conditions plus favorables, grâce aux sociétés de crédit rendant service aux artisans, aux agriculteurs qui n'auraient pas facilement accès près des banques ordinaires et autres établissements financiers. Le groupement permet de supprimer le patron, le commerçant ou le banquier et de profiter ainsi des avantages qu'ils doivent réaliser. Cette division est classique, mais il faut la compléter. A côté des sociétés de consommation personnelle, ayant pour objet l'approvisionnement des denrées alimentaires ou des autres marchandises de consommation usuelle, il y a des sociétés de consommation industrielle ou de magasinage, pour l'achat des matières premières et de l'outillage, pour la vente des marchandises fabriquées ou produites par les sociétaires. Il y a encore des sociétés immobilières de construction (Building societies) qui permettent à l'ouvrier de devenir propriétaire d'une maison, à l'aide de cotisations ou d'avances faites sous certaines conditions que je préciserai plus loin. On peut encore comprendre d'autres applications des sociétés coopératives, soit pour des œuvres d'assurance, soit pour des œuvres intellectuelles, mais je m'en tiendrai, pour préciser leurs caractères distinctifs, à la division classique que je viens d'indiquer.

Elles n'offrent pas toutes un caractère identique. Les unes et les autres nous présentent bien le travail et le capital associés pour un résultat commun entreprises industrielles, commerciales ou opérations de banque. Mais les sociétés de production sont les seules qui transforment vraiment la condition de l'ouvrier, en établissant un lien profession

nel et en remplaçant l'entreprise individuelle, patronale et capitaliste. Les autres, qui tendent à supprimer les intermédiaires, n'ont pas toujours le caractère professionnel; elles viennent en aide aux consommateurs, à la petite industrie, à l'agriculture; elles facilitent et ne suppriment pas l'entreprise individuelle.

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B. Sociétés de production. - a) Caractères. Cette société, dans son acception la plus vraie et la plus complète, est celle qui rassemble, pour une exploitation industrielle, des ouvriers unis dans le travail et propriétaires du capital social. L'ouvrier n'est plus loué par un entrepreneur; il est participant aux profits résultant de l'emploi de son travail et de son capital, mais il subit les risques de l'entreprise et n'a plus une rémunération fixe et certaine. Toutefois, comme le travailleur ne peut attendre la répartition éventuelle des profits, le principe du salaire se trouve maintenu sous un autre aspect, pour représenter la somme nécessaire à la subsistance quotidienne de l'ouvrier. Il est comme le charbon et l'huile indispensables au fonctionnement de l'outillage; mais la rémunération réelle, c'est le profit.

A côté de cet avantage matériel, l'ouvrier a un avantage moral qui satisfait le sentiment de l'égalité; il n'est plus sous l'autorité d'un maître, d'un entrepreneur distinct. L'exploitation est dirigée par des gérants qui ne sont que des délégués, toujours révocables, de l'association.

Les capitaux étrangers, auxquels on sera parfois forcé de faire appel, surtout pour développer une entreprise dont les premiers succès auront attiré la confiance, seront rémunérés par un salaire fixe. Ce salaire donné au capital, la rétribution payée aux ouvriers associés comme coût de leur entretien et celle qui est due aux auxiliaires rentrent dans les frais généraux de l'entreprise. Les bénéfices annuels sont ensuite répartis; la plus forte part est donnée aux associés au prorata de leur travail et de leur capital, et le surplus sert à constituer des fonds de réserve, des œuvres de prévoyance ou à augmenter le capital social.

Les auxiliaires salariés ne devraient conserver ce titre que provisoirement, afin de faire ensuite partie de la société coopérative. Mais l'absence de ressources chez l'ouvrier qui ne peut constituer son apport et a besoin d'un gain assuré, et la mobilité du personnel dans certaines industries peuvent empêcher ce résultat. Or, l'urgence du travail, la nécessité de se procurer des ouvriers spéciaux ou des hommes de peine exigent le concours des auxiliaires salariés. Ce simple fait nous montre que la société de production ne peut faire disparaître le régime du salariat, qui répond à certaines nécessités sociales, et auquel l'association elle-même est obligée d'avoir recours. Beaucoup de sociétés ont inscrit, d'ailleurs, dans leurs statuts, une clause relative à la participaton aux bénéfices en faveur de leurs auxiliaires.

Il leur semble juste d'accorder à leurs auxiliaires ce que les ouvriers sollicitent des patrons dans les entreprises individuelles.

On considère habituellement que la société de production est la plus difficile à établir et constitue le couronnement de l'idée et de l'application coopératives. Quelles difficultés présente-t-elle donc? L'étroite solidarité qu'elle établit, la patience qu'elle exige pour attendre le succès, la discipline qu'elle réclame pour savoir se soumettre aux gérants constituent un ensemble de vertus morales nécessaires à la société de production et difficiles à réaliser. Si l'on ajoute l'insuffisance du capital, les risques à courir, l'inhabileté de la direction, on aura toutes les causes qui peuvent faire sombrer les sociétés de production. Quelquesunes de ces causes sont communes à toutes les sociétés coopératives, mais les premières que j'ai signalées sont plus sensibles dans les sociétés dont j'apprécie actuellement le caractère.

Il ne faut pas, sans doute, décourager l'initiative des ouvriers qui veulent modifier par l'association le régime du travail, mais il serait dangereux de leur faire abandonner une situation stable et certaine, pour créer des sociétés que l'on subventionnerait au début et qui pourraient mener à la ruine ceux qui les auraient fondées.

Les plus grands défenseurs de l'idée coopérative ne semblent pas, d'ailleurs, approuver beaucoup les sociétés de production isolées, qui ne s'appuient pas sur des sociétés de consommation (voir page 33).

b) Histoire des sociétés de production; leur état actuel. · L'idée coopérative se trouve, au début des entreprises humaines, dans ces associations primitives de travailleurs, qui mettent à profit leurs forces physiques ou intellectuelles, pour des industries réclamant peu de capital. Les travailleurs se réunissent, apportent chacun une partie de ce qui est nécessaire à l'œuvre commune, et se répartissent les résultats de leur travail. Le salaire fixe et déterminé à l'avance s'est imposé, comme règle générale, avec le développement de l'industrie. Les peuples orientaux peuvent nous montrer encore, dans leurs caravanes, des groupements coopératifs, et j'ai signalé ce même caractère dans les artèles russes et dans les associations slaves connues sous le nom de Zadrouga et d'esnafs.

Les communautés taisibles qui groupent, sous le même toit et dans la culture d'un même domaine, certaines personnes descendant d'un auteur commun, n'ont guère survécu à la Révolution française. Elles tendaient surtout à éviter certains impôts de transmission, mais elles. étaient bien un souvenir de l'époque où la propriété et l'exploitation du sol étaient collectives.

Les sociétés fromagères ou fruitières sont fort anciennes et se maintiennent encore par la coutume, dans certaines communes du Jura, du Dauphiné et en Suisse. Le lait est apporté dans un seul local et donne lieu à une fabrication unique pour tous les propriétaires intéressés.

Mais c'est le mouvement coopératif de notre siècle dont il faut étudier l'origine et l'histoire, depuis que Robert Owen a répandu le mot et l'idée de coopération, et que Charles Fourier a rêvé la suppression. du salariat, en transformant tous les salariés en propriétaires associés. 1o En France. C'est le philosophe chrétien, Buchez, qui, le premier, conçut l'idée d'améliorer la condition des salariés par l'association ouvrière; c'était alors le nom donné aux sociétés coopératives. Dans sa pensée, le capital social devait être inalienable et indivisible, et constituer un « fonds de dévouement, » destiné à faciliter le triomphe de la coopération. La première société, fondée le 10 septembre 1831, celle des menuisiers, périt presque en naissant, et celle des bijoutiers en doré, fondée en 1834, perdit promptement le caractère coopératif.

Ces premiers essais ne furent pas imités tout d'abord. En 1848, l'Assemblée nationale ouvrit au ministère du commerce un crédit de 3 millions destinés à être répartis, à titre de prêt, entre les sociétés qui se formeraient librement entre ouvriers ou entre patrons et ouvriers. Les sociétés, établies alors, durent liquider après quelques années d'existence, et la plupart n'avait fourni aucun travail réel et efficace.

Après le coup d'État de 1851, les associations ouvrières, que l'on désignait alors sous le nom de sociétés fraternelles, furent mal vues par les autorités publiques, surtout en province, et quelques-unes prirent la résolution de se dissoudre.

Il y eut, en 1863, après l'exposition de Londres, un nouvel essor de la coopération que la guerre de 1870 devait interrompre, et qui reprit surtout après 1880 sous l'impulsion des chambres syndicales, quelquefois aussi pour échapper à leur influence. Les grèves nombreuses qui eurent lieu à cette même époque déterminèrent également le nouveau mouvement coopératif.

« Lors de la grève, disent les charpentiers de la Villette, on nous a parlé d'association; en huit jours nous étions constitués, et notre capital de 30,000 francs était versé. » Cette société, composée de compagnons passants du Devoir, comprend 200 membres; en 1893, elle avait fait 800,000 francs d'affaires et distribué 124,326 francs à ses actionnaires. Elle a obtenu l'adjudication de travaux importants, la construction d'écoles, d'hôpitaux et de la galerie des machines en 1889.

On peut citer encore au nombre des sociétés coopératives de production, celles des ébénistes parisiens, de l'imprimerie nouvelle, des lithographes, des bouchers, des tailleurs, des bijoutiers en doré; cette dernière, créée en 1880, n'est pas la mème que celle dont Buchez avait inspiré l'organisation en 1834. En dehors des fruitières et laiteries, on peut compter, en France, 91 sociétés de production, dont 53 ont adhéré à la chambre consultative des associations ouvrières de production.

Certaines industries pratiquent, comme nous l'avons vu, la participation aux bénéfices qui n'est qu'un moyen d'améliorer le salariat. C'est

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