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3o Liquidation. La personne morale dure jusqu'au moment où la liquidation s'achève; à ce moment, on connaît l'actif et le passif de l'association. Si le passif l'emporte sur l'actif, les tiers ne peuvent agir, pour le surplus de leurs créances, contre les syndiqués considérés individuellement. Le patrimoine syndical seul répondait des obligations de la personne morale.

Mais que devient l'actif, s'il domine dans le compte après la liquidation? Cet actif doit se partager entre les syndiqués qui existent au jour de la dissolution, sans tenir compte du temps pendant lequel ils ont demeuré dans l'association ou du nombre des versements qu'ils ont opérés. Les statuts peuvent porter atteinte à cette règle pour décider que l'actif net, au lieu d'être attribué aux syndiqués, sera dévolu à des sociétés poursuivant un but identique à celui du syndicat dissous. Cette donation anticipée est valable et répond entièrement à l'idée de l'association syndicale professionnelle, qui avait en vue moins l'avantage pécuniaire de ses membres que l'intérêt général et collectif de la profession ou du métier. Le retour des biens à l'Etat ne s'imposerait que si les syndicats étaient des établissements d'utilité publique.

E. Des unions de syndicats. -1° Principe de la loi. L'article 5 (1er alinéa) de la loi de 1884 autorise, en ces termes, les unions de syndicats : «Les syndicats professionnels, régulièrement constitués, d'après les prescriptions de la présente loi, pourront librement se concerter pour l'étude et la défense de leurs intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles. >>

En fait, ces Unions existaient déjà depuis plusieurs années : les chambres syndicales de patrons étaient groupées à Paris sous le nom d'Union nationale du commerce et de l'industrie; des fédérations ouvrières existaient également, telles que la fédération typographique française, l'union des chambres syndicales ouvrières de France. Le sénat hésita toutefois à sanctionner l'existence de ces unions, qui pourraient proclamer un jour la grève générale et susciter des désordres sur toute l'étendue du territoire.

Il eût été peu logique, cependant, que la loi qui donnait la liberté syndicale eût supprimé des unions, que l'administration antérieure avait tolérées et qui avaient rendu service au gouvernement, soit dans les expositions internationales, soit pour des renseignements utiles au commerce ou à l'industrie.

Les professions les plus distinctes peuvent avoir des intérêts communs à étudier et à défendre; à côté des questions techniques pour lesquelles suffit la compétence des gens d'un métier, il y a celles qui sont relatives aux douanes, aux transports, à l'apprentissage, au travail des enfants et des femmes, aux accidents, à l'élection des tribunaux et

chambres de commerce, des conseils de prud'hommes, etc.; ces questions intéressent toute une région, tout un pays.

Les unions ne présentent pas, d'ailleurs, un plus grand danger que les syndicats eux-mêmes, si elles sont constituées régulièrement et se tiennent dans les limites de leur objet. Les prohibitions légales n'arrêteraient pas les fédérations occultes de ceux qui veulent la désorganisation de l'ordre social et il vaut mieux consacrer l'existence d'unions régulières et vivant au grand jour.

La loi les a donc consacrées, mais en leur imposant des formalités et en limitant leur capacité juridique.

2o Formalités et conditions imposées aux Unions. Le deuxième alinéa de l'article 5 nous dit que: «ces unions devront faire connaître, conformément au deuxième paragraphe de l'article 4, les noms des syndicats qui les composent. >>

Ce deuxième paragraphe de l'article, auquel renvoie notre texte, s'occupe du dépôt qui doit être fait à la mairie du lieu où siège l'union des syndicats, et, à Paris, à la préfecture de police. Quant aux choses que doit comprendre le dépôt, elles sont tout d'abord les mêmes pour l'union de syndicats que pour chaque syndicat pris isolément les statuts de l'Union, les noms des administrateurs ou directeurs, el, en plus, les noms de chaque syndicat faisant partie de l'union. Les statuts doivent être communiqués au procureur de la République, et les administrateurs doivent remplir les conditions imposées par le dernier alinéa de l'article 4, c'est-à-dire être Français et jouir de leurs droits civils. Le dépôt doit être renouvelé à chaque changement de la direction et des statuts. La circulaire ministérielle du 25 août 1884 nous dit: a les formalités à remplir sont les mêmes pour les unions et les syndicats. La loi devait être en effet non moins sévère pour la constitution des fédérations que pour chaque syndicat particulier. Le laconisme de notre article 5 s'explique facilement; le législateur a voulu seulement indiquer que le dépôt et la déclaration se feraient au siège social des syndicats unis, et il s'en est référé à l'article 4 pour les formalités et les conditions de l'établissement de l'union syndicale.

Les différents syndicats affiliés sont libres de se retirer de l'Union, dès qu'ils le veulent, nonobstant toute clause contraire. Ce principe de liberté domine toute la loi, et doit s'appliquer aux unions comme aux membres des syndicats isolés (art. 7).

L'Union syndicale ne peut comprendre que des syndicats français régulièrement constitués, sous peine d'encourir la sanction de l'article 9, et sans préjudice de la répression plus sévère édictée contre l'Association internationale des travailleurs (Loi de 1872), si elle s'affiliait des unions étrangères.

3o 30 Capacité civile de l'union des syndicats. L'alinéa 3 de l'article 5 refuse aux unions de syndicats le caractère de personne morale. « Elles

ne peuvent posséder aucun immeuble, ni ester en justice. » C'est une conséquence des appréhensions que causait à une partie du Parlement la reconnaissance des fédérations syndicales.

Mais les unions peuvent avoir des biens qui seront la propriété indivise des syndicats unis, comme elles peuvent intenter ou subir une action en justice par la mise en cause de toutes les associations qu'elles comprennent. Elles n'ont donc pas de personnalité distincte et ne pourraient revêtir cette qualité qu'en se constituant comme société civile ou commerciale dans les termes de la loi de 18671.

Un syndicat et une union de syndicats ont une mission et un caractère différents. C'est pourquoi on peut trouver, à côté d'une union, un syndicat central procurant des avantages spéciaux que l'union ne pourrait pas donner; les syndicats agricoles nous en donnent un exemple.

La Société des agriculteurs de France a facilité la formation de l'Union des syndicats agricoles, destinée à tenir chaque syndicat particulier au courant de la situation du marché, à grouper les commandes, à procurer, en un mot, une foule d'avantages que l'association isolée serait impuissante à donner à ses membres. Mais l'Union n'a pas la personnalité civile; il s'est alors établi, à côté d'elle, un syndicat central qui ne peut pas, sans doute, s'affilier les syndicats provinciaux, ce qui est permis à l'Union, mais qui fait des opérations pour les associés qui se sont fait recevoir individuellement parmi ses membres ou qui font partie d'un syndicat rattaché à l'Union des agriculteurs. L'Union et le syndicat central arrivent ainsi à se compléter mutuellement; le président du syndicat central est mis par l'Union en rapport avec les directeurs des associations régionales et peut obtenir, pour chacune d'elles, des prix plus avantageux, des concessions importantes, des bénéfices difficilement réalisables sans la puissance du groupement de tous les intéressés 2.

SECTION III. Institutions étrangères. Législation comparée.

A. Pays de corporations obligatoires. On trouve l'organisation du travail basée sur la corporation obligatoire dans certains pays de l'Europe. L'Autriche l'a rétablie en 1883, l'Allemagne l'a fait également revivre dans une certaine mesure, et la Russie connaît encore certaines associations obligatoires dont l'origine remonte à Catherine II.

a) Autriche-Hongrie. 1° Autriche. - Loi du 15 mars 1883 (Gewerbeordnung). La loi du 20 décembre 1859 avait proclamé la liberté du

1 Trib. comm. Seine, 1er mars 1888, confirmé par la cour de Paris, Rev. des soc., 88, 297 (Jugement rendu à l'occasion de l'Union nationale du commerce et de l'industrie).

2 Boullaire, Synd. agric., p. 238.

travail et supprimé le régime des anciennes corporations obligatoires, qui ne subsistaient plus que comme associations libres. Mais, sur le vœu des partisans de l'état de choses primitif, la loi du 15 mars 1883 rétablit la corporation fermée pour la petite industrie. La liberté demeure la base de l'organisation du travail pour la grande industrie.

La loi de 1883 distingue trois sortes de professions: 1° les professions libres exigeant, pour leur exercice, une déclaration préalable faite à l'autorité publique; 2° les professions concédées ou autorisées, comme celles d'imprimeurs, de libraires, de fabricants d'armes et de machines å vapeur, qui demandent une concession spéciale de l'administration; 3° les professions de métier, pour lesquelles il faut un certificat de capacité, approuvé par le président de la corporation, à moins d'une dispense que l'autorité publique peut accorder.

Tous ceux qui exercent un métier sont obligés d'entrer dans la corporation là où elle existe déjà librement et là où l'autorité aura pu successivement la rétablir. La corporation obligatoire doit, par des règlements, fixer les rapports entre patrons et ouvriers, déterminer le système d'apprentissage, toutes les conditions du travail, former des commissions arbitrales pour trancher les différends, développer les œuvres existantes déjà dans la corporation libre caisses de secours, entrepôts de matières premières, salles de vente, usage commun de machines pour l'exploitation.

Les patrons sont les seuls vrais membres de la corporation, les ouvriers ne sont que des adhérents qui envoient des délégués à l'assemblée corporative annuelle.

L'organisation autoritaire et inquisitoriale de la corporation autrichienne ne s'est pas réalisée spontanément, et a suscité, dès le début, des démêlés entre les patrons et les ouvriers et entre les différents corps de métier au sujet de leur domaine respectif. L'esprit de monopole s'est réveillé et l'administration a dù intervenir pour en empêcher les abus. Tous ces faits montrent que les rapports nés de la corporation obligatoire sont loin de pouvoir mettre fin à l'antagonisme entre le capital et le travail.

2o Hongrie. La loi du 21 mai 1884 établit des corporations obligatoires semblables à celles de l'Autriche, mais elles ne doivent être instituées, pour les professions de métier, que dans les villes qui ont droit de municipalité ou dans les communes qui comptent au moins cent industriels exerçant certains métiers indiqués par la loi, et ce, sur la demande des deux tiers des industriels.

A côté de la corporation patronale obligatoire, il peut y avoir, en Autriche comme en Hongrie, des associations libres composées de patrons et d'ouvriers, mais les sociétés ouvrières sont interdites dans ces deux pays.

b) Allemagne. La loi du 23 juillet 1869, applicable à la confédéra

tion du Nord, avait supprimé les corporations obligatoires dans les pays où elles existaient encore, en laissant toutefois aux associations industrielles le droit de se constituer librement. Mais celles-ci furent bientôt délaissées et les artisans et les commerçants réclamèrent le rétablissement de la corporation fermée. Une association se forma, sous le nom de « parti des artisans et industriels allemands, » pour faire triompher le retour à l'ancien droit. Elle put gagner à sa cause le chancelier de l'empire et la loi sur les associations professionnelles fut votée.

1° Corporations de patrons et de contre-maitres (Innüngen). La loi allemande du 18 juillet 1881 n'est pas relative aux ouvriers; elle admet, dans la corporation, ceux qui exercent dans le district corporatif, à titre indépendant, un métier pour lequel la corporation est instituée, ou qui sont employés comme contre-maîtres dans une grande exploitation appartenant à l'une de ces industries. Les ouvriers ne profitent qu'indirectement de la corporation; ils participent au jugement des épreuves du compagnonnage et à la gestion des œuvres pour lesquelles ils donnent des cotisations ou fournissent un travail particulier.

En principe, la corporation n'est pas obligatoire, en ce sens que les patrons et contre-maîtres peuvent ne pas en faire partie; mais les tendances à l'obligation se manifestent dans certaines dispositions de la loi. Les sociétés libres doivent mettre leurs statuts en harmonie avec les prescriptions de la loi; les règles établies par la corporation en matière d'apprentissage, sont obligatoires; les questions d'arbitrage sont portées devant la corporation, sur la demande d'une seule des parties; l'administration intervient pour faire des règlements intérieurs, assister aux assemblées générales et les dissoudre.

Bien plus, la loi complémentaire de 1884 est venue rendre, en pratique, la corporation obligatoire, en décidant que « les patrons qui n'appartiennent pas à une corporation ne pourront plus avoir d'apprentis. » Nous savons également que l'assurance obligatoire en cas d'accidents est organisée à l'aide de corporations professionnelles (L. 6 juill. 1884).

L'ensemble de la législation allemande et le système de réglementation qui triomphe ne permettent plus de classer les corporations de ce pays au nombre des associations libres.

2o Associations d'ouvriers. Les compagnons forment, dès 1866, en Allemagne, des syndicats ou associations libres (Vereine), qui recrutent bientôt les adhérents au socialisme et ont un programme semblable à celui de nos syndicats ouvriers. Parmi les principaux groupes qui se sont établis, on rencontre : 1° l'Union des métiers (Gewerkvereine), 2o la ligue des ouvriers berlinois, 3° l'Union générale de secours des ouvriers allemands ou fédération des unions de métiers, siégeant à Berlin. La loi contre les socialistes a enlevé aux Unions une part de leur action, sans supprimer toutefois leur influence qui est toujours vivace et puis

sante.

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