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et maintient des traditions qui sont souvent nuisibles aux ouvriers, dont le salaire ne s'accroît pas en raison de l'élévation générale des prix.

La coutume n'a pas disparu de nos jours et l'on trouve, sous son influence, une inégalité dans les salaires de deux industries de même nature, situées à peu de distance l'une de l'autre. Certains travaux sont réglés, en dehors de toute convention, à l'aide de tarifs fixés d'une manière générale et impersonnelle. Il en est ainsi pour le travail des typographes, pour celui des menuisiers de certaines villes, pour l'industrie des bâtiments, où des tarifs réglementaires constituent la noloriété du prix courant, une moyenne faisant loi à défaut de conventions

contraires.

On voit, en outre, dans quelques villes, des séries de prix fixées par les municipalités, dont l'ingérence en cette matière a suscité parfois de nombreuses plaintes de la part des patrons. Ces fixations, qui concernent les entrepreneurs des travaux d'une ville, constituent comme une sorte d'usage établi, dont le contre-coup se fera sentir dans les rapports particuliers des patrons et des ouvriers de toute industrie. 3o Fixation résultant de la loi. Époque ancienne. Il y a longtemps que le législateur a cru devoir intervenir dans la question des salaires, et cette ingérence se manifestait autrefois en faveur des patrons.

Un édit de Diocletien fixait à 25 deniers la journée d'un manœuvre, à 50 celle d'un maçon, d'un menuisier et d'un forgeron, à 60 celle d'un ouvrier en mosaïque. La violation de ce taux légal était punie de mort; mais cette loi ne reçut pas d'exécution et fut plus tard rapportée. A l'époque franque, une loi des Wisigoths déterminait également le prix de la main-d'œuvre pour les mercenaires (L. XI, t. II, § 4).

En France, au Moyen-âge, on recontre une réglementation de même nature. Une ordonnance royale de 1330 porte « injonction aux baillifs et aux sénéchaux de mettre à juste prix les vivres et de fixer les journées des ouvriers... Vu la clameur du peuple qui reproche aux marchands de vendre à la forte monnaie qui court à présent, aussi cher comme ils faisaient à la faible. » Les termes de cette ordonnance s'expliquent par la différence qu'il y avait, à cette époque, à la suite de la mauvaise gestion financière, entre les prix et la valeur des monnaies.

En 1351, après la peste noire qui avait diminué le nombre des travailleurs et amené une forte augmentation des salaires, Jean le Bon fixa un tarif maximum des prix de la main-d'œuvre, et, dans les années suivantes, en 1355 et 1360, on trouve encore des ordonnances contenant des séries de prix que l'on ne peut dépasser '.

Les interventions législatives furent, toutefois, assez rares en France

1 Recueil des ordonnances, t. II, p. 58, 351; t. III, p. 438.

sous ce rapport. La coutume, sous le régime des corporations, fixait les traditions que devaient suivre les intéressés, qui évitaient souvent encore, à cette époque, les difficultés relatives aux conditions du contrat par des engagements à long terme ou par les salaires en na

ture.

Les pays étrangers nous rendent témoins également d'une fixation légale du salaire.

En Angleterre, le Statute of labourers, de 1350, conçu dans l'intérêt des patrons, détermine le taux des salaires pour prévenir la grande hausse qui s'était produite, après les ravages de la peste noire, et à raison de la rareté de la main-d'œuvre. L'ouvrier ne pouvait même pas quitter sa paroisse pour aller chercher ailleurs un salaire plus rémuné

rateur.

Une loi d'Élisabeth fixe également un tarif maximum, et punit d'une peine de dix jours de prison le maître qui le dépasserait et, d'une peine de vingt et un jours, l'ouvrier qui exigerait un salaire supérieur. Ces édits furent renouvelés sous Jacques Ier, et des tarifs furent imposés aux garçons tailleurs sous le règne de Georges III. Le plus récent exemple de l'ingérence de l'État se trouve dans le Spitalfields Act qui réglementa le salaire des ouvriers en soie jusqu'en l'année 1824, et qui fut alors rapporté sur la demande même des patrons, dont l'industrie souffrait de cette réglementation.

L'Allemagne a pratiqué cette fixation légale dans une large mesure et, en 1731, une ordonnance donnait aux pouvoirs publics de Saxe le droit de fixer les salaires dans leur ressort. Ces prescriptions tombèrent en désuétude, mais non sans que les entrepreneurs en eussent parfois réclamé l'application.

Les autres contrées de l'Europe, l'Espagne en particulier, ont connu la réglementation légale des salaires, et on la rencontrait même à la fin du siècle dernier, dans les pays nouvellement exploités, par exemple dans la Nouvelle-Galles du Sud.

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Époque actuelle. Toutes ces dispositions, intervenant presque toujours en faveur des patrons, avaient pour but d'entraver la libre entente des parties intéressées dans les débats relatifs au contrat de travail. On voulait prévenir les conflits entre les facteurs de la production et empêcher les prétentions exagérées des ouvriers. La liberté du travail et l'égalité juridique ne permettaient pas de maintenir un tel régime et aujourd'hui les législations ne contiennent plus de fixation des salaires, bien que des tentatives aient été souvent faites pour arriver à ce but.

Les socialistes sollicitent de l'État un minimum légal des salaires; il n'est plus question de l'intérêt des patrons, on veut une loi protectrice des ouvriers; mais comment l'État peut-il réaliser un pareil système? Possède-t-il les éléments d'appréciation suffisants, pour fixer un taux

de salaire qui varie sous l'influence de causes multiples: état du marché, nature des industries, différences du travail et des localités. Si les entrepreneurs ne peuvent pas payer le salaire fixé par la loi, les obligera-t-on à travailler avec perte? Peut-on maintenir de force leurs ateliers et fixer un prix pour toutes les marchandises en contraignant les consommateurs à les acheter? Et si les ouvriers sans travail étaient disposés à accepter un salaire inférieur au minimum fixé, n'auraientils pas le droit de se retourner contre l'État et de le rendre responsable du chômage qu'il leur impose?

L'État ne peut soumettre les industriels à l'obligation de payer un minimum du salaire aux ouvriers. Mais s'il accepte de le garantir aux travailleurs, il faut alors qu'il leur accorde une subvention, si le minimum légal n'est pas atteint. On voit combien les charges publiques s'accroîtraient de la sorte, et combien ce travail subventionné deviendrait improductif comme était celui des ateliers nationaux en 1848. Les patrons s'en prévaudraient pour payer d'autant moins l'ouvrier, comme on le vit, en Angleterre, sous le régime des subventions accordées par les paroisses depuis le xvme siècle jusqu'en 1834, régime qui accrut notablement le paupérisme (allowance system).

L'État doit se borner à mettre les contractants « en mesure de débattre, dans des conditions d'égalité et de justice, leurs intérêts quelquefois contradictoires; mais il ne peut intervenir directement par des mesures qui resteraient forcément inappliquées et qui se heurteraient à la nature même des choses. » J'emprunte ces paroles au rapport fait à la Chambre au nom de la commission d'initiative parlementaire, le 5 mars 1892, et qui concluait au rejet de la proposition de loi ayant pour but de laisser aux conseils généraux des départements le soin de fixer un minimum de salaire par corps de métier et par département1.

La loi ne peut donc pas fixer le taux des salaires dans les rapports des particuliers, mais l'État peut évidemment se lier par un minimum fixé pour les travaux qu'il fait exécuter lui-même. Une loi du 22 mai 1888, en Portugal, assure un minimum de salaire aux ouvriers employés par la régie de la fabrication des tabacs. En Angleterre, certaines autorités locales acceptent, pour les ouvriers qu'elles font travailler avec la journée de huit heures, les prix fixés par les unions de métiers. Souvent encore, les autorités publiques mettent dans leurs contrats passés avec des entrepreneurs de travaux, que ceux-ci accepteront les salaires fixés par les trade-unions.

Des séries de prix sont déterminées, en France, comme je l'ai déjà dit, dans certaines villes, pour les adjudications de travaux publics. Jusqu'en 1887, la ville de Paris inscrivait dans ses séries, des salaires acceptés

1 J. officiel, Chambre, Doc. parlem., Annexe no 1919, p. 562. Béchaux, Les revendications ouvrières, p. 91.

d'un commun accord par les patrons et les ouvriers. A cette époque, elle voulut imposer aux entrepreneurs une nouvelle série de prix et la réduction de la journée de travail à neuf heures. Le Conseil d'État dut annuler cette délibération, violant la liberté du travail et les règlements qui obligent toute commune à donner les entreprises de travaux avec concurrence et publicité et on en revint au tarif admis, d'un commun accord, par les patrons et les ouvriers1. Cet accord ne détruit pas le principe de liberté des conventions, comme l'ingérence abusive et autoritaire de la loi ou des autorités publiques. Le Conseil d'État vient de rendre une décision semblable, à l'occasion d'une délibération, par laquelle le conseil général des Pyrénées-Orientales, ayant à établir le cahier des charges servant de base à l'adjudication des imprimés du département, prescrivait l'insertion d'une clause imposant, au profit des ouvriers, un minimum de salaire de 4 francs et une durée maxima de neuf heures pour la journée de travail (Cons. d'Etat, 14 juin 1894).

B. Capacité nécessaire pour toucher le salaire (Enfants et femmes). Les ouvriers majeurs ou mineurs émancipés peuvent toucher seuls les salaires dont ils ont la jouissance et qu'ils administrent. Il n'en est plus ainsi des enfants mineurs non émancipés et des femmes mariées. Je vais préciser les règles qui les concernent et que le droit commun nous indique à défaut de lois industrielles spéciales.

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a) Enfants mineurs non émancipés. Les enfants ne peuvent avoir la libre disposition de leur salaire, qu'ils soient sous la puissance paternelle ou sous la tutelle. Bien qu'en fait, le patron puisse payer à l'enfant le salaire qui lui revient, les père ou tuteur peuvent exiger, s'ils craignent de la part de l'enfant un mauvais emploi de ses biens, la remise en leurs propres mains des gains réalisés par le mineur.

La jouissance légale des salaires acquis par l'enfant, dans une industrie séparée de celle du père, n'est pas sans doute, dans ce cas, un attribut de la puissance paternelle; mais le père en conserve toujours l'administration et reste juge du meilleur emploi de ces biens. Ce pécule, ainsi réservé à l'enfant, lui est acquis, dès qu'il travaille pour son compte, que ce soit chez son père ou dans un atelier situé en dehors de la maison paternelle.

Il existe ainsi une différence entre l'enfant employé dans les ateliers ou les magasins de son père et celui qui exerce une industrie séparée, mais l'inégalité s'efface en pratique. Dans le premier cas, les salaires auxquels l'enfant aurait droit se compensent avec les soins qu'il reçoit dans la maison paternelle, mais le père récompensera, par une rémunération légitime, un travail utile et productif. Dans le second cas, l'enfant jouit bien des salaires qu'il reçoit, mais s'il n'a pas d'autres biens,

1 Conseil d'État, 21 mars 1890, Annales, 90, 1, 122.

dont le père soit usufruitier, il devra lui remettre ses salaires dans la mesure qu'il conviendra pour ses frais de nourriture et d'entretien.

b) Femmes mariées. Pour connaître, d'une façon précise, les règles relatives à l'emploi des salaires, lorsqu'il s'agit d'une ouvrière il faut distinguer les différents régimes sous lesquels elle est mariée. Les distinctions, que comportent l'application du Code civil, ne trouvent guère d'application dans la pratique, en ce qui concerne les salariés proprement dits. Les ouvriers sont, en fait, toujours mariés sous le régime de la communauté légale, en l'absence d'un contrat particulier. Mais les règles du louage de travail ne se bornent pas aux salariés seulement et, même parmi ces derniers, il peut y avoir des personnes, ayant une situation plus élevée, et pour lesquelles il est bon de connaître les solutions générales que la loi nous indique.

1o Régime de communauté. - Les salaires, comme tous les bénéfices résultant d'opérations industrielles ou commerciales, sont compris dans l'actif de la communauté. Le mari en a l'administration et la jouissance, et la femme doit lui remettre les gains qu'elle acquiert, sauf les sommes nécessaires à l'exercice de sa profession. Le mari pourrait même exiger que le patron lui remette à lui-même les salaires. de la femme, si celle-ci les employait en pure perte, et sans utilité.

2° Régime exclusif de communauté. Sous ce régime, chaque époux conserve la propriété de ses biens, mais le mari a l'administration et la jouissance de tous les biens de la femme. Les fruits de ces biens appartiennent au mari et il peut en disposer pour subvenir aux charges du ménage; or, quelle va être la condition juridique de la femme à l'égard de ses salaires? Le mari en a l'administration et la jouissance, mais non la propriété. Il faut considérer ces produits du travail comme un capital et non comme des fruits. L'article 1478 distingue les fruits d'une part, et les produits de l'industrie d'autre part. Les premiers deviennent la propriété du mari, les seconds restent la propriété de la femme; le mari n'en a que la jouissance et doit en restituer la valeur au jour de la dissolution du mariage ou de la séparation de biens.

Le mari, d'ailleurs, ne paie pas les dettes contractées par sa femme pour les besoins de son commerce, en l'absence d'une communauté de biens; il est équitable de donner les profits à la femme qui supporte les dettes (art. 5, Code de comm.). Cette décision doit s'appliquer aux gains d'une profession industrielle'.

3o Régime dotal. La femme s'est-elle constituée en dot ses biens présents et à venir? Les produits de son travail ont le caractère d'un bien dotal, dont la femme a la propriété, et dont le mari a l'adminis

Aubry et Rau, V, 531, texte et notes 18, 19, p. 516.Colmet de Santerre, VI, n. 202 bis. Guillouard, Contr. de mar., Ill, no 1660. Lyon-Caen et Renault, Précis. de dr. comm., I, no 196.

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