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attaques du dehors et se soustraire à toutes les conséquences des expéditions militaires dont le territoire atrébate fut trop souvent le théâtre, Ide de Clary', 9° abbesse, résolut d'acquérir dans Arras un Refuge où sa communauté pourrait se retirer toutes les fois que l'exigeraient les circonstances, en attendant le retour de la paix. Elle s'adressa donc à l'évêque Pierre II de Noyon et obtint l'autorisation de s'établir dans la Cité qui dépendait directement du pouvoir épiscopal. C'est en 1272 qu'Ide de Clary fonda le Refuge d'Etrun dans un enclos qui s'appelait alors le Cauroy et qu'on nomme aujourd'hui la Paix. Pendant les trois cents ans que le Refuge fut à cet endroit, aucun document ne nous est parvenu pour nous dire quels événements s'y passèrent, mais il n'est pas douteux que les Religieuses durent l'habiter au moins à l'époque du siége d'Arras de 1414 par Charles VI, de 1477 par Louis XI, et de 1492 par Charles VIII.

Or il advint qu'en 1565 les Dames du monastère d'Avesnes-lesBapaume, qui suivaient une règle semblable à celle d'Etrun, furent contraintes d'abandonner leur couvent détruit de fond en comble par les guerres qui signalèrent le XVIe siècle, depuis la rivalité de François Ier et de Charles-Quint jusqu'aux entreprises d'Henri IV sur l'Artois. Jeanne du Pré, 29° abbesse, dirigeait alors la communauté d'Etrun; elle offrit son Refuge de la Cité d'Arras aux religieuses d'Avesnes qui y demeurèrent jusqu'en 1612 et le revendirent alors aux Dames de la Paix de Jésus.

Voilà comment l'abbaye d'Etrun fut amenée à acheter un vaste immeuble, situé rue d'Amiens, où elle transféra définitivement son Refuge en 1565. Vingt ans après, elle agrandit encore son domaine par l'acquisition de la ferme des Bronnes qui lui fut cédée « pour obtenir son désistement du retrait qu'elle avoit fait de la mairie de Vitri vendue seize mille florins". »

Avant d'examiner dans quelles conditions le Refuge fut construit

1 Ida Clariacensis : on s'est demandé si elle ne tirait pas son origine des comtes de Clare, en Irlande.

2 P. Ignace, Dictionnaire, t. II, p. 642. par M. Parenty, p. 144-145.

P. Ignace, Add. aux Mém., t. II, p. 23.

Histoire de Florence de Werquignæul,

sur ce nouvel emplacement, disons un mot de l'Abbesse qui décida sa translation et arrêta le plan de sa construction.

Jeanne du Pré était fille de Pierre, seigneur de la Chaussée, et de Jeanne de Lannoy. D'Hozier donne pour armes à cette famille : de gueules, à une fasce d'or, chargée d'une molette d'azur. Jeanne, ayant été admise dans l'abbaye d'Etrun, s'y fit bientôt remarquer par ses qualités éminentes, ce qui lui valut, en 1549, l'honneur d'être nommée coadjutrice de l'abbesse Jeanne de Ranchicourt, << laquelle, dit l'acte de nomination, est desja ancienne et fort agée, débile et indisposée de sa personne, de manière qu'elle ne peuet doresenavant bonnement supporter le travail qu'elle vouldroit 1. »

L'année suivante, l'Abbesse étant décédée, il n'y eut qu'une voix pour appeler Jeanne du Pré à lui succéder. Son administration réalisa toutes les espérances qu'elle avait fait concevoir parmi les rares documents que possèdent encore nos archives départementales se trouve précisément un compte de 1564-65, le seul que nous possédions sur l'abbaye d'Etrun au XVIe siècle. La coïncidence de cette date avec celle de la translation du Refuge nous a fait chercher très-attentivement si ce compte ne renfermait pas les dépenses de sa construction; et c'est ce que nous venons de découvrir dans les circonstances qu'il est intéressant de mentionner. Nous avions bien remarqué qu'il y avait tout un chapitre consacré au compte des «< ouvraiges et réparations d'édifice qui ont esté faicts tant en la dicte abbaie que aultres lieux apartenant à icelle, » chapitre commençant ainsi : « Primes, pour le Burcq en cité»; mais qu'était-ce que ce Burcq? C'est ce à quoi nous ne pouvions répondre que par des conjectures, lorsque la lecture d'un autre compte, du XVIIe siècle cette fois, et unique aussi comme le premier, nous fit cette révélation :

COMPTE DU 19 SEPTEMBRE 1699 2 << Premièrement a esté paié au sieur Perousse receveur de Monseigneur l'Evesque d'Arras pour la maison du refuge des dictes Dames, en la dicte cité, nommé vulgairement le burcq, vingt deniers parisis et trois chappons estimez a douze sols pièces faisant

1 Reg. aux Commissions du Conseil d'Artois, no 9.

• Archives du Pas-de-Calais.

ensamblement trente sept sols dix deniers obol, selon qu'appert par sa quictance en datte du dict jour. »>

Item paié encore audict sieur Pérousse en sa dicte qualité pour cinq chappons que doibvent les maisons de Bronne et Erminez au prix de douze sols pieces faisant trois livres, comme appert par sa dicte quictance comme est du cy devant jour. »

Le Burcq était donc le nom du nouveau Refuge d'Etrun, auquel l'abbaye joignit la grande ferme de Bronne par derrière, et, du côté de la rue, la maison des Erminées ou Herminées, ainsi appelée probablement à cause des fourrures dont les religieuses ornaient leur costume. Ce mot de Burcq lui-même nous paraît se rattacher à l'idée de l'asile que la communauté venait y chercher; car il a quelquefois été employé dans le sens d'une habitation située au milieu d'une enceinte fortifiée 1.

A ce propos nous ajouterons que d'après un titre qui remonte à 12842, l'abbaye avait acheté une maison qui était « scituée au Burcq de Saint-Maurice à Arras », et qu'il s'agissait alors, comme le dit le texte « de quadam domo sita in vico Sancti Mauritii de Atrebato que dicitur de portis. » Dans ce dernier document, il est évident que, contrairement au premier sens, Burcq est synonyme de Vicus ou rue. Nous savons en effet que l'abbaye d'Etrun avait des propriétés dans la rue Saint-Maurice 3.

Nous avons donc bien mis la main sur le compte de la construction de ce Refuge, et nous allons offrir à nos lecteurs la primeur de cette heureuse trouvaille, en nous bornant néanmoins aux citations qui offrent un sérieux intérêt

Voici les premiers articles de ce chapitre.

'Du Cange dit dans son Glossarium : « Burgus, Burgen pro habitatione in castro est in charta anni 1252. · Charta abbatiæ et conventus de Yaucourt, anno 1260 : Avons escangié à Monseigneur Guillaume, chevalier, la terre de no menair, que nous avions a Longueval,... sans le Burc et le grant maison qui nous demeurent. »

2 Orig. en parch. aux Arch. dép.

• Cartul. de Guimann, p. 221. – Mém. de l'Acad. d'Arras, t. XXXVIII, p. 405. (Rentes de l'an 1382.)

Primes POUR LE BURCQ en cité.

«A Claude Censier mesureur de terre sermenté en Arthois, pour avoir mesuré le lieu de la vièse salle du dict burcq que ma dicte dame déliberoit faire réparer tout de noeuf en la sorte qu'elle est présentement rédifiée, ledict mesurage faict pour scavoir entièrement quels materiaulx il conviendroit avoir assemblé, combien il y pourroit avoir de thoise de machonerie a esté paié pour ladicte visitation. XI s.

<< Item a Philippes Turban machon demeurant a Marcul pour avoir lui VIIIe tant machons que manouvriers faict toute la machonerie dudict corps de logis, voire si avant quil fut marchandé autrement le dict Turban par le premier marchié a quoy faire ils auroient vaqué depuis le my août jusques à la Toussaint suivant temps de ce compte a esté paié la somme de. III cent. IIII xx1.

<< Item audict machon pour lui et ses ouvriers pour avoir mis jus le pan de mur qui est par dedans le court qui n'estoit de son marchié et refaict tout de noeuf avecq encoires aux dicts ouvraiges a esté payé. IIII xx1. « Item aux dicts machons charpentiers et aultres ouvriers pour la fondation du dict ouvraige pour eulx récréer par ensemble et pour la feste de la dicte œuvre a esté donné par madame en diverses fois. VIII 1.

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<< Item a deux carrieurs d'Estrun èt Marcul pour avoir faict durant ledict an plusieurs sortes de pierres qui ont en partie esté employez au dict édifice, si comme quaraulx coins et pierres au pied dont l'on a faict quatorze ou XV fenestres croisées et demy croisées, ensemble le porge vaulsure et le comptoir de dessus les littes et double entaulement a esté paié parmy quelque portion venant de Monsieur de Marcul la somme de. LI.

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Cette première citation nous fait déjà connaître le nom de l'architecte, CLAUDE CENSIER, et celui de l'entrepreneur, PHILIPPE TURBAN. Voici maintenant la série complète de tous les fournisseurs dont nous ne copions pas les articles pour éviter des longueurs fastidieuses :

Jacques Cocquidé, charpentier, « pour avoir faict le carpentaige dudict logis, IIIIxxl. Pour avoir remis à point le clocher de la dicte abbaie, IIII**IIII 1. III s. »

etc

Jacques Franchois, « Caufourier au faulxbourg de Baudimont. CXIIII. » Anthoine Baston, Jehan d'Abblinchevelle et Hugues Danel, a bricqueteurs pour cincq cent mille de bricques, paié. VIIIxxIII 1. XVII s. » Jacques Caudron, et son gendre Antoine Gonet ont fourni ensemble vingt-quatre chênes pour la construction.

C IIII** XIX 1, X s.

Jehan de le Sauch, le Josne a livré les << lattes, thieulles, caneuts,

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Pierre Macquerel, « couvreur de thieulles » à Arras.

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Jehan de Brelle, verrier « pour avoir faict le nombre de cinquante verrières estans audict corps de logis. »

IIIIxx X 1.

Gilles Boulie, peintre à Arras, « pour avoir paint toutes les nocquères de plomb et ung dragon estant sur rue avecq repaint autre chambre dudict burcq. » VIII 1. Philippe Turban « pour avoir faict la peinture de rouge et paint le dedans du dict édifice de couleur de bricques >> Pierre Liebe « hucher en cité », menuisier qui a fourni une certaine quantité de meubles, des escabeaux, etc

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VIII 1.

LXXII 1.

Robert Boulanger, « hucher » à Marœul, a fait la menuiserie des quinze fenêtres du Refuge 1

1

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Jacques Leblond, cordier, en cité.

Castini, féronnier .

Jehan de le Sauch, potier

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LII 1. XXXIX 1. XIX s.

XXXIII s.

XIIII 1.

Robert Cavin, « hucher à Arras » a livré 2 tables, 1 buffet et 12 esca

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Enfin nous donnerons in extenso les paragraphes suivants :

« Item aulx sabloneurs de Beaurains et Wailly.

LVII I. I s.

Item a quelques marchans de cloux de Namur passantz au devant de la porte de la dicte abbaie pour plusieurs sortes de cloux qu'ilz ont vendu et qui ont estez emploiez au dict ouvraige, paié.

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X 1. pour les

<< Item a le chastelain de Cité et autres officiers dudict lieu droits qui leur sont deubtz ad cause du renouvellement de la dicte machonnerie sur rue et esté faict quelque nouvellité, a esté paié.

XIII s.

<< Item a ung placqueur pour avoir chargé de terre et mortier l'ung des greniers dudict lieu, placqué et cloé plusieurs entrefends dudict édifice

1 Cet artiste, dans un autre endroit du même compte, est appelé « tailleur d'ymages, pour avoir faict ung crucifix et les ymages de Nostre-Dame et sainct Jehan pour l'église de la dicte abbaie.

XIIII 1. »

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