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une tête d'enfant, deux tableautins qui écrasent, par leurs qualités, ces vastes toiles tapageuses et prétentieuses étalant aux alentours leurs multiples personnages plus hauts que nature: preuve nouvelle que l'art, pour être grand, n'a besoin ni de complications, ni d'espace; une simple figure, sur une toile large comme la main, lui suffit.

Mais ne nous laissons pas entraîner à ces généralités du sujet, où se noieraient les quelques pages dont nous pouvons disposer, et bornons-nous au chapitre spécial qui intéresse plus particulièrement les lecteurs de ce recueil.

Cette année encore, nous rencontrons à peu près les mêmes noms, sinon les mêmes œuvres. Aussi nous étudierons-nous à être court, en vue d'éviter l'écueil de la monotonie.

Commençons encore cette fois par la plus illustre étoile de notre pléiade artistique vendéenne-bretonne, le célèbre auteur de ces magnifiques peintures décoratives du nouvel Opéra, auxquelles notre excellent ami M. Gustave Marquerie rendait ici naguère un si juste et si compétent hommage.

M. Baudry a envoyé au présent Salon, comme au précédent, deux portraits, qui, je dois le dire, ont été également discutés. Mile H*** est à cet âge ingrat où l'on n'est plus enfant et pas encore jeune fille. Elle n'est pas du goût de tous, la pose, évidemment voulue, de cette fillette blottie dans une encoignure de cheminée, comme si elle était en pénitence pour quelque méfait, dont elle semble peu repentante, si l'on en juge par ce petit air mutin et malicieux de son charmant minois. De même, on accuse le portrait à demi équestre du général Cousin de Montauban d'être plutôt le portrait du cheval que celui du cavalier, le personnage principal étant quelque peu sacrifié à l'accessoire. Il est du moins enlevé de main de maître, malgré les difficultés du raccourci, ce superbe alezan à la puissante encolure, à l'œil ardent, aux narines frémissantes, comme si elles respiraient la poudre, tandis que le cavalier est pacifiquement accoudé sur la selle d'où il vient de des

cendre; ce qui ne l'empêche pas d'avoir, lui aussi, une belle et franche figure militaire, pleine d'intelligence et de vie.

Malgré ces critiques, dont nous avons dû impartialement nous faire l'écho, ces deux portraits n'en sont pas moins empreints de ces hautes qualités dont un artiste de la valeur de M. Baudry ne saurait se départir. S'ils n'ajoutent pas à sa juste renommée, du moins ils n'en enlèvent rien.

M. Elie Delaunay, un digne émule de M. Baudry, a également exposé deux portraits, celui de Mme S... et celui de M. Lechat, maire de Nantes; le premier, plein de caractère et d'une physionomie un peu étrange; le second, également excellent, mais quelque peu poussé au noir et d'une vigueur frisant la dureté : tous deux dignes, au total, de l'artiste éminent qui les a signés.

S'il a moins d'accent personnel, s'il n'a pas encore toute cette liberté et franchise d'allure que l'on pourrait souhaiter, M. Delhumeau est du moins en notable progrès. Tout en étant traités avec le même soin consciencieux, excessif même parfois, que les précédents, les deux portraits que le jeune artiste vendéen a exposés cette année sont peints d'une touche plus large et plus ferme, surtout le Portrait de M. S., figure de vieillard aux traits accentués, rendus avec une remarquable vigueur et une frappante vérité. C'est une de ces images vivantes, dont on reconnaît l'original sans l'avoir jamais vu. Dans une gamme différente et moins accentuée, le Portrait en pied de Mme R..., avec son élégante tournure, son riche et sévère costume de satin noir, est également une page très-étudiée, très-poussée, notamment dans le modelé des mains, cet écueil de tant de portraitistes. C'est là de la bonne, saine et consciencieuse peinture, sans nulle trace des escamotages et ficelles à la mode. Toutefois, il est bon de ne pas trop incliner vers l'excès contraire, et M. Delhumeau devra se résigner à sacrifier davantage encore l'accessoire au principal, à ne pas traiter l'un et l'autre avec une trop égale sollicitude. Il connaît son métier; il ne lui manque que de laisser un peu plus la bride sur le cou à son pinceau, comme Mme de Sévigné le disait de sa plume.

M. Hippolyte Dubois a également exposé deux portraits estimables, bien que dans un genre moins contenu et plus à la mode courante.

Dans le ventripotent et jovial Portrait de M. Bellot, M. Chalot nous a donné une nouvelle édition, légèrement corrigée, du fameux Bon bok, de M. Manet, et il faut bien confesser que, des deux éditions, la plus remarquable était encore l'originale, chef-d'œuvre de réalisme rabelaisien.

Avec leur archaïsme voulu, avec leurs teintes en grisaille simulant la fresque, les deux grandes scènes empruntées à la vie de saint Louis par M. Luc-Olivier Merson, n'ont peut-être pas séduit l'œil du public, mais, en revanche, elles ont été remarquées des connaisseurs, qui ont loué chez le jeune artiste une consciencieuse recherche, l'aversion du banal et du joli à la mode, la précision du dessin, l'harmonie du coloris. Destinées au Palais de Justice, cet ancien palais de nos rois, qui conserve encore sous ses voûtes gothiques de si précieux souvenirs du séjour de saint Louis (le pieux monarque y rendait familièrement la justice à l'ombre des arbres fruitiers de son jardin, comme sous le chène proverbial de Vincennes), ces peintures, avec leur franche couleur locale du XIII® siècle, seront fort bien à leur place. On sent dans les compositions de M. Merson une personnalité artistique originale qui tend à se dégager, au risque de forcer la note archéologique, ce dont on pourrait, cette fois encore, l'accuser.

Un débutant qui porte un nom bien connu de nos lecteurs, M. Armel de Wismes, s'est essayé dans une toile que signerait plus d'un vétéran des expositions. Ce tableau représentant La tête d'un brigand apportée par des paysans romains au délégat de Frosinone, auquel ils viennent réclamer la prime promise par l'édit de 1824, se distingue par les plus sérieuses qualités de composition, de dessin et de couleur. Ce début fait plus et mieux que promettre, il tient déjà.

M. Alf. Guillon a justement conquis une médaille, de 3e classe, il est vrai, pour son tableau Après la tempête, un de ces drames dont

!

nos côtes bretonnes sont trop souvent le théâtre. La mer vient de rejeter sur les rochers, près des débris d'une barque brisée, le corps d'un enfant, du pauvre mousse, sur lequel une femme se penche en pleurant et que regarde avec stupeur sa jeune sœur qui accourt : scène émouvante dans sa simplicité, et habilement rendue, malgré certaines invraisemblances de détail. Je serais tenté de préférer à cette toile Une école dans le Finistère, du même peintre, joli tableau d'intérieur, spirituellement composé, d'une touche grasse et solide. Ne sait pas sa leçon, par M. Roussin, est une petite scène scolaire analogue par le genre et les qualités.

Primavera, gioventù dell'anno,
Gioventù, primavera della vita!

De ce charmant distique italien, Mile J. Houssaye nous offre une traduction picturale charmante comme lui. Une belle et élégante jeune fille, à la chevelure rutilante, que l'on dirait empruntée à la palette du Véronèse, contemple une rose, moins vermeille que son teint: printemps de la vie et printemps de l'année, double symbole, plein de fraîcheur et de grâce, rendu dans une gamme blonde, ambrée, d'une délicatesse toute féminine, que rehausse encore un dessin pur et correct. Les Roses, autre jeune fille et autre gracieux bouquet, fleurs végétales et fleur humaine, luttant aussi de fraicheur et d'éclat...

Si la Cryptie (épisode du massacre des Ilotes), de M. Baader, laisse à désirer du côté de la nouveauté et de l'intérêt du sujet, c'est du moins une de ces études académiques faites pour réjouir l'œil d'un professeur de l'école des Beaux-Arts.

M. de Beaumont a fait trêve, pour une fois, à ces épigrammes picturales dont le goût était parfois douteux. Son Nid de Sirènes est une charmante fantaisie mythologique, d'une mystérieuse coloration bleue et nacrée, rappelant trop toutefois les effets miroitants de la porcelaine.

Elle ne languit pas du doute à l'espérance
Et ne disputa pas sa vie à la souffrance;

Elle but d'un seul trait le vase de douleur,

Dans sa première larme elle noya son cœur.

La Graziella, de M. de Curzon, ne rappelle que de loin, il faut l'avouer, l'héroïne éplorée que nous a peinte le poète dans ces vers. Belle, robuste, brune, coquettement parée de ses bijoux, son visage encadré d'une luxuriante et noire chevelure; assise dans une pose familière, sur un rocher dominant le bleu golfe de Naples, la jeune Procitane détourne les yeux de cette mer qui a vu fuir l'ingrat; sa rêverie, qui n'a rien de désolé, semble déjà chercher ailleurs quelque objet nouveau qui la console de l'objet perdu. Ce n'en est pas moins là un charmant et séduisant morceau, l'un des meilleurs que nous ait donnés M. de Curzon depuis sa ravissante Psyché. Non loin de là, le même peintre nous représente, dans un beau et mélancolique paysage, ces majestueuses Ruines d'aqueducs profilant leurs arches. brisées sur le désert de la campagne romaine, que domine au loin le dôme de Saint-Pierre, doré par les derniers feux du soleil couchant.

D'un pinceau un peu naïf et dur, mais ferme, M. Le Bihan nous peint tour à tour l'automnale Cueillette des pommes, et cette autre cueillette moins idyllique, la Récolte du varech à marée basse. Dans une page historique, M. Leray nous guinde jusqu'à la butte Montmartre, en compagnie de Henri IV, qui, avec sa cour, vient contempler, du futur Mont-Aventin populaire, ce Paris qui lui résiste encore...

Les deux toiles de M. Luminais: A toute volée (composition bizarre trois jeunes évaporées, brune, blonde et rousse, lancées à perdre haleine sur une escarpolette) et la Fuite du prisonnier, gaulois naturellement, témoignent des mêmes fortes qualités que nous sommes habitués à reconnaître chez cet excellent artiste, et qui font une fois de plus regretter de ne pas les voir employées à quelque grand sujet historique. Mme Luminais, de son côté, nous a donné un portrait féminin, quelque peu étrange d'allure, mais où se devine l'influence des leçons du maître.

Je me borne à mentionner les scènes bachiques de M. Léonce

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