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enfin, grammaire et glossaire de la langue du XIIIe siècle. Une curieuse carte du jeune et savant géographe du moyen âge, M. Auguste Longnon, vient compléter ces différents éléments d'instruction.

Quant à l'illustration du texte, après une belle chromolithographie figurant en frontispice la célèbre basilique de Saint-Marc, viennent de nombreuses gravures, lettres ornées, fleurons, en-tête, culs-de-lampe, figures d'armes et de costumes, toutes scrupuleusement copiées d'après les manuscrits du temps.

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Cette belle édition, comme ses similaires sorties de la même librairie, présente, on le voit, toutes les qualités de nature à la faire rechercher de l'érudit en même temps que du bibliophile.

Une réflexion en terminant.

Parmi les nombreuses sottises soi-disant historiques, qui, inventées par la mauvaise foi et répétées par l'ignorance, sont insensiblement passées à l'état d'axiomes, il en est peu d'aussi répandues que la prétendue ignorance systématique de la noblesse au moyen âge. Or, ainsi qu'en faisait récemment ici même la remarque notre éminent collaborateur M. E. de la Gournerie, il se trouve que nos plus anciens chroniqueurs, Villehardouin, Henri de Valenciennes, Joinville, sans parler des autres, étaient gentilshommes. La noblesse prit également une part des plus brillantes au mouvement poétique d'alors. C'est par des nobles que furent composées nos plus anciennes épopées chevaleresques. Bertram de Born, Guillaume d'Aquitaine, Bernard de Ventadour, comptent au premier rang des troubadours provençaux. René d'Anjou cumula les talents de savant, de poète et de peintre. M. Léopold Delisle a démontré que les barons féodaux des XIIe, XIIIe et XIVe siècles étaient pour le moins à la hauteur de l'instruction générale de leur temps. Trois professeurs étaient d'ordinaire chargés de l'éducation des enfants de noble maison, l'un préposé à l'enseignement de la religion, un autre à celui de la grammaire, c'est-à-dire de l'ensemble des connaissances d'alors; le troisième apprenant à leurs communs élèves la conduite à tenir envers les grands et les petits.

L'étude du droit était fort en honneur chez les gentilshommes du centre et du nord de la France; beaucoup s'intitulaient chevaliers et licenciés ès-lois. En l'an 1337, en plein siècle de fer, l'université d'Orléans comptait parmi ses élèves les enfants des plus grandes familles de l'époque.

Et ces fameuses chartes, que certains nobles auraient déclaré ne pouvoir ni ne savoir signer, vu leur qualité de gentilshommes? — Ces chartes n'ont jamais existé que dans l'imagination des écrivains fantaisistes qui les ont inventées. Les croix et sceaux apposés sur les actes n'avaient d'autre but que de les authentiquer, ainsi que le démontre l'étude de la diplomatique; ils ne sont en aucune façon la preuve de l'ignorance des contractants, mais bien plutôt de celle des écrivains qui leur attribuent gratuitement cette signification. Les plus anciennes signatures, même royales, ne remontent pas au delà de Charles V.

Ainsi en est-il encore de l'abétissement systématique du peuple par le clergé, autre sottise, autre calomnie qui court les livres et les journaux d'une certaine école acharnée à dénigrer le passé. Comme s'il n'était pas péremptoirement démontré que le clergé, tant séculier que régulier, a été au moyen âge le principal et tout d'abord l'unique éducateur du peuple, le sauveur des lettres et des arts! Des études récentes et consciencieuses, entreprises sans parti pris, ont au contraire démontré que l'instruction était alors beaucoup plus répandue que nous ne nous l'imaginions naguère. Monastères et presbytères étaient autant de foyers d'instruction. Chaque prêtre, chaque moine, était un précepteur, un instituteur, et cela par devoir de conscience, par obéissance aux formelles injonctions des papes et des conciles. Aussi, à cette époque d'obscurantisme et de ténèbres», la France compta jusqu'à soixante mille écoles, primaires ou secondaires, urbaines ou rurales, c'est-à-dire plus que n'en compte notre France contemporaine, si dédaigneuse du passé, si fière des progrès de son instruction populaire. Dans ses curieuses Re

V. un article de M. Ch. Louandre, dans un recueil peu suspect, la Revue des Deux Mondes, n° du 15 janvier 1877.

M. Siméon Luce a également démontré, dans sa savante Histoire de du Guesclin, que la France devait être, au XIII° siècle, aussi peuplée qu'elle l'est actuellement.

cherches sur l'instruction publique dans le diocèse de Rouen, M. de Beaurepaire nous apprend qu'au XIIIe siècle, tous les paysans de la Normandie savaient lire et écrire (l'escriptoire qu'ils portaient à la ceinture, faisait, pour ainsi dire, partie de leur costume); beaucoup n'étaient pas étrangers à la connaissance du latin.

Nous voilà loin de ce roman d'ignorance universelle inventé par le parti pris et la passion. Faut-il redire ce témoignage tant de fois cité du Vénitien Marino Giustiniano, ambassadeur à la cour de Francois Ier, lequel écrivait au conseil de sa république : « Il n'est en France personne, si pauvre soit-il, qui n'apprenne à lire et à écrire. >

La guerre de Cent Ans et les guerres de religion portèrent, il est vrai, un coup fatal à ce florissant état de l'instruction au moyen âge et à l'époque de la Renaissance. Les choses en arrivèrent au point que, aux États généraux de 1614, la noblesse, alarmée de l'ignorance des populations, émit le vœu que l'instruction devînt obligatoire et qu'un traitement fixe fût assuré aux instituteurs. Encore une invention soi-disant nouvelle de nos démocrates contemporains, vieille de deux siècles et demi, et entachée, qui pis est, d'une origine tout aristocratique ! Il est vrai que nos réformateurs pédagogiques de 1614 se bornaient à demander l'obligation de l'instruction; ils étaient encore trop peu éclairés pour en réclamer la laïcité...

Toutefois le niveau de l'instruction ne tarda pas à se relever; sous Louis XVI, dans les pays dits d'États, il était au moins parvenu au point où nous le voyons aujourd'hui. Dans ses recherches si intéressantes sur les Assemblées provinciales de 1788, M. Léonce de Lavergne témoigne son étonnement du degré d'instruction qu'accusent les documents qu'il a eu à étudier, en même temps que de l'élévation des pensées, de la générosité, parfois imprudente, des sentiments, et de tant de riantes espérances, auxquelles quatrevingts ans de révolutions devaient donner un si cruel démenti!

Pour en revenir aux publications de la maison Didot, disons en terminant qu'elle vient de faire paraître la sixième édition de

l'Histoire de la littérature française, de M. Désiré Nisard, ouvrage pour ainsi dire classique, dès longtemps consacré par le succès et plus encore par la haute estime des lettrés. Aussi ne pouvons-nous que répéter, après les critiques autorisés, que c'est là une histoire complète, savante, approfondie, de notre littérature depuis ses premiers bégaiements, que nous rappelions tout à l'heure, jusqu'à son entier épanouissement (peut-être devrions-nous plutôt dire sa décadence) en nos temps actuels. Doué d'un sens sûr et fin rappelant l'inflexible rectitude de Boileau, avec plus de largeur, et s'appuyant sur le même principe d'autorité, d'amour du vrai et du beau, M. D. Nisard apprécie successivement et juge comme il convient toutes ces œuvres si variées de forme, de ton, de sujets et même de dialectes, sinon de langues, qui composent notre trésor littéraire national, le plus riche de l'Europe. Et ces jugements, prononcés avec pleine compétence par une raison aussi droite qu'éclairée, sont presque tous, on peut le dire, des arrêts définitifs. Science consommée de la langue, pénétration, élégance de style, netteté et clarté de la forme unies à la solidité du fond, toutes ces qualités maîtresses assignent à cet ouvrage une place à part dans la bibliothèque du lettré.

Enfin, cette année encore, la même librairie nous annonce, pour nos étrennes du prochain jour de l'an, plusieurs nouveautés des plus intéressantes: LA SAINTE BIBLE, récit et commentaire, par M. l'abbé Salmon; - LE XVIII® SIÈCLE, lettres, sciences et arts, complément du bel ouvrage de M. Paul Lacroix sur cette époque si discutée, si féconde en contrastes; LES HARMONIES DU SON et l'histoire des instruments de musique, par M. Rambosson, l'écrivain scientifique bien connu. Inutile d'ajouter que chacun de ces ouvrages sera illustré avec ce luxe et ce bon goût qui président aux publications de ce genre éditées par la maison Didot.

LUCIEN DUBOIS.

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NOTICES ET COMPTES RENDUS

LA JOURNÉE DES BARRICADES ET LA LIGUE A RENNES (mars et avril 1589), par M. S. Ropartz. Plihon, Rennes. Broch. in-12, 142 pp. La Société archéologique d'Ille-et-Vilaine vient de rééditer dans son bulletin un opuscule très-rare, intitulé: La délivrance admirable de la ville de Rennes en Bretagne d'entre les mains des politiques et hérétiques selon les lettres missives de ce dernier voyage du 14 mars. M. S. Ropartz, chargé par ses confrères d'en être l'éditeur, était préparé d'avance à ce rôle de commentateur par les recherches approfondies qu'il poursuit depuis longtemps sur l'épo que de la Ligue. Les archives municipales de Rennes lui sont particulièrement très-connues. Il les a compulsées avec un tel soir qu'il est parvenu à mettre la main sur des procès-verbaux détachés. des délibérations municipales relatives aux événements si importants des mois de mars et avril 1589. Le journal de Pichard, les mémoires de Montmartin et les registres du Parlement lui ont fourni aussi des éclaircissements qui lui ont permis de préciser quelques faits jusque-là restés obscurs dans l'histoire de la ville de Rennes.

Les traits généraux de l'histoire provinciale nous repassent sous les yeux sans modification, mais avec cette empreinte de vérité que communiquent seuls les documents originaux et les relations contemporaines. On voit la Bretagne troublée à plaisir par un gouverneur ambitieux, qui, sous prétexte de défendre l'intégrité du catholicisme, ne cherche en réalité qu'une occasion de s'affranchir de toute autorité pour ressaisir la suprématie des anciens ducs. La division se met alors dans les cours souveraines. Quelques conseillers se séparent de leurs collègues de Rennes, pour aller fonder à Nantes, résidence favorite du duc de Mercœur, une cour rivale qu'on TOME XLII (II DE LA 50 SÉRIE.

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