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Je ne sais si les Muses conduisirent à bon port et le maestro et les exécutants; mais avec de tels vers, il faut avouer que ce n'était pas besogne facile!

Le volume compte trois cent soixante-dix pages in-18, plus les liminaires et une double table dans laquelle sont indiquées séparément les pièces de l'invention de l'autheur, les hymnes et les autres pièces traduites. Il n'y a en tête, outre la préface, que des stances à l'auteur, rimées par M. Doremet, vicaire général et chanoine de Saint-Malo, dont nous avons déjà parlé en un autre chapitre. M. Doremet n'était pas meilleur poète que M. Auffray; j'en cite quatre vers seulement :

Je prends plaisir d'ouyr les hymnes et cantiques
De l'Église de Dieu parler nostre françois,

Qui marche au parangon des plus latines voix,

Par l'art d'un docte autheur, en beaux pieds poétiques!

Je ne me sens pas de force à emboîter le pas, et je m'arrête. Le titre complet du livre est celui-ci : Les hymnes et cantiques de l'Église traduits en vers françois sur les plus beaux airs de ce temps, par le s Auffray Pluduno, chanoine de l'Église cathédrale de SaintBrieuc, ensemble diverses pièces de poésie chrestienne, entremeslées dans l'œuvre selon les saisons de l'année : le tout pour la consolation des âmes catholiques et dévotes. A Saint-Brieuc, par Guillaume Doublet, imprimeur et libraire, 1625.

Il y a une marque que je crois particulière à l'auteur et que l'on ne retrouve pas sur les autres ouvrages sorties à la même époque des presses de Doublet c'est un chrisma rayonnant, avec cette devise: Laudabile nomen Domini.

:

A partir de 1628, notre chanoine, devenu trésorier, prend dans le registre le titre d'Auffray Guélembert. Le Guélembert était, comme je l'ai dit, une terre de la famille. En 1634, il eut un différend capitulaire avec messire Courtin, doyen. Notre résumé le mentionne trop sommairement, en ces termes : « 19 janvier 1635. - Conclusion de la plainte faite au chapitre par messire Courtin,

doyen, et Auffray Guélambert, l'un contre l'autre. » Il disparaît et a un successeur, comme trésorier, en février 1638. Mais il n'a un successeur, comme chanoine, qu'à la date du 4 novembre 1652. < Réception par procureur de noble Claude de la Borde, clerc, dans le canonicat de feu messire François Auffray Pluduno. » Le 12 novembre de la même année, le registre porte que, messire Auffray étant mort, mais n'ayant point été enterré dans l'église de SaintBrieuc, le chapitre fit sonner les cloches et célébrer un service.

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LOUISE AMAURY*

NOUVELLE

Elle prit son petit paquet et sa lampe, s'enveloppa de son manteau, sortit doucement, descendit l'escalier, et arrivée devant la chambre de sa belle-mère, déposa à terre son léger bagage. Elle avait eu soin, avant de rendre le trousseau de passe-partout à la serrurière, d'en détacher celui qui lui avait servi le matin; elle l'introduisit dans la serrure, puis le tourna lentement. La serrure grinça, malgré toutes les précautions de la jeune femme, et offrit à sa main tremblante une résistance plus grande que le matin; il lui semblait que chaque mouvement, chaque bruit si léger qu'il fût allait éveiller sa belle-mère, et elle éprouvait toutes les craintes du voleur qui s'empare du bien d'autrui. Enfin la porte s'ouvrit, Louise entra dans la chambre après avoir laissé sa lampe sur l'escalier. Un rayon de la lune, pénétrant à travers les volets à demi fermés, lui permettait de distinguer ce qui l'entourait. Elle jeta un regard inquiet vers le lit de madame Amaury. Troublée dans son repos, celle-ci s'était retournée. Son front soucieux, ses lèvres agitées, sa respiration entrecoupée trahissaient le trouble intérieur de son esprit. Toutefois le lourd sommeil amené par la fatigue et peut-être aussi par les libations consolatrices auxquelles la vieille femme avait recours depuis ses chagrins, n'avait pas été interrompu. Louise fit

* Voir la livraison d'octobre, pp. 301-308.

TOME XLII (II DE LA 50 SÉRIE.)

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un effort sur elle-même, entra dans le cabinet, enleva doucement l'enfant de son berceau, le cacha sous le grand manteau pour étouffer ses cris, en cas de besoin, et, traversant de nouveau la chambre, se retrouva sur l'escalier où elle reprit la lampe et le paquet qu'elle y avait déposés.

Elle descendit alors avec précaution. La porte extérieure était fermée; mais les habitants de la maison, obligés par leurs différents métiers de sortir de grand matin ou de rentrer fort tard, savaient tous la cachette où l'on plaçait la clef. Louise parvint donc facilement à ouvrir et se trouva enfin dans la rue avec sa fille dans ses bras, maîtresse de ce bien si cher, mais seule, abandonnée et réduite à sa propre faiblesse.

Cependant elle n'éprouva encore aucune crainte. Le bonheur d'avoir réussi dans son entreprise, de s'éloigner de sa belle-mère, doublait son courage. Elle parcourut rapidement les rues désertes, dont la pâle lueur de la lune ne faisait que mieux découvrir l'inquié tante solitude et se dirigea vers la Loire, qu'il lui fallait traverser pour arriver à la route de Bordeaux. Tant qu'elle resta dans le dédale tortueux du vieux quartier, dont les toits avancés, les auvents, les angles rentrants et saillants lui procuraient l'abri de leurs ombres, et où ses cris lui eussent en cas de besoin attiré des défenseurs, sa fermeté ne faiblit pas, mais lorsqu'elle eut atteint le quai, et que sa vue put s'étendre à la fois à droite et à gauche le long de la rivière, sur ces ponts qui se prolongent pendant une demi-lieue, joignant entre eux les îlots dont le fleuve est semé et offrant de larges espaces absolument découverts, elle commença à ressentir un certain effroi.

Elle franchit le premier bras du fleuve en serrant les plis de son manteau pour préserver son enfant du vent glacial de la nuit, qui balayait sans obstacle le pavé et faisait ondoyer les flots transparents. Mais les différents lits que le courant s'est frayés sont nom breux et vont toujours en s'élargissant jusqu'au dernier, celui de Pirmil, qui a presque un demi-quart de lieue de largeur, et le cœur manqua à la pauvre jeune femme devant cette solitude abso

lue, cette nuit qui se faisait plus obscure, ce froid qui la transperçait et cette route qui s'allongeait incessamment. Son pas se ralentit; elle finit par s'arrêter indécise au pied d'une vieille maison, seul reste des constructions qui autrefois s'élevaient des deux côtés des ponts et en faisaient de véritables rues. Depuis on a élargi la voie publique en abattant à droite et à gauche, au grand déplaisir des amateurs du pittoresque, mais la bizarre demeure dont nous parlions existe encore et sa forme originale attire presque toujours le premier regard du voyageur qui arrive à Nantes en descendant le cours de la Loire. Elle continue du côté de la rivière la structure irrégulière du pilier sur lequel elle est construite, et lorsque le soir son profil anguleux, déjà baigné dans le brouillard diaphane répandu autour d'elle par les flots qui se brisent à ses pieds, se détache sur le fond lumineux d'un splendide coucher de soleil, que les longues lignes des quais avec leur forêt de mâts se déploient autour de ce foyer ardent qui leur jette ses resplendissants rayons, et que dans le lointain les maisons, les églises, les usines, les manufactures, s'entassent et s'élèvent les unes sur les autres en suivant les pentes rapides du terrain et perdent leurs formes variées, moitié dans la brune éblouissante qui les colore, moitié dans les longues traînées de fumée dont s'entoure l'active et industrieuse cité, cet ensemble présente, pendant quelques minutes, un des tableaux les plus magnifiques que nos grandes villes de province puissent offrir aux yeux étonnés du voyageur.

Mais lorsque Louise Amaury s'arrêta haletante au milieu du pont, l'aspect du paysage était bien différent. Des nuages floconneux poussés par une piquante brise de l'est couraient sur le ciel comme des bandes de cygnes effrayés et cachaient à chaque instant la lune qui s'inclinait à l'horizon en dessinant vaguement les sombres silhouettes de la ville déserte et silencieuse. La ligne brillante des réverbères s'était éteinte sur les deux rives du fleuve, et une lanterne solitaire, posée sur un tas de décombres, projetait seule sa lueur tremblotante qui se mirait en frissonnant dans l'eau. Une crue récente avait rendu la rivière plus rapide et plus profonde; les

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