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Rien n'est sorti de ma mémoire;

Et, chez ce bon peuple adoré,

J'ai le bonheur d'être ignoré,
Moi qui sais si bien son histoire.

J'y vais m'endormir, tous les ans,
Pour oublier, dans la nature,
Avec nos braves paysans,
Politique et littérature.

Là, pour mes sublimes travaux,
Nul ne m'adresse une louange;
Nous parlons foin, boeufs et chevaux,
Seigle et froment, chasse et vendange.

Chez le libraire de l'endroit

J'ai vu du papier et des plumes,

Des missels, des livres de droit...

Pas un de mes fameux volumes.

Mais nul ne me voit de travers
Et ne dit : « Qu'il écrive en prose! >
A mes mauvais, à mes bons vers
Nul n'a sifflé... c'est quelque chose.

Vous soupçonnez, amis lecteurs,
Que j'y viens faire le bon prince
Et recruter des électeurs,

Comme un grand homme de province.

Plutôt que rester le second

A Rome qu'il mit au pillage,

César eût mieux aimé, dit-on,
Etre le coq dans un village.

Je n'ai pas ces goûts d'empereur,
Et, dans Paris, Athène, ou Rome,
J'accepterais, avec bonheur,

D'être second... mais honnête homme.

Ici, je vis en bon fermier,

Et, certes, ma joie est profonde
De n'être dernier ni premier,

Mais d'être comme tout le monde.

Je n'y fais pas le triomphant,

Je tâche de rester moi-même ;
Et je crois volontiers qu'on m'aime
Et qu'on dit : « C'est un bon enfant ! »

Vous tous, race calme et sensée,
Durs travailleurs de nos guérets,
Soldats tenaces du Forez,

Vous êtes chers à ma pensée.

Je vous chantais avec amour

Et j'ai pleuré de votre gloire
En lisant: A L'ORDRE DU JOUR,
PREMIER BATAILLON DE LA LOIRE '. »

Chrétien de cœur et de raison,

Et Français de toute mon âme,

Le premier bataillon des mobiles de la Loire, composé du contingent de l'arrondissement de Montbrison, a été mis deux fois à l'ordre du jour, après les combats de Ladon et de Baume-la-Rolande.

Je prie encore, à Montbrison,

Par saint Aubrin et Notre-Dame 1.

Jamais l'on ne m'a vu broncher;
Et j'appris à chérir la France
A Notre-Dame d'Espérance,
En aimant notre vieux clocher.

C'est le clocher de mon baptême :
L'enfant qui n'aime pas le sien
Sera très-mauvais citoyen
Et n'aimera rien que lui-même.

Amour du clocher, du sillon,
Du toit, des souvenirs d'enfance,
Tu nous fais ces cœurs de lion
Invincibles dans la défense!

Pour mieux chérir nos saintes lois,
La grande France endolorie,
Commencez donc, comme autrefois,
Aimez la petite patrie.

VICTOR DE LAPRADE.

↑ Saint Aubrin, patron de la ville de Montbrison. Le jour de sa fête, tous les habitants s'appelaient mon cousin ou ma cousine. On n'y dit pas encore citoyen et citoyenne.

HISTOIRES D'AUTREFOIS

PREMIER DIZAIN

HISTOIRES EXTRAORDINAIRES'

VI

L'ENFANT OUBLIÉ.

Un noble de Silésie invita ses amis à dîner. Au jour dit, l'heure du festin approchant, pas un des invités ne vint, tous s'excusèrent. Le noble furieux s'écria:

Personne ne veut de mon dîner! Eh bien, que tous les diables le mangent!

Puis, pour évaporer sa colère, il fut à l'église entendre son curé prêcher.

Pendant qu'il était là, arrive dans la cour de sa maison une troupe de cavaliers de haute taille et tout noirs, qui ordonnent au valet d'aller avertir son maître que ses hôtes sont arrivés. Le valet - qui avait trop bien reconnu ces hôtes - s'encourt à l'église épouvanté et informe son seigneur, qui, ne sachant que faire, demande

* Voir la livraison d'avril 1877, pp. 305-309.

1 Toutes tirées, sauf la dernière, du Magnum Speculum exemplorum.

conseil au curé. Le curé laisse son sermon, et après réflexion conseille au noble d'abandonner son logis, lui, ses serviteurs et toute sa famille. On suit ce conseil. Valets et servantes s'empressent de déménager, et le font en telle hâte qu'ils laissent derrière eux le petit enfant du maître, endormi dans son berceau.

Cependant les diables commencent à dîner en vociferant. Plusieurs viennent se mettre aux fenêtres, les uns ornés de têtes de loup, d'ours, de chien ou de chat, les autres en figure humaine, ceux-ci ayant à la main des coupes remplies de vin, ceux-là des plats de rôti et de poisson. Le curé, les nobles, tous les habitants du voisinage s'assemblent pour voir ce spectacle. Mais tout à coup le pauvre père s'écrie:

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Aussitôt un démon vient à la fenêtre, berçant l'enfant dans ses bras. Le père consterné le croit perdu; se tournant vers le plus fidèle de ses serviteurs:

Que faire? lui dit-il.

- Seigneur, j'y risquerai ma vie. Me recommandant à Dieu et avec son secours tout-puissant, j'essaierai d'aller chercher l'enfant et de vous le rendre sain et sauf.

-Merci! répond le maître; va donc et que Dieu t'assiste.

Ayant reçu la bénédiction du prêtre, le serviteur se rend au logis. Avant d'entrer dans la salle où siégent les démons, il tombe à genoux, se recommande à Dieu, puis ouvre la porte et voit l'horrible assemblée des diables, les uns debout, les autres assis, ceux-ci gambadant, ceux-là rampant. Dès qu'ils l'aperçoivent, tous courent sur lui, menaçant et criant:

Hou! hou! que viens-tu chercher ici?

Le malheureux, couvert d'une sueur froide mais gardant par la grâce de Dieu tout son courage, dit au démon qui portait l'enfant : - Donne-moi cet enfant !

- Du tout, répond le diable, il est à moi cet enfant; si ton maître veut l'avoir, dis-lui de venir le chercher.

Je m'acquitte de mon devoir, répond le serviteur; je suis
TOME XLII (II DE LA 50 SÉRIE.)

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