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contraire dans la vallée, tout près de l'étang du Moulin-aux-Chiens, qu'ils bâtirent leur château '.

Cette seigneurie de Kernier a cela de particulier que, presque seule en Bretagne, elle ne s'est pas formée par les armes. Elle est née et s'est développée par l'agriculture, par l'industrie, par le travail opiniâtre de plusieurs générations. Pendant que les propriétaires de Créheren s'en allaient gaspillant leurs revenus à la cour ou ailleurs, ceux de Kernier grandissaient en autorité et en considération au milieu de la population qu'ils faisaient vivre.

Aujourd'hui encore, tout le monde dans la contrée prononce avec respect le nom des seigneurs de Kernier, et nul ne se souvient de ceux de Créheren.

Nous terminerons ce court historique de Plouvara par un épisode qui porte aussi son enseignement. Cette paroisse avait eu beaucoup à souffrir de ses prêtres constitutionnels, pendant la Révolution. Voici ce qui arriva au dernier d'entre eux. C'était, si nous ne nous trompons, au milieu de l'année 1796. Vers midi, trois chouans traversèrent le bourg, le fusil sur l'épaule. Ils se rendirent droit au presbytère et demandèrent le curé jureur. Celui-ci se présente : ils lui reprochent de les avoir dénoncés et le somment de les suivre, malgré les prières et les cris de sa femme. Ils le conduisent sur le cimetière, au milieu du bourg, et lui annoncent qu'il va mourir. Le malheureux demande trois quarts d'heure pour se réconcilier avec Dieu. Ils lui donnent une heure, montre en main; puis trois coups de feu annoncent que le malheureux apostat a cessé de vivre. Après quoi, les trois chouans se retirent, sans que nul ne songe les inquiéter.

J. GESLIN DE BOURGOGNE.

↑ On en voit encore les derniers débris, style Médicis, près de l'ancienne route de Plouvara à Bocqueho.

POÉSIE

LA CHANSON DE FÊTE DES PETITS PATRES*

Mes enfants, la chanson que vous allez entendre

Fut composée en votre honneur;

Vous aurez le secret, si vous voulez l'apprendre,
De la sagesse et du bonheur.

Il faut offrir son cœur au bon Dieu, dans sa couche,
En s'éveillant avec le jour;

Et dire en se signant, d'esprit comme de bouche,
Pleins de foi, d'espoir et d'amour :

Je vous donne mon corps et mon âme et ma vie,
Seigneur! faites-moi devenir

Un brave homme de bien; ou daignez, je vous prie,

Me faire avant l'heure mourir.

Cette pièce est traduite du Barzaz-Breiz, pp. 438-441 de la 7 édition. — . Comme l'âge mûr et la jeunesse, dit M. de la Villemarqué, l'enfance a sa fête en Basse-Bretagne; elle se célèbre principalement dans les montagnes, à la fin de l'automne, et se nomme la Fête des petits Pâtres.

Les parents amènent leurs enfants des deux sexes, de neuf à douze ans, au lieu du rendez-vous, qui est, en général, la lande la plus vaste de la paroisse, celle où les petits pâtres mènent d'ordinaire leurs troupeaux. Chacun porte avec soi du beurre, des vases de lait, des fruits, des crêpes, des gâteaux, tout ce qui peut flatter davantage le goût des enfants; on étend une nappe blanche sur la bruyère, et on leur sert une belle collation. A la fin du repas, quelque vieillard leur chante une chanson morale que j'ai entendu attribuer à saint Hervé, patron des bergers et des chanteurs bretons, mais qui a été sans doute bien remaniée, rajeunie et allongée depuis son temps. Ensuite, les enfants dansent jusqu'au coucher du soleil sous les yeux de leurs parents, avec lesquels ils reviennent alors en répétant eux-mêmes un autre chant intitulé Hollaïka ou l'Appel des Pâtres...... »

Avant tous vos repas, pour que Dieu les bénisse,
Priez; priez encore, après :

Ou vous mériterez, ingrats, qu'il vous punisse
En vous privant de ses bienfaits.

Chaque petit oiseau qui perche sur la branche
Dans la forêt, l'entend ainsi :

Pour un grain, pour un ver, pour une goutte blanche
De rosée, ils disent: Merci!

Quand vous vous en irez aux champs garder les bêtes,
Prenez une gaule avec vous;

Dès que l'ombre du soir descendra sur vos têtes,
Ramenez-les, de peur des loups.

Il ne faut point jurer ni vous mettre en colère;
Si vous les grondez, dites-leur:

Allez, allez, je vais vous trouver votre affaire,
Laissez donc l'herbe du recteur !

Pâture à cormoran, ò vaches dévorantes,

Votre estomac ne chôme pas!

Mais si je vous attrape, allez, bêtes méchantes,

Je vous ferai payer mes pas!

Pensez, quand vous verrez quelque corbeau livide,
Au démon si noir, si méchant;

Quand vous voyez voler la colombe candide,
Songez à l'ange doux et blanc.

Il faut, quand vous parlez à ceux de vos familles,
Dire: ma sœur, mon frère et vous;

Entre vous tous ayez des manières gentilles,
Soyez affectueux et doux.

Honorez, mes enfants, les gens de la noblesse,
Découvrez-vous à leur aspect;

Aux prêtres du Seigneur, à l'auguste vieillesse
Parlez toujours avec respect.

Lorsque vous rencontrez l'église d'un village,
A Jésus si grand et si bon

Adressez en vos cœurs un humble et tendre hommage:
Vous aurez cent jours de pardon.

Si le Saint-Sacrement passe, d'une âme émue

Vous le suivrez avec amour,

Et vous aurez au Roi des anges par

Tenu compagnie en ce jour.

la rue

Les plus sages, le front paré d'une couronne,
Iront jeter aux fêtes-Dieu

Des fleurs, en attendant qu'un jour devant son trône
Ils en jellent dans le ciel bleu.

A l'heure où la nuit tombe, il faut prier encore,
Avant que d'aller sommeiller,

Afin qu'un ange blanc sur vous jusqu'à l'aurore
Descende du ciel pour veiller.

Voilà, mes chers petits, les règles qu'on doit suivre : Ce sont là d'excellents moyens,

Si vous les pratiquez fidèlement, pour vivre

Et pour mourir en bons chrétiens.

ÉMILE ERNAULT.

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