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taires, il se tait sur les grands événements qui suivirent cette glorieuse aurore de la Vendée, ainsi que sur le zèle et la bravoure que notre brave Stofflet n'a jamais démentis. » Le récit reprend au moment où ce chef et La Rochejaquelein reparurent presque seuls, après le fatal passage de la Loire, dans le Bocage désert et désolé.

« Ce fut quelques jours avant Noël, nous dit Coulon, que j'eus l'honneur de les revoir à Maulévrier. L'armée de M. Charette y était. J'eus connaissance de la dureté avec laquelle ce général les reçut. Il avait le projet d'aller attaquer Cholet, mais les renseignements que ces Messieurs lui donnèrent lui firent changer son plan. Nous le suivîmes jusqu'à Mallièvre; alors MM. de la Rochejaquelein et Stofflet le quittèrent, ainsi que les Angevins qui s'étaient réunis à lui dans son voyage. J'étais encore dans un état affreux, par suite des blessures que j'avais reçues le 14 août à Luçon, et ces messieurs m'engagèrent à me cacher pour pouvoir me soigner.

Je puis assurer que, pendant que j'eus occasion de voir ces messieurs, j'étais édifié de leur union et même de l'intime amitié qui existait entre eux et que j'ai toujours entendu dire qu'elle ne s'était jamais démentie, et que personne ne fut plus sensible à la mort de M. Henry de la Rochejaquelein que notre bon Stofflet. Mais ce n'était pas le moment de le faire connaître; il fallait songer à relever l'esprit du petit rassemblement, et même tâcher de tenir cette perte secrète. La perte de M. Henry fut grandement sentie par notre brave Stofflet, et il l'a regrettée jusqu'au dernier instant de sa vie. Personne n'a été plus à même de le connaître que moi; je puis affirmer que c'est une calomnie affreuse, de la part des ennemis de sa mémoire, de l'avoir aussi mal noté pour la postérité et qu'il était digne d'avoir une part plus glorieuse dans nos histoires; mais ceux qui ont écrit ont écrit pour eux ou ont été mal informés.

» Il est cependant certain que Stofflet a été le restaurateur de l'armée d'Anjou; après la mort de M. Henry de la Rochejaquelein, il restait seul d'ancien général vendéen; il avait à combattre les républicains qui occupaient les communes, et des colonnes nom

breuses qui parcouraient le pays dans tous les points en égorgeant et incendiant tout ce qu'elles rencontraient. Au milieu de ces cantonnements et de ces colonnes, dans la saison la plus rigoureuse de l'année, Stofflet parvint à battre les petits cantonnements, à forcer les républicains à évacuer les petits postes et à former des camps.

> Chaque jour il y avait quelques affaires. Mais une dont on n'a pas parlé, et que je regarde comme la plus mémorable de ce tempslå, fut le 2 février à Gesté; aussi me fais-je un plaisir de vous en donner des détails.

› Notre général Stofflet avait réuni environ quinze cents hommes bien décidés. A la pointe du jour, trois mille hommes venant de Cholet les attaquérent : ils furent complétement battus et poursuivis une lieue et demie. Les Vendéens revinrent à Gesté pour y déjeuner; mais ils y furent reçus par qnatre mille bleus, venus de Saint-Florent. Le général barangua sa troupe, qui était déjà bien lassée, et la prépara au combat, qui fut très-vif. Stofflet, s'apercevant que sa petite armée perdait contenance, descendit de cheval au milieu du feu et dit à ses soldats : « Allons, mes enfants, prenons courage; c'est ici qu'il faut vaincre ou mourir ! » Le danger où Stofflet s'exposa ranima le courage; sa troupe débusqua l'ennemi, le battit complétement et le poursuivit encore fort loin. L'armée avait besoin de prendre quelque chose et de se reposer; elle revint à Gesté, où elle trouva les provisions que l'ennemi y avait laissées. Environ une heure et demie après, une colonne de deux mille hommes, venant de Nantes, se présenta encore pour attaquer. M. de Bruc s'était réuni au général, un instant avant, avec six cents hommes. Le renfort que l'armée avait reçu enflamma son courage; on prit les armes et vola pour la troisième fois à la victoire. Tous les convois et munitions des bleus furent pris; leur déroute fut tellement forte, que ceux qui s'échappèrent ne durent leur salut qu'à la faveur de la nuit.

Dans cette journée, Stofflet battit, avec environ deux mille hommes, neuf mille républicains, à trois différentes reprises, et certainement cette victoire fut due à son courage et à son énergie.

» Il est bon de noter ici que la mort de M. Henry de la Rochejaquelein était tellement secrète, que les républicains croyaient toujours avoir affaire à lui; et même la majeure partie de la Vendée ne le croyait que blessé.

» A partir de cette époque, il y eut toujours des rassemblements; les bleus étaient en si grand nombre, que l'on avait souvent des défaites; mais, par les bons soins du général, le lieu de retraite était connu.

» Quelques jours après cette affaire de Gesté, l'armée vint à Maulévrier. C'est là que M. Stofflet me confia la mort de M. de la Rochejaquelein. Il était alors accompagné de MM. de Bruc frères, de M. de Fleuriot, de M. de Rostaing, qui commandait la cavalerie, de MM. Bérard, de la Bouëre, et de plusieurs autres officiers dont les noms m'ont échappé; M. Baugé n'y paraissait qu'accidentellement et comme simple particulier.

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> Mes blessures ne me permirent encore pas de suivre l'armée, qui alla attaquer le cantonnement de Cholet, commandé par le général Moulin, qui eut tant de rage de se voir battu par Stofflet qu'il s'en brûla la cervelle. »

A cette époque, la lutte entre les royalistes et les républicains reprend son incomparable éclat; et si les Vendéens ont mérité le nom de géants que l'histoire a consacré, ce nom appartient surtout à ces restes de la grande armée, à cette poignée de héros qui s'acharnent dans leur dévouement sans espérance et contre toute misère; leur activité se centuple avec le danger, et ces glorieux vaincus, chaque jour décimés et chaque jour revenus au combat, frappent de si rudes coups, que la République, convaincue de son impuissance à les réduire, leur offre la paix. Chaque jour, presque chaque heure, avait ses batailles entremêlées de succès et de revers. < Celle qui eut lieu à Beaupreau fut malheureuse, dit Coulon;

M. de la Ville-Baugé, ennemi particulier de Stofflet; sa jalousie et ses ressentiments contre son chef lui inspirerent plus tard de mauvais rapports, dont M" de La Rochejaquelein subit la fâcheuse influence, en écrivant ses Mémoires.

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Mme la comtesse de Bruc fut massacrée dans la déroute. prit une magnifique revanche à Cerizais, à Bressuire, à Argenton, < où nous trouvâmes beaucoup de provisions, que nous fimes rentrer dans l'intérieur du pays; ce qui nous était bien avantageux, car les républicains faisaient brûler tout ce qu'ils ne pouvaient enlever. Je me rappelle parfaitement que le lundi gras (3 mars 1794), nous vinmes coucher aux Gardes, et les bleus vinrent coucher à Nuaillé. Le jour de carnaval, au matin, nos avant-gardes se rencontrèrent près Vezins; bientôt les armées furent aux prises, et nous poursuivîmes les républicains jusqu'au camp du Bois-Grolleau; il y en eut grand nombre de tués, mais bien peu des nôtres. Nous nous retirâmes à Chanteloup, où nous reçûmes les cendres. J'annote cette particularité pour prouver que M. Henry de la Rochejaquelein n'a pas été tué ce jour-là, comme Mme de la Rochejaquelein le dit dans ses Mémoires, à la page 47 de son ouvrage, et qu'il est constant qu'il était mort avant la fameuse affaire de Gesté, dont j'ai parlé plus haut. Ce fut le jour des Cendres que l'on commença à évacuer Cholet, opération terminée le premier vendredi de carême. Le lendemain l'armée alla y mettre le feu, parce que l'on pensait bien que les républicains, ayant incendié tout le pays, se conservaient Cholet pour s'y établir au milieu de nous. »

Les colonnes infernales promenaient l'incendie et le massacre à travers le Bocage. Tant de cruauté provoqua un suprême effort de vengeance, et trois mille Vendéens, rassemblement considérable dans ce pays dévasté, se trouvèrent réunis à Saint-Aubin. « Une colonne vint pour nous attaquer, continue Coulon; nous marchâmes

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1 M. Célestin Port, le savant auteur du Dict. hist. de Maine-et-Loire, croit (p. 775, 1. II) que je me suis trompé en écrivant, dans Stofflet et la Vendée (p. 216), que la comtesse de Bruc a été sabrée par les républicains pendant la retraite des royalistes, de Beaupreau à la Chaussaire. Voilà un témoignage en faveur de mon récit. Je pourrais invoquer de même le rapport officiel du général républicain Cordelier, daté de la Regrippière, le 14 février 1794; en rendant compte au général en chef du succès de Beaupreau, il dit: Les brigands ont perda beaucoup de leurs chefs aujourd'hui ; une femme entre autres est restée sur le champ de bataille: on a trouvé sur elle une somme considérable en or, argent, assignats et bijoux.

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au devant d'elle, quoique du double de nous; nous attaquâmes les ennemis dans le fief des Oulleries et les battîmes si complétement, que cette colonne ne reparut plus après nous. Ceux qui se sauvèrent allèrent se réorganiser à Saumur.

> Quelque temps après, une colonne était dans les environs de Vihiers, qui brûlait et massacrait; nous nous trouvâmes à Yzernay; un rassemblement général fut commandé, mais infructueusement, parce que M. de Marigny en fit un à Cerizais et envoya ses billets de convocation jusqu'à Yzernay. Alors ce malentendu paralysa tout. M. de Marigny attaqua les bleus à la Châtaigneraye et y fut complé tement battu; et le rassemblement du général Stofflet ne fut pas assez conséquent pour pouvoir s'opposer à la marche de la colonne de Vihiers, qui ravagea les bords de la Loire jusqu'à Nantes. Ce fut ce malheur qui commença l'indisposition contre M. de Marigny. >

Coulon ne nous donne malheureusement aucun détail sur le terrible drame que provoqua cette « indisposition contre Marigny »; ses Notes arrivent de suite au traité de paix de la Jaunais. EDMOND STOFFLET.

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