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Imp. Vincent Forest et Émile Grimaud, place du Commerce, 4

J. CRÉTINEAU-JOLY

JACQUES CRETINEAU-JOLY.

Sa vie politique, religieuse et littéraire, d'après ses mémoires, sa correspondance, et autres documents inédits, par M. l'abbé U. Maynard, chanoine de Poitiers. Un vol. in-8o, Paris, Bray et Retaux, 82, rue Bonaparte.

Tout un livre in-8° de 510 pages, pour la vie d'un homme qui n'a été ni général d'armée, ni ministre, ni ambassadeur, ni même académicien, c'est beaucoup, dira-t-on peut-être. Il est vrai que ce livre est de M. l'abbé Maynard, qui ne prodigue point sa plume et ne compte ses ouvrages que par ses succès 1. L'abbé Maynard approfondit tout, éclaire tout; avec lui, Pascal cesse d'être un mystère, Voltaire devient de plus en plus un abîme. Mais la vie d'un de nos contemporains, quelque distingué qu'il ait été, prête-t-elle autant à de savantes recherches, et peut-elle être aussi instructive et aussi intéressante que celles de ces grandes renommées d'autrefois dont l'influence se maintient à travers les siècles? Voilà ce que plusieurs se sont demandé et ce que je me suis demandé à moi

même.

Et cependant, je n'en ai pas moins lu le livre tout entier et d'un trait, parce que l'écrivain qu'il nous rappelle a eu de puissantes initiatives, et que chacune de ces initiatives a laissé trace. Par son Histoire de la Vendée militaire, il a fait comprendre et apprécier la Vendée, même aux Bleus. Par son Histoire de la Compagnie de

A l'instant où j'écris ces lignes, les feuilles publiques annoncent un nouvel onvrage de M. l'abbé Maynard, ouvrage magnifiquement illustré et, ce qui vaut mieux encore, approuvé et loué par deux grands évêques, M" Pie et M" Mermillod,

mais il leur a

Jésus, il a, non pas réduit au silence les détracteurs des Jésuites, – la haine et la mauvaise foi ne se laisent jamais; rendu impossible toute discussion sérieuse. Enfin, par son Église romaine en face de la Révolution, il a déchiré tous les voiles et a montré à nu ce qu'est l'œuvre de Dieu et ce qu'est l'œuvre du diable.

Ce sont là assurément de grands services, et l'on s'étonne, en y réfléchissant, que celui qui les a rendus n'ait pas joui complétement, pendant sa vie, de l'autorité qu'il semblait avoir justement acquise. A quoi a tenu cette anomalie? A un certain désaccord, plus apparent que réel, entre les livres et les habitudes. Crétineau-Joly était sincèrement et ardemment royaliste; ce qui ne l'empêchait pas d'être très-familier avec ceux qui ne l'étaient guère, et très-sévère, à l'occasion, envers les royalistes et le roi. Il était franchement catholique de conviction, mais il l'était peu de pratique, et, pour me servir d'une expression de son biographe, s'il voulait bien paraître un peu jésuite, il n'entendait pas être pris pour un capucin. Homme d'intérieur, excellent père de famille, il aimait d'ailleurs, à ses heures perdues, la vie de boulevard, non pas, sans doute, dans ce qu'elle a de coupable, mais dans ce qu'elle a d'inconsistant; il n'était pas viveur, mais il était blagueur, et, jusque dans son érudition, on se défiait de la blague. On avait généralement tort lorsqu'il écrivait, mais on n'avait pas tort lorsqu'il parlait. Comme la plupart des grands causeurs, il se laissait alors entraîner par la verve. Je n'en voudrais pour preuves que quelques-unes de ses conversations, saisies au vol par M. l'abbé Maynard. Lisez, par exemple, l'histoire de l'amnistie, accordée, en 1840, sur les instantes démarches de Crétineau, aux Vendéens qui se trouvaient encore au bagne. Vous y verrez une rouerie passablement compliquée de Louis-Philippe, dont l'effet aurait été de faire donner cette amnistie par son ministre de la justice, Teste, puis de contraindre celui-ci à quitter le ministère pour l'avoir donnée. Ouvrez ensuite le Moniteur, et vous vous convaincrez que M. Teste ne subit aucune disgrâce personnelle et qu'il se retira tout simplement

parce que le ministère Soult dont il faisait partie dut céder la place à un ministère Thiers (1er mars 1840). 1

Puis-je prendre, d'un autre côté, au sérieux les petites anecdotes que Crétineau racontait, au coin du feu, sur l'excellent pape Grégoire XVI? A l'entendre, ce vénérable et spirituel vieillard, qu'il avait connu simple moine et qui l'honorait de son amitié, se plaisait quelquefois à jouer avec lui à cache-cache, dans les jardins du Vatican. Que le pape, le voyant venir un jour, se soit amusé à se faire chercher, je le veux bien; mais que la plaisanterie se renouvelât et que, semblable à un enfant qui joue avec sa nourrice, il prît au grave les recherches de Crétineau, sans s'apercevoir que sa soutane blanche, un peu trop ample, le trahissait à tous les yeux, voilà ce que je me refuse à croire.

-

Puis-je admettre également, sans réserves, le dialogue suivant entre le Souverain-Pontife et le journaliste? — Je ne vous ai pas vu hier soir, Crétineau; qu'avez-vous donc fait ? Votre Sainteté exige une confession? je dois donc lui avouer, en lui demandant l'absolution, que je suis allé au théâtre. Et qu'y avez-vous vu? - J'ai vu danser la Cerrito. Quelle danseuse, Saint-Père ! et aussi quel enthousiasme! on l'a rappelée dix-huit fois. Tant mieux, tant mieux, dit le vieux pape, en éclatant de rire et en se frotlant les mains. Tant que mes Romains applaudiront des danseuses, ils ne songeront pas à faire des révolutions. — Eh bien! ou je me trompe fort, ou Crétineau a mis dans ce tableau quelque peu du sien. Grégoire XVI aimait à rire, je le sais; mais ici la touche est par trop laïque. Il a pu dire: Mieux vaux que mes Romains passent leurs soirées à applaudir des danseuses qu'à conspirer; mais il y a certainement dans ce dialogue une nuance qui manque et que je regrette.

Ceci une fois dit, on ne peut que constater la parfaite indépendance de Crétineau, indépendance qu'on a parfois mise en doute; peut-être même la poussait-il un peu loin, car elle lui fit, en plus

Par suite da rejet du projet de dotation, à l'occasion du mariage du duc de Nemours,

d'une rencontre, méconnaître d'excellents avis. Ainsi, lorsque le vicomte de Monti, à propos de son Histoire de la Vendée, où les gentilshommes sont représentés comme n'ayant pas été au niveau des paysans, lui écrivait : - Frappez sur les gentilshommes en écrivain et non en démocrate, il lui exprimait sous une forme vive une pensée très-juste; lorsque le général des jésuites le suppliait, les larmes aux yeux, de ne pas livrer à la publicité son volume de Clément XIV où la cause d'un pape semble par trop sacrifiée à la Compagnie de Jésus, il lui donnait le conseil le plus généreux. L'intérêt de Crétineau était évidemment, dans l'un et l'autre cas, d'accéder aux désirs qui lui étaient exprimés. Eh bien ! il ne le fit pas; il tint même à clore son Histoire de la Vendée par un chapitre sur l'Ingratitude des Bourbons, qui ne pouvait que blesser les nobles exilés de Froshdorf, parce que la vérité y était dépassée et que le mot était injuste. Il était assurément blåmable, mais son indépendance, du moins, ne peut être contestée. De leur côté, le prince et les jésuites se tinrent dans leur rôle d'une parfaite dignité. Ils ne retirèrent point leur amitié à Crétineau ; ils lui en ont donné, vivant et mort, de nombreuses preuves; mais le prince, tout en lui gardant un fidèle souvenir, ne put lui témoigner sa reconnaissance, et les jésuites, tout en priant pour lui, durent séparer nettement leur cause de la sienne. Crétineau, à ce qu'il paraît, accusait les jésuites d'ingratitude. L'abandonner après lui avoir fourni les documents et mis la plume à la main lui semblait peu courageux. Pour lui, c'était de la politique, c'était de la peur. Eh! mon Dieu, il est une peur qu'on fait toujours bien d'avoir: c'est celle de blesser les convenances. La vérité était dans les documents, mais la convenance était elle toujours dans le style? Etait-elle surtout dans l'appréciation des actes de Pie IX, lors de la douloureuse affaire du Sonderbund? Or style et appréciation étaient du fait de Crétineau et non de celui des jésuites.

En politique, Crélineau était né Vendéen et il resta toute sa vie Vendéen; c'est un honneur pour sa mémoire. Il avait le culte de la monarchie; mais il ne prenait pas assez garde que, si ce culte est

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