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GALERIE DES POÈTES BRETONS

OLIVIER MERAULT

CHANOINE DE RENNES (1600)

J'ai toujours eu un vif attrait pour les livres rarissimes, et surtout pour les auteurs oubliés; c'est, sans doute, l'appréhension d'être personnellement un jour dans le même cas, qui m'inspire, au fond, cette sympathie; mais il y a peut-être, et surtout, je le crois, le désir très-naturel, et très-légitime, à tout prendre, pour un archéologue, de ne pas fouler les sentiers battus, et de faire l'école buissonnière. Je n'ai certes pas la prétention que toutes les trouvailles soient des trésors: je donne les miennes, hommes ou livres, pour ce qu'ils valent, et comme présentant toujours cet intérêt de compléter une série.

C'est à ce titre que j'écris ces quelques pages sur un volume de vers imprimé à Rennes en 1600, et qui a pour auteur Messire Olivier Merault, prêtre recteur de Saint-Martin, chanoine de Saint-Pierre de Rennes et licencié ès droits.

Je dois ce volume à la bienveillante affection d'un des chanoines de la métropole, bien connu par son amour intelligent des livres, M. Houet. Je ne connais pas d'autre exemplaire des poèmes d'Olivier Merault que celui que j'ai sous les yeux. Il compte dans la première partie 80 feuillets, c'est-à-dire 160 pages, et dans la seconde, 48 feuillets, ou 96 pages, petit in-4o carré. Les premiers feuillets sont for

TOME XLI (I DE LA 50 SÉRIE.)

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tement rongés des rats. C'est dans la seconde partie que l'on trouve la marque de l'imprimeur, ou peut-être plutôt un simple fleuron qui représente une tête de bouc, et le nom entier dudit imprimeur : A Rennes par Michel Logeroys imprimeur du roi 1600.

D. Plaine, dans son intéressant travail sur l'imprimerie en Bretagne (Revue de Bretagne et Vendée, tome xxxvi, page 254), écrit ce qui suit : « Enfin les troubles politiques qui signalèrent la fin de ce siècle paraissent avoir occasionné la fondation d'une qua. trième ou cinquième imprimerie à Rennes. Cette dernière avait à sa tête le Poitevin Michel Logerois, et se proposa, croit-on, pour principal objectif la mission assez peu louable de combattre par tous les moyens, bons ou mauvais, la sainte Ligue et par conséquent indirectement le catholicisme lui-même. >>

Je n'ai pas rencontré de pamphlet antiligueur sorti des presses de Logeroys. Je sais seulement, par les comptes des miseurs de 1589, qu'il était imprimeur de la communauté de ville, aussi catholique que royaliste; et ce n'est pas le livre catholique et royaliste d'Olivier Merault qui peut lui être reproché au point de vue de l'orthodoxie. La famille Merault tenait un rang important dans la bourgeoisie rennaise. Jean Merault La Barre, qui devait être de cette famille, fut nommé membre de la communauté de ville, après la journée des Barricades, mars 1589, ce qui prouve au moins qu'il n'avait pas donné de preuves d'hostilité personnelle à la Ligue; c'est probablement le même Jean Merault, qui était receveur du chapitre au commencement du XVIIe siècle. Mais quand les royalistes prirent le dessus, c'est un Julien Merault, très-certainement de la famille, et peut-être frère du chanoine, qui fut député, avec un autre des bourgeois, vers le roi, pour lui dire comment Rennes s'était remise sous l'obéissance royale et s'était débarrassée des officiers imposés par Mercœur ; ce qui prouve que Julien Merault était royaliste

reconnu.

Il en était de même du chanoine, bien que l'influence de l'évêque Aymar Hennequin eût entraîné beaucoup de membres du haut clergé

Voyez mon travail intitulé La Journée des Barricades et la Ligue à Rennes.

dans la Ligue, au moins à ses débuts . Je ne sais pas, du reste, si Olivier Merault était déjà chanoine de Saint-Pierre en 1589. Les registres capitulaires, conservés aux archives départementales d'Illeet-Vilaine présentent une lacune de 1565 à 1635. La première mention qu'ait rencontrée d'Olivier Merault M. l'abbé Guillotin de Corson, et dont il a bien voulu me faire part, est dans les procèsverbaux des Etats royalistes de 1595, où il assiste en qualité de chanoine. Je le trouve de 1602 à 1606 dans les comptes de Jean Merault, receveur du chapitre. Il en disparaît à partir de 1606, date probable de sa mort.

J'ignore également à quelle date il devint recteur de Saint-Martin, qu'on appelait alors Saint-Martin des Vignes. C'était une paroisse dont le souvenir seul n'est conservé désormais que par le nom de la rue et du pont Saint-Martin, dans les faubourgs nord-ouest de la ville. On a, à la mairie de Rennes, les registres baptistaires de cette ancienne église, depuis juin 1572; mais tous les baptêmes, sans exception, sauf deux ou trois pendant le XVIe siècle, sont faits et signés par le vicaire ou subcuré, qui était en 1572 L. Jéhan du Duit, et de 1574 jusqu'à 1612 Mathurin Senas. Aucun n'est signé du recteur avant 1615, date de l'entrée en fonctions de André Lyot, qui eut pour successeur un bénédictin de Saint-Melaine, frère Joseph de la Marqueraye. Rien ne me permet donc de préciser l'époque où Olivier Merault fut investi de ce bénéfice, auquel il préférait sans doute son canonicat à la cathédrale, et qu'il fréquentait rarement. La nomination d'André Lyot en 1615 laisse place à un successeur immédiat de notre chanoine, et dont j'ignore le nom.

Nous savons enfin par le titre de notre livre que son auteur était licencié ès droits.

C'est tout ce que j'ai pu recueillir. Je veux relever encore cependant cette phrase de la préface des Cantiques; après avoir critiqué d'une manière générale les noëls et cantiques de son temps, qui ne ressentent ny leur théologie, ny leur poésie, et n'ont en soi ny

1 Aymar Hennequin était un lettré; il a publié en 1608 une traduction des Confessions de saint Augustin, et, à une date que je ne puis préciser, une traduction des Lettres de saint Jérôme.

rime, ny raison », il ajoute : « Je confesse que je ne suis grand théologien, quoyque ce soit ma profession, ny grand poète, m'estant fort peu arresté à la poésie, icelle ne nourissant guère bien son sectaire. La seconde partie de cette confession est malheureusement trop justifiée par le livre, et principalement par les cantiques, dans lesquels le bon chanoine, aux prises avec les petits vers, montre une complète inexpérience et s'accroche à tous les buissons. Je ne parle pas des fautes contre notre prosodie moderne, les hiatus, les rimes insuffisantes; elles étaient communes en ce temps, et avant que

Malherbe vint.

Je n'ai pas encore donné le titre du livre: Poème et bref discours de l'honneur où l'homme estoit colloqué en l'estat de sa création. De la cheute d'iceluy par son péché de désobéissance et des misères en provenües. Plus de son rétablissement par Jésus-Christ nostre Sauveur. Avec quelques cantiques spirituels composés en l'honneur de sa Sainte venue en ce monde.

Ce bref discours contient près de trois mille vers hexamètres, dont le sujet explique le ton général : je ferai connaître par quelques citations les rares passages où intervient, à la dérobée, la muse; je m'arrête un instant, en vrai bibliographe, aux liminaires.

Le livre est dédié à Révérend Père en Dieu messire Charles de Bourg-Neuf, évesque de Nantes. Tout le monde sait l'importance que la famille de Bourgneuf de Cucé, qui fournit au Parlement plusieurs premiers présidents, avait à Rennes. Charles de Bourgneuf n'avait pas diminué le lustre de son nom et se montra, sur les siéges de Saint-Malo et de Nantes, un des premiers évêques de son temps, et par l'intelligence et par la vertu. Les louanges usuelles des dédicaces n'ont rien ici d'exagéré: « Or, Monseigneur, après avoir par la présente adverty le peuple d'avoir mémoire de ceste désirable venue du Fils de Dieu et de le loüanger pour les biens vrays et certains qu'il a apportés avec luy, j'ai pris la hardiesse de vous offrir ce petit présent, afin que le lecteur soit encore davantage émeu, stimulé et aiguillonné à practiquer et observer le contenu en iceluy. Ayant pensé en moi-mesme que plusieurs venans à jeter leur veue

sur vous comme sur une idéale très-parfaicte et accomplie de vertu, sainteté et religion, seroient portés d'autant plus à faire ce qui est de leur devoir envers Dieu... Aussi, j'ai considéré que vous, estant évesque très-illustre, resplendissant par vos vertus héroïques entre tous ceux qui sont ornez de ceste incomparable dignité, comme Lucifer estoille du jour entre toutes les autres, et comme la montagne apparoissant pour tous, en noblesse, en dignité, en foy, en charité, en bonté, en discipline, en science, en piété, et en maintes autres belles vertuz; j'ai, dis-je, pris garde que vous estant tel, tout le peuple prendroit instruction. » Dans le bas de la page, plus qu'à moitié rongée, il est parlé de la « noblesse de la maison de Cucé, l'une des plus illustres de ce pays de Bretaigne », puis le poète revient à sa dédicace: « Je vous prie de le prendre et recevoir en gré. Je confesse qu'il n'approche aucunement de ce que vous méritez; mais je dirai avec S. Jean Bouche-d'Or, que combien que nos facultez soient petites et de peu de prix, toutefois nous offrons ce que nous pouvons. Que si vous regardez, non à la petitesse du don et à son vil prix, mais seulement à la bonne volonté de celuy qui le présente, ceste votre humanité, voire générosité, méritera grande louange... Que s'il vous plaist recevoir bénignement ce petit fruict de mes labeurs, selon votre naturelle bonté et tant accoustumée, selon ceste candeur de mœurs, et ce bening et affable naturel vostre, et l'autoriser de vostre faveur, je m'asseure qu'il en sera mieux receu du commun, trouvé plus savoureux et moins subject aux morsures des calomniateurs, ennemis de paix et de repos, et le bon chrétien en recevra plus d'édification. De peur de vous estre ennuyeux, ici je feray fin, priant Dieu, Monseigneur, qu'il luy plaise vous avoir tousjours en Sa Saincte garde, continuer et augmenter en vous ses divines grâces et faveurs, vous donner une bonne sancté et prospérité les ans de vostre vie pour le bien et profict de l'Église... et de tous ceux qui sont en vostre troupeau et bergerie. Vostre très-humble, obéissant et affectionné serviteur,

OLIVIER MERAULT. >

Si je me suis un peu attardé en cette citation, c'est qu'elle prouve que notre chanoine maniait la prose en habile homme, et qu'il n'é

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