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travaux et de luttes, sa critique n'en est que plus ferme et plus sûre, sans avoir rien perdu de sa fécondité et de son entrain dans sa verte vieillesse. La dissertation sur Saint-Pierre ès liens est donc du plus haut intérêt.

Saint Pierre-ès-liens est souvent désigné dans les actes pontificaux par le nom de Basilique Eudoxienne, en mémoire de l'impératrice Eudoxie qui le reconstruisit vers le milieu du Ve siècle; mais M. Bonnetty nous en fait suivre la généalogie jusqu'au pape Alexandre, c'est-à-dire jusqu'aux premières années du second siècle. Ce serait également l'impératrice Eudoxie, d'après Baronius et le Bréviaire romain, qui aurait fait don à la basilique de la chaîne dont saint Pierre avait eu les mains attachées dans la prison de Jérusalem. M. Bonnetly discute avec une grande autorité et contredit cette opinion. Il prouve très-clairement que jamais cette chaîne n'a été à Constantinople, comme le voudrait la légende, et, s'autorisant du témoignage de Bède, il n'hésite pas à faire remonter au temps du même pape saint Alexandre la venue de cette chaîne de Jérusalem à Rome. Tous les textes pour et contre sont cités, commentés, analysés. M. Bonnetty a contre lui les anciens Bénédictins; espérons qu'il aura pour lui les nouveaux, lorsqu'ils en seront au premier août de leur Année liturgique.

Cette date du premier août, qui est celle de la fête de saint Pierreès-liens et qui était autrefois spécialement consacrée à Auguste, fournit à M. Bonnetty l'occasion de nous parler avec détail des fêtes de ce prince et de son oncle Jules César, dans le calendrier romain. Ces fêtes étaient sans nombre. Chacune de leurs victoires, chacun de leurs titres, chacune des époques marquantes de leur vie étaient célébrés par des cérémonies diverses. Le 4 septembre notamment, jour de la bataille d'Actium, tous les dieux de Rome étaient descendus de leurs piédes taux et couchés dans des lits magnifiques. Ce n'était plus Jupiter, c'était Auguste qui, dans la Rome de l'empire, était devenu le dieu des dieux.

Mgr Gerbet avait annoncé de nombreux appendices dont aucun n'a été retrouvé. Ces appendices devaient être tantôt des documents

cités in extenso, tantôt des éclaircissements sur divers points d'une importance particulière. M. Bonnetty a produit les documents et fourni, avec son érudition habituelle, les éclaircissements désirés. Nous signalons surtout une dissertation de trente pages sur la prophétie attribuée à la Sybille relativement à l'Enfant hébreu. La question y est épuisée. Une autre dissertation sur le titre de la croix, avec fac-simile, n'est ni moins complète ni moins remarquable 2.

M. Bonnetty a donc complété autant qu'il était possible l'œuvre du grand évêque de Perpignan; mais ce que ni lui ni personne ne pouvaient nous donner, c'est l'accent de cette voix si éloquente et si pénétrante, c'est le cri de douleur que lui eût arraché l'état actuel de cette Rome dans laquelle il s'était plu à voir l'expression même de la vérité. Il n'y a plus aujourd'hui que les lamentations de Jérémie pour rendre les impressions des âmes chrétiennes sous le coup des ruines que l'incrédulité amoncelle dans cette capitale du monde devenue la capitale du galant homme italien. Mais non, Rome demeure toujours la capitale du monde. On peut s'en convaincre, plus que jamais peut-être, en voyant les foules pieuses qui s'y pressent, de tous les points du globe, autour d'un pauvre vieillard découronné, le captif du Vatican. En quel pays, en quel temps, a-t-on jamais rien vu de semblable? Rome a beau être la proie des Buzurri, elle n'a pas cessé d'être le centre vivant de la foi, la capitale de la seule puissance qui soit aimée, vénérée et obéie jusque dans les fers. C'est toujours la ville maîtresse de saint Jérôme, urbs domina, et jamais elle n'exprima mieux cette force morale et sublime que les anciens découvraient déjà dans les quatre lettres de son nom: Roma aut fortitudinis nomen apud Græcos est, aut sublimitatis apud Hebræos.

Voir pp. 181 et suivantes.

2 Voir pp. 344-396.

3 S. Hier. adv. Jovin. I, II, n° 38.

EUGÈNE DE LA GOURNERIE.

LES SCIENCES ET LES LETTRES AU MOYEN AGE ET A L'ÉPOQUE DE LA RENAISSANCE, par Paul Lacroix, un vol. in-4°, illustré de 14 chromos et de 350 gravures; 2e édition : - Firmin Didot.

Déjà, à diverses reprises, nous avons parlé ici de cette série de chefs-d'œuvre littéraires, typographiques et artistiques, publiée par la librairie Didot et qui, accrue chaque année, est en voie de composer toute une bibliothèque. Au mois de décembre dernier, l'illustre maison enrichissait encore cette belle collection de deux autres magnifiques ouvrages: Les Sciences et les Lettres au Moyen Age et à l'époque de la Renaissance, par M. Paul Lacroix, le savant conservateur de la bibliothèque de l'Arsenal, qu'on a justement appelé un bénédictin laïc; et La Sainte Vierge, par M. l'abbé U. Maynard, chanoine de Poitiers, auteur de deux vies fort estimées de saint Vincent de Paul et de Voltaire, ces deux si dissemblables héros de la charité chrétienne et de la libre pensée, dont les noms, par leur seule opposition, en disent plus long que des centaines de volumes, sur la valeur morale des doctrines qui inspirèrent le saint et le philosophe.

Et tel avait été l'empressement du public à accueillir ces nouvelles et magnifiques étrennes offertes par la maison Didot à sa clientèle française et étrangère, que la première édition de l'un et de l'autre de ces ouvrages se trouva épuisée avant même de paraître, le chiffre des souscriptions absorbant d'avance celui des exemplaires, sorte de phénomène qui s'était déjà produit pour la Vie de Jésus-Christ et pour Jeanne d'Arc. Cette récidive de succès, quand il s'agit de telles publications, a de quoi surprendre en ce temps-ci, en même temps qu'elle console du scandale des Assommoirs et autres ordures vomies par l'égoût parisien, dernier mot du réalisme, lequel était lui-même le dernier mot du romantisme.

L'écoulement quasi instantané de la première édition a rendu nécessaire la préparation d'une seconde, celle-là même que nous

annonçons.

Nous ne dirons rien ici du beau livre La Sainte Vierge, sinon que, composé sur le même plan que le Jésus-Christ de Louis Veuillot, dont il est le digne pendant, il présente comme lui un

riche musée d'illustrations, empruntées à toutes les époques et à toutes les écoles de l'art religieux.

Les Sciences et les Lettres sont le complément du grand ouvrage entrepris, depuis quelque dix ans, par M. Paul Lacroix, sur le Moyen Age et la Renaissance. Déjà, dans trois précédents volumes, rapidement parvenus à de multiples éditions, le savant Bibliophile avait successivement étudié ces deux époques si intéressantes et si dissemblables, dans leurs Arts, dans leurs Maurs, usages et costumes, et dans leur Vie militaire et religieuse. Nous dirons plus bas quelques mots de ces divers sujets.

Ce quatrième volume, traitant des lettres et des sciences, est digne des précédents, s'il ne leur est supérieur.

Au Ve siècle, les invasions barbares avaient étouffé la civilisation grecque et latine; les ténèbres s'étaient de nouveau répandues sur le monde. Ce fut l'Eglise du Christ qui devait les dissiper en prononçant un autre fiat lux, et coordonner cet autre chaos. Comme Noé donnant asile dans son arche aux êtres destinés à échapper au déluge, l'Église recueillit dans ses temples et ses monastères les lettres, les sciences et les arts exilés; elle les y garda comme un dépôt sacré jusqu'au jour où, les eaux du déluge de la barbarie ayant peu à peu baissé, et une société nouvelle apte à la civilisation étant née, elle tirera de leurs pieux asiles et fera rayonner de nouveau sur le monde, par ses écoles, ses universités, sou clergé et ses corporations religieuses, ces arts, ces sciences et ces lettres que l'invention de l'imprimerie allait, en les fixant pour toujours, mettre désormais à l'abri d'une semblable catastrophe.

C'est ce grandiose et imposant tableau que M. P. Lacroix nous retrace d'une manière synthétique, sous une forme descriptive et narrative, à la fois savante et simple, ingénieuse et claire, à la portée de tous les lecteurs, avec l'impartialité sereine du véritable érudit, supérieur aux vicissitudes du goût et aux injustices des préjugés. C'est en contemporain plutôt qu'en historien que M. Lacroix nous parle du Moyen Age, si pertinemment il connaît les plus intimes détails des annales publiques et privées de cette époque mouvementée et exubérante.

Ici, les faits et les choses se pressent universités, écoles et écoliers; sciences philosophiques, scholastique, nominalisme et

réalisme, aristotélisme et platonisme, avec les grands noms de Boèce, Bède, Alcuin, Scot, Roscelin, S. Anselme, Abélard, Albert le Grand, S. Thomas d'Aquin, etc.; sciences mathématiques et les divers systèmes du monde planétaire ; sciences naturelles et médicales et leurs diverses écoles, alexandrines, arabes, italiennes et françaises; --sciences occultes, magie blanche et magie noire, alchimie, nécromancie, chiromancie, kabale, sorcellerie, dont les victimes ne furent pas toujours innocentes; croyances et superstitions populaires; - science héraldique, armoiries et blasons; langue française, sa formation, ses dialectes ou patois, son éclatante floraison au XIIIe siècle, son adultération au XVIe, par l'invasion de l'hellénisme et de l'italianisme; romans de geste, poèmes épiques, chants populaires, trouvères, troubadours et jongleurs; chroniques et mémoires; — théâtre, mystères, confréries d'acteurs, comédie naissant du fabliau; - éloquence religieuse, civile, politique et militaire, avec des noms tels que ceux de saint Bernard, de saint Dominique, de Jeanne d'Arc, de Michel de l'Hôpital et même de Henri IV.

Tous ces chapitres, dont nous n'avons pas épuisé la liste, sont autant de monographies complètes, chacune en son cadre.

Nous assistons ici à la naissance de quelques-unes de ces sciences qui devaient prendre plus tard un si éclatant développement. Du creuset et de la cornue de l'alchimiste sortent la chimie et la métallurgie; de l'astrologie naît l'astronomie; les découvertes successives des voyageurs débarrassent de ses fables la géographie, qui voit son domaine s'accroître de mondes inconnus; André Vésale crée l'anatomie et Ambroise Paré la médecine rationnelle; etc.

Le défaut d'espace ne nous permet pas non plus de relever par le menu ces 360 et quelques figures, coloriées ou à la manière noire, qui ajoutent un haut intérêt à un texte déjà si riche en curieux détails. Au double point de vue artistique et archéologique, la valeur de ces planches et figures diverses est d'autant plus grande qu'elles sont toutes scrupuleusement copiées sur autant d'œuvres originales des artistes du temps, empruntées aux plus célèbres collections et bibliothèques de l'Europe, et tout d'abord à celles de M. A. Firmin Didot lui-même, le regretté doyen de l'imprimerie française.

Nous avons dit que ce beau volume avait été précédé de trois autres ayant trait aux deux mêmes époques du Moyen Age et de la

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