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LE SOUS-PRÉFET

COMÉDIE EN TROIS ACTES

Personnages:

M. DE NOIRVILLE;
MARGUERITE, sa fille;

M. LE BORGNE DE VILLENEUVE, sous-préfet;
JULES MARTIN, journaliste.

ACTE PREMIER.

La scène se passe au château de M. de Noirville, dans son cabinet.

SCÈNE PREMIÈRE.

M. DE NOIRVILLE, seul, regardant de temps en temps à la fenêtre. -Quel affreux orage! Le tonnerre et la pluie ne veulent pas cesser, voilà deux heures que cela dure, et je ne sais pas où ces dames auront pu se réfugier. Elles sont sorties à pied depuis le déjeuner, pour quelque tournée de charité; je leur disais bien que le temps était menaçant, mais je ne soupçonnais pas de telles avalanches. J'ai envoyé à tout hasard la voiture à leur recherche; elle ne rentre pas. Il me semble que j'en entends rouler une du côté de l'avenue. (Il écoute.) Oui, le bruit se rapproche. Nous allons voir au détour. -Non, ce n'est pas mon cheval blanc. Qui peut songer à me faire une visite par un temps pareil? La voiture s'arrête bien au perron. Un jeune homme inconnu en descend. Il offre la main à une jeune fille. Je ne me trompe pas, c'est Marguerite.

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Quelle aventure!

Et où est ma femme?

Ah! la voici qui descend à son tour toute ruisselante. Allons à leur rencontre. (Il ouvre la porte).

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VOIX DE FEMME, du dehors, avec un éclat de rire. Nous n'entrons pas, mon père, et allons vite nous changer dans nos chambres. Nous sommes mouillées comme des éponges.

M. DE NOIRVILle.

averse!

Je le crois bien, si vous avez reçu toute celle

LA VOIX.

Nous n'en avons pas perdu une goutte.

SCÈNE II.

M. DE NOIRVILLE, LE SOUS-préfet.

M. DE NOIRVILle. service, Monsieur?

LE SOUS-PRÉFET.

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A qui ai-je l'honneur d'être redevable de ce

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A votre nouveau sous-préfet, M. de Villeneuve, qui ne s'attendait pas à vous faire ainsi sa première visite.

-

M. DE NOIRVILLE. Je croyais avoir lu que notre nouveau souspréfet se nommait M. Le Borgne.

LE SOUS- PRÉFET.

voulez bien.

M. Le Borgne de Villeneuve, si vous le

M. DE NOIRVILLE.

Daignez recevoir mes excuses, Monsieur de

Villeneuve, et plus encore mes remerciements. Comment avez-vous rencontré ces dames?

LE SOUS-PRÉFET. Blotties contre une haie, qui ne les protégeait guère, je vous assure. Je rentrais d'une course et regagnais la ville, de toute la vitesse de mon cheval de louage, quand je les ai aperçues ainsi au bord de la route. Naturellement je me suis arrêté pour les recueillir, et je me suis fait un devoir de les ramener chez elles. M. DE NOIRVILLE. Je suis on ne peut plus reconnaissant de

votre attention.

LE SOUS-PRÉFET. La chose la plus simple du monde. Qui n'en

aurait fait autant, pour des femmes ? Ce n'est pas vous, n'est-ce pas ?

M. DE NOIRVILLE. - Je l'espère.

Le sous-préfet. — Et j'ai considéré comme une véritable bonne fortune de pouvoir inaugurer ainsi des relations que je me proposais de rechercher sans tarder. Je n'ignore pas que vous êtes un des hommes dont la bienveillance doit m'être le plus précieuse, et mes instructions me prescrivent d'ailleurs de m'efforcer de la gagner.

M. DE NOIRVILLE. Ce ne sera pas difficile, Monsieur, quand même vous n'auriez pas commencé par m'en imposer le devoir. Mais elle n'a pas la valeur que vous pensez.

LE SOUS-PRÉFET. Je vous demande pardon, je sais ce qu'elle vaut. Nouveau venu dans ce pays, j'y ai besoin d'appuis pour aider mon administration surtout à la veille d'une crise électorale. Un membre du conseil général, maire de sa commune, président du comice agricole, et par dessus tout, un homme entouré de respects universels et n'exerçant son influence que par ses bienfaits.... M. DE NOIRVILLE. De grâce, monsieur le sous-préfet, attendez que vous me connaissiez un peu mieux...

LE SOUS-PRÉFET. Je vous connais parfaitement, Monsieur. L'administration est bien informée, et il m'a suffi de causer avec mon prédécesseur... dont mon vœu le plus ardent est de ne pas trop vous faire regretter le départ. Vous l'honoriez, je crois, de votre estime particulière ?

M. DE NOIRVILLE. - Dites plutôt de mon amitié.

LE SOUS-PRÉFET. En vérité? C'est un grave écueil pour moi. (Tirant sa montre). Mais l'heure s'avance, et je suis obligé de vous quitter.

M. DE NOIRVILLE. — Je ne le permettrai pas. L'orage s'apaise à peine, et il est impossible que vous ne restiez pas à dîner avec nous. Je vais donner ordre de dételer votre voiture.

LE SOUS PRÉFET. Vous l'exigez, j'obéis.

MARGUERITE.

SCÈNE III.

LES PRÉCÉDENTS, MARGUERITE.

Me voici. Je n'ai pas mis trop de temps à m'ha

biller, j'espère. Le plus long était de me débarrasser de vêtements mouillés et collés. Quel bain ! Je vous renouvelle tous mes remerciements, Monsieur.

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-

Encore, Mademoiselle. C'est à moi de bénir

l'heureuse chance de cette rencontre.

M. DE NOIRVILLE. Où vous êtes-vous fait ramasser ainsi dans un fossé ?

MARGUERITE. Au coin du bois de la Boulaye.

-

M. DE NOIRVILLE. C'est à près d'une lieue d'ici, et loin de tous les villages. Je comprends que vous n'ayez pas trouvé d'abri. D'où veniez-vous donc par là ?

MARGUERITE.

Il y a des malades dans les chaumières de la

montagne, et ma mère avait tenu à les visiter.

M. DE NOIRVILLE. Tu n'y étais pour rien, ma chère enfant? Je te soupçonne bien d'avoir entraîné la mère, car tu es encore plus zélée qu'elle sur ce chapitre. Voyez-vous, monsieur le préfet, ma

-

fille est une véritable infirmière.

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LE SOUS-PRÉFET. Je ne l'ignorais pas. L'administration est bien informée. Mon prédécesseur m'avait représenté Mademoiselle comme l'ange de la charité.

MARGUERITE. Vous connaissez votre prédécesseur, M. de Landelle ?

LE SOUS-PRÉFET.

Peu, mais j'ai dû conférer avec lui à Paris, avant de venir lui succéder, comme j'ai renseigné mon propre successeur. L'administration a soin de recommander ces conférences qui sont très-utiles.

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Vous venez donc d'un autre poste ?

LE SOUS-PRÉFET. Du fond des Hautes-Alpes. Mon envoi dans ce riant pays a été une récompense... dont, avant d'avoir vu votre famille, Monsieur, je ne savais pas tout le prix.

M. DE NOIRVILLE. - Vous êtes trop poli, Monsieur.

MARGUERITE. Ce n'est pas moi qui dirai du mal de l'administration, ni qui aurai le droit de lui faire de l'opposition. Il paraît que je suis destinée à être toujours sauvée par des sous-préfets.

LE SOUS-PRÉFET. Vraiment, Mademoiselle? un prédécesseur aurait eu le bonheur...

MARGUERITE.Figurez-vous qu'il y a deux mois, M. de Landelle devait dîner au château ; je rentrais d'une promenade à cheval avec mon père; je ne sais quel accident se produit, mon cheval se retourne, prend le mors aux dents et m'emporte sans que je puisse le maîtriser; je me sentais en grand danger. M. de Landelle arrivait précisément à pied, il se jette à la tête du cheval et l'arrête, non sans avoir été traîné sur la route et assez gravement contusionné. LE SOUS-PRÉFET. Vous me forcez à regretter de n'avoir pas même risqué une égratignore, ni un rhume de cerveau. Mais si vous voulez essayer une seconde fois de venir à la rencontre du souspréfet sur un cheval emporté, je jure que vous ne trouverez pas l'administration moins dévouée.

MARGUERITE. Vous me permettrez de ne pas essayer. - On l'envoie bien loin, M. de Landelle, si j'en crois le journal, car il n'a pas écrit à mon père depuis son départ, ce qui m'étonne.

Le sous-préfet. — Un avancement notable, qu'il a bien mérité. L'administration ne consulte pas toujours nos convenances... personnelles, et nous sommes ses esclaves. Trop heureux quand la chaine est cachée sous quelques fleurs, comme elle doit l'être ici, Mademoiselle. Je ne m'étonne plus que mon prédécesseur m'ait paru chagrin de son déplacement, malgré les avantages qui en résultent pour sa carrière administrative.

MARGUERITE.

Ah! il vous en a paru chagrin? C'est peut-être

pour cela qu'il n'écrit pas.

M. de Noirville. - Ces regrets sont bien naturels. Des relations à renouveler sans cesse. Je gage, monsieur le sous-préfet, que vous emportez aussi des Hautes-Alpes des regrets de relations rompues?

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