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Au commencement de 1488, Rennes avait à ses gages 40 canonniers, dont le chef était Vullequin ou Villequin de Lespine, maîtrecanonnier de la ville. Sur ces quarante canonniers, 6 se qualifiaient en outre ouvriers de fonte », c'est-à-dire fondeurs de cuivre, ils faisaient les pièces de bronze; 3 étaient « ouvriers de forge» et faisaient les pièces de fer; il y avait aussi 5 charpentiers, 5 « artilliers ou artificiers et fabricants d'arcs et de flèches', un ouvrier d'arbalètes et un ouvrier de fers de vireton. Le lendemain de la bataille de Saint-Aubin, le jour même où La Trémoille envoyait sa sommation, ce nombre de canonniers se trouva doublé, parce qu'une quarantaine de ceux du duc, venus à Rennes après le désastre, furent immédiatement retenus aux gages de la ville. Le lieutenant de l'artillerie ducale, Jean Louys, resta avec eux et donna tous ses soins << tant de jour que de nuyt à la garde de la place 2.

XX

On le voit, le patriotisme actif des bourgeois de Rennes n'avait rien négligé pour mettre leur ville en mesure de remplir sa mission et d'être le solide boulevard de l'indépendance bretonne. Mais faut-il prendre à la lettre le mot de Jacques Bouchart, que si La Trémoille venait assiéger la place, elle pourrait lui opposer 20,000 défenseurs? C'est plus certainement que n'en peut fournir une population de 40,000 âmes en admettant que tout homme valide prît part à la défense, cela ne peut guère aller au delà du quart, qui est 10,000. Mais on doit croire que ce chiffre eût été atteint et qu'il eût été sérieux : les bourgeois se défendaient bien derrière leurs murailles, et il y avait là d'ailleurs un noyau solide, une milice bourgeoise fort exercée, dont on a parlé plus haut.

De l'armée bretonne défaite à Saint-Aubin il restait environ 6,000 hommes, que le maréchal de Rieux s'occupait de rallier. Dès qu'il sut

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' Brantôme dit que, de son temps encore, le maistre artiller est celuy qui se mesle de faire des arbalestes, des traits et des flesches,... et aussi se mesloient de faire des fusées. (Euvres, édit. du Panthéon litter., t. I, p. 578). A Rennes, il y avait un ouvrier spécial pour les arbalètes et pour les viretons ou traits d'arbalète. Les artilliers devaient être réduits aux arcs, aux flèches et aux fusées.

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2 Compte des miseurs pour 1488, et actes du 2 août et du 23 décembre 1488 (Arch. de Rennes).

Rennes menacé, il y accourut avec ce qu'il avait sous la main '. Nul doute qu'à la nouvelle du siége et de la résistance de sa capitale, la Bretagne entière, se remettant de la panique de Saint-Aubin, n'eût volé au secours, comme elle l'avait fait pour Nantes l'année d'avant. Le nombre de ses défenseurs aurait bien vite dépassé le chiffre annoncé par Bouchart.

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L'armée française, malgré sa victoire, avait souffert et perdu près de 1,500 combattants, à peine dépassait-elle 13,000 hommes 2. En supposant ses pertes réparées, elle allait à 15,000. Ce n'était pas la moitié de ce qu'il fallait pour faire le siége de Rennes. Nous en avons un témoin irrécusable le roi Charles VIII, trois ans plus tard, n'ayant plus que Rennes à soumettre de toute la Bretagne, déclarait (le 8 octobre 1491) « que, pour enclorre et environner la dite ville ainsi qu'il appartient, il convient de nécessité recou> vrer jucques au nombre de 30,000 combattants, oultre ses or> donnances. Et même quand il eut cette grosse armée, le roi n'essaya pas d'investir la place, qui resta toujours libre du côté de l'Ouest.

La Trémoille était bien trop habile siége, sans même avoir la moitié des réussir. Aussi quoi qu'on en ait dit

pour entreprendre un tel troupes nécessaires pour ne fit-il pas un mou

Dans la nuit du 29 au 30 juillet, les Rennais lui envoyèrent à Dinan la sommation de La Trémoille, en le priant de venir à Rennes dont il était capitaine; il s'y trouvait certainement le 4 août. (Arch. de Rennes, actes du 4 août et du 3 octobre 1488). Les chefs de l'armée française prévoyaient fort bien que les débris de l'armée bretonne allaient se rallier à Rennes; voir Jaligny dans Godefroy, Hist. de Charles Vill, p. 54.

2 Le R. P. Plaine (voir plus haut p. 211) dit que l'armée de La Trémoille était ⚫dix fois supérieure en nombre aux défenseurs de Rennes. C'est supposer que Rennes n'eût pas trouvé plus de 1,300 hommes pour la défendre, assertion tout à fait invraisemblable et injurieuse pour cette ville.

3 Biblioth. Nat. Mss. Fr. 26,102, n° 715.

* D'Argentré (édit. 1618, p. 975, I. XIII, ch. 46) dit que le sieur de La Trimouille, pour plus espouvanter les habitans de Rennes, fist approcher l'armée du roy à Acigné, Chasteaugiron, Vern, Saint Sulpice et autres villages des enviroos.. On ne retrouve cette assertion nulle part ailleurs, et d'Argentré doit l'avoir tirée de quelque tradition orale qui avait confondu la menace de siége de 1488 avec le siége effectif mis devant Rennes en 1491 par Charles VIII; car, des montres militaires conservées à la Bibliothèque Nationale il résulte clairement que les paroisses

vement pour menacer Rennes, la Correspondance de Charles VIII le prouve. Elle prouve qu'il resta à Saint-Aubin du Cormier jusqu'au 4 août 1, et le 7 il était à Dinan, comme nous le verrons tout à l'heure, signant la capitulation de cette ville. Du 4 au 7, à peine avait-il eu le temps de rejoindre devant cette place, avec le gros de son armée, l'avant-garde qu'il y avait envoyée le lendemain de la bataille sous les ordres du vicomte de Rohan.

Ainsi tout s'explique naturellement. Au lendemain de SaintAubin, La Trémoille voulut forcer les portes de Rennes par l'intimidation. Il échoua. La réponse des habitants ne fut pas le cri irréfléchi d'un peuple téméraire, incapable de soutenir ses paroles par des actes. Ce péril ne les surprit point, ils s'y préparaient depuis seize mois et s'étaient mis en état de le braver. La Trémoille, sûr d'un échec, les laissa.

Saluons, en passant, cet exemple de patriotisme et de fermeté dans le devoir. Pendant les cinq ans de cette guerre (1487-1491), où tant de grands noms de l'aristocratie bretonne se traînèrent tristement dans l'intrigue, la cupidité, la trahison, Rennes n'eut pas un instant de défaillance. Ses bourgeois donnèrent aux chevaliers des leçons d'honneur.

ARTHUR DE LA BORDERIE.

(La fin à la prochaine livraison.)

nommées par d'Argentré furent occupées par des corps de troupes françaises, non en 1488, mais en septembre et octobre 1491.

Cher et féal cousin, il y a

Le 9 août 1488, Charles VIII écrit à La Tremoille: ung jour que nous avons receu voz lettres, escriptes à St-Aubin le 4a jour de ce moys d'aoust, par lesquelles nous faictes savoir vostre partement, et le lieu où vous tirez, et de la sommacion que avez faicte à ceulx de Rennes et nous semble que avez bien advisé de le prendre ainsi. Et au regard des vivres que demandez qui vous suyvent, nous en avons escript partout aux commissaires, tellement que vous n'en aurez point de faulte. Mais en tant que touche de mectre des gens à Dol pour la seureté de vosditz vivres, il faut que cela viengue d'entre vous et que y donnez provision telle quelle vous semblera estre affaire par delà. (Corresp. de Charles VIII, n° 186, p. 206-207). La dernière phrase de ce passage prouve jusqu'à l'évidence que La Trémoille, en quittant St-Aubin le 4 août, se dirigea immédiatement sur Dinan, surtout quand on se rappelle qu'avant la bataille de St-Aubin il s'était prononcé pour le siége de cette place comme le plus aisé, pour le fournissement des › vivres qui pouvoient venir de Normandie par Dol.» (Voir Revue de Bretagne et de Vendée, n' de décembre 1876, p. 479.)

NOTICES ET COMPTES RENDUS

ARCHÉOLOGIE CELTIQUE ET GAULOISE, Mémoires et documents relatifs aux premiers temps de notre histoire nationale, par M. Alexandre Bertrand. Paris, Didier, 1876; Nantes, L. Morel. In-8° de XXXII464 pp., avec un grand nombre de gravures intercalées dans le texte, de planches et de cartes détachées. Prix: 9 fr.

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Notre presqu'ile armoricaine ayant été habitée par les Celtes et les Gaulois, l'archéologie celtique et gauloise a pour nous le plus vif attrait; mais cet attrait s'augmente encore, lorsque les questions délicates que soulèvent les mystères de notre antique histoire sont abordées par l'un des maîtres de la science moderne, et surtout lorsque cet archéologue éminent, créateur et conservateur de notre principal musée d'antiquités nationales (celui du château de SaintGermain-en-Laye), appartient lui-même à notre chère province; car M. Alexandre Bertrand est Breton, et la ville de Rennes aura le droit de le revendiquer plus tard parmi ses plus illustres enfants, ainsi que son frère, Joseph Bertrand, l'un des secrétaires perpétuels de l'Académie des Sciences, à qui il a dédié son livre.

Lorsque le fatal accident du chemin de fer de Versailles enleva Dumont d'Urville à la France, les deux Bertrand, tout jeunes alors, se trouvèrent au nombre des victimes; mais le sort leur fut plus clément qu'au vaillant amiral, déjà parvenu à la célébrité; et quoique les deux frères portent encore les marques de leurs blessures, un brillant avenir leur fut à tous les deux réservé. Pendant que l'un,

ingénieur des mines, devenait, à peine sorti de l'Ecole d'application, professeur de calcul infinitésimal à l'École polytechnique, à côté de son oncle Duhamel, pour entrer bientôt à l'Académie des Sciences, l'autre, élève de l'École d'Athènes, puisait aux meilleures sources les trésors d'érudition qui devaient lui faire gagner les couronnes de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

Ce préambule n'est point indifférent à notre sujet. Il existe des familles privilégiées, dans lesquelles les traditions de travail opiniâtre et de science sérieuse se perpétuent de génération en génération. Lorsqu'une publication sort de leur sein, elle commande aussitôt l'attention: le lecteur sait d'avance qu'il n'y trouvera rien d'aventuré, que toutes les déductions seront appuyées solidement, que tous les arguments dériveront de sources authentiques. Nous sommes heureux de constater tous ces caractères dans le livre de M. Alexandre Bertrand, recueil des articles et des mémoires publiés, pendant une période de quinze années de 1861 à 1876,

par l'habile conservateur du Musée national de Saint-Germain. Et voyez avec quel esprit sage et discret il procède en cette délicate matière. Ayant énormément vu, coordonné et comparé; ayant eu sous les yeux, par la nature de ses fonctions, tous les faits nouveaux qui se sont produits depuis quelques années sur ce sujet; ayant dressé, sur de nombreuses cartes patiemment dessinées, les contours de chaque groupe similaire matériellement figuré, tout cela sans précipitation, sans esprit de système pour interpréter les innombrables découvertes accumulées dans ces derniers temps, M. Alexandre Bertrand est arrivé à des résultats qui ont profondément surpris plusieurs archéologues à idées préconçues, à systèmes arrêtés d'avance. Or ces résultats, tout inattendus qu'ils puissent être pour quelques esprits aventureux qui n'avaient rêvé rien moins que de bouleverser toutes les notions acquises sur l'ancienneté de la race humaine, doivent-ils être en désaccord avec les données générales de l'histoire? Non, assurément, répond M. Bertrand. L'archéologie

Sans parler de la dynastie malouine des Duhamel, la sœur des deux Bertrand a épousé M. Hermite, de l'Académie des Sciences.

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