L'UNIVERSITÉ DE NANTES LES FACULTÉS DE DROIT CIVIL ET CANON * On a vu que, dans l'assemblée générale d'inauguration tenue à l'évêché de Nantes, la constitution de l'Université fut proclamée publiquement, en présence de 41 canonistes, de 27 légistes, d'un théologien, de 4 médecins et de 4 maîtres ès arts. La supériorité numérique des docteurs en droit sur les docteurs des autres facultés que nous constatons ici, était la même dans les écoles et nous indique le courant que suivaient alors les étudiants. Il y a bien longtemps que la connaissance du droit conduit aux honneurs et aux carrières lucratives. La multiplicité des tribunaux ecclésiastiques et séculiers, qui se partageaient autrefois les justiciables, offrait de nombreuses positions aux aspirants des écoles de droit, et ceux qui s'adonnaient à l'étude du droit canon n'étaient pas moins favorisés que les autres. De même que le roi avait ses cas royaux, l'Église avait, elle aussi, ses cas divins. La société lui reconnaissait le droit d'appeler à sa barre certains criminels qu'elle frappait d'excommunication, avant de les livrer à la justice civile. On n'a pas oublié que Gilles de Retz fut interrogé par l'évêque de Nantes et le vicaire de l'Inquisition avant d'être traduit devant les commissaires du duc de Bretagne. Pour ces assises extraordinaires, comme pour les tribunaux perma Voir la livraison de juillet 1876, pp. 24-40. nents des officialités, le clergé avait besoin de jurisconsultes capables d'appliquer le droit canon. Dans la crainte d'en manquer, il envoyait parfois des clercs jusqu'en Italie. En raison des conflits fréquents qui s'élevaient entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, les juges des juridictions civiles ne pouvaient ignorer le code de l'Église; aussi les faveurs du prince allaient de préférence au devant des magistrats qui étaient doublement docteurs. Le docteur en droit canon se désignait dans le diplôme par l'expression de doctor in decretis, et le docteur en droit civil, par les termes de doctor in legibus. Celui qui s'intitulait doctor in utroque jure avait atteint le comble des honneurs universitaires. A l'origine, la faculté de droit canon fut entièrement distincte de la faculté de droit civil. L'une et l'autre avaient leurs statuts particuliers et leurs professeurs différents; tous les actes en font foi. Elles ne se sont confondues que vers le milieu du XVIIe siècle. La ville de Nantes attachait tant d'importance à l'enseignement du droit, au XVe et au XVIe siècle, qu'elle n'hésita pas à louer un immeuble dans la rue Saint-Gildas pour y établir le docteur Jacques Clatte, dont nous avons parlé aux origines de l'Université, et ses deux co-régents; mais plus tard elle se désintéressa dela prospérité de ces deux écoles et les abandonna à leurs propres ressources, bien que le roi eût mis à la charge du trésor de la province le traitement des professeurs. Cette indifférence était bien inopportune. La faculté de Nantes avait plus que jamais besoin d'un appui sérieux pour être en état de lutter avec sa rivale d'Angers dont la renommée était connue de tous les étudiants de l'Ouest. L'Université d'Angers exerçait une attraction qu'on peut encore apprécier aujourd'hui à l'aide des registres de la nation bretonne, qui se conservent dans les archives de Maine-et-Loire 1. Malgré cette concurrence redoutable, les leçons de droit n'en • Dans le préambule des lettres patentes de 1725 (citées au chapitre de la faculté de théologie), le roi constate que l'Université d'Angers s'est acquis aussi un grand renom par les leçons de ses professeurs en théologie et en philosophie. (Arch. de la Loire-Infér., série D.) continuaient pas moins à Nantes, mais au milieu d'un modeste auditoire. Privés de leurs anciennes salles de la rue Saint-Gildas et réduits à mendier un asile près des marguilliers de la paroisse Saint-Denis, les professeurs de droit civil et canon, au nombre de deux, faisaient leurs cours, en 1669, dans la chapelle Saint-Gildas, en présence de 22 écoliers, originaires de Bretagne, d'Anjou et de Poitou. Suivant le procès-verbal qui nous apprend ces détails, le personnel avait été plus nombreux auparavant. Le roi avait établi quatre chaires et assigné une dotation de 460 livres sur la recette générale de Bretagne. Le plus ancien professeur recevait sur ce fonds 120 livres, et les autres 75 livres; mais, le quart ayant été retranché vers 1660, le nombre des régents en exercice s'était forcément réduit. De 1582 à 1669, les facultés de droit n'avaient pas délivré plus de 162 lettres de bacheliers, de licenciés et de docteurs. Ce chiffre officiel, avoué devant le commissaire du roi, nous prouve que les leçons n'étaient pas plus fréquentées quand les chaires étaient plus nombreuses. . Vers la fin du XVII siècle, on put croire un moment à une résurrection des études à Nantes, quand Louis XIV, par son édit de 1680, créa une chaire de droit français dans chaque université du royaume. Un jurisconsulte ouvrit des leçons publiques sur la nouvelle jurisprudence, sans être assuré d'aucun traitement; il les continua jusqu'en 1698, et abandonna sa chaire quand il se vit privé de tout encouragement. L'enseignement du droit français ne fut repris qu'en 1722 par le sieur Bizeul, qui, pour ses honoraires, était autorisé à prélever sur chaque étudiant une taxe de 6 livres d'inscription, dont le produit formait un total de 300 livres environ par an. Les États de Bretagne pour l'encourager lui accordèrent, en 1724, une gratification de 1,000 livres, à laquelle on ajouta les revenus de la place d'agrégé, soit 225 livres. Le sieur Bizeul, s'étant plaint d'être moins bien traité que ses collègues, l'intendant fit une enquête, de laquelle il ressortit que chaque chaire de professeur de droit civil ou canonique apportait 1862 livres, et que les émoluments du sieur Bizeul ne dépassaient pas 516 livres. Je n'ai pu savoir si le réclamant obtint justice. Les querelles intérieures qui agitèrent l'existence de la faculté de droit sont peu intéressantes; elles ne mériteraient pas d'être signalées, si elles ne nous apprenaient quels rapports existaient entre les professeurs et les élèves. Dans la contestation qui s'éleva, en 1723, à propos de la présidence des thèses, l'arrêt du Conseil, en date du 12 mai 1723, décide que le droit de présidence sera fixé à 9 livres, sans compter les droits des professeurs, qui, lous ensemble n'auront pas plus de 80 livres. Par le même arrêt il est enjoint aux professeurs de ne pas s'ingérer dans les répétitions de droit, mais de laisser aux étudiants la liberté de choisir parmi les agrégés. Il est défendu également de prélever des taxes abusives et de dispenser aucun étudiant de l'examen sur le droit français. On voit qu'il en coûtait déjà fort cher pour devenir avocat sous l'ancien régime. Dans le cours du XVIIIe siècle, la faculté de droit fut encore réduite à exposer plusieurs fois sa détresse à la ville de Nantes et aux États de Bretagne, sans obtenir autre chose que des promesses. En 1732 *, elle louait au couvent des Carmes une salle obscure et malsaine, où se donnaient les leçons, et n'avait pas d'autre local pour les exercices solennels des thèses et des examens. Ces lenteurs aboutirent au démembrement de l'Université de Nantes. Pendant qu'on hésitait à voter les fonds nécessaires et qu'on étudiait les plans des édifices, les conseillers du Parlement négociaient en Cour et près de l'intendant pour la translation des écoles de droit à Rennes. Leurs remontrances furent si habilement présentées, qu'en octobre 1735, le roi rendit la déclaration suivante : Arch. d'Ille-et-Vilaine, F 95. 2 Ibid. C 23. TOME XLI (I DE LA 50 SERIE). 2 DÉCLARATION DU ROY POUR LA TRANSLATION DE LA FACULTÉ DE DROIT DE LA VILLE DE NANTES EN CELLE DE RENNES, DONNÉE A VERSAILLES LE 1er OCTOBRE 1735, REGISTRÉE AU PARLEMENT LE 12 OCTOBRE 1735. Louis, par la grâce de Dieu, roy de France et de Navarre; à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. La résidence que les anciens ducs de Bretagne faisaient ordinairement dans la ville de Nantes, avait donné lieu d'y faire l'établissement d'une université, mais comme depuis la réunion de ce païs à notre couronne, les rois, nos prédécesseurs, ont jugé à propos d'y ériger un parlement pour le bien de la justice et pour l'avantage des peuples de la même province, la ville de Rennes où le siège en a été fixé, s'est accrue considérablement par le grand nombre d'habitants que cet établissement y a attirez; et c'est ce qui a donné lieu aux officiers du dit parlement de nous représenter que l'expérience et les changements qui sont arrivez dans la suite des temps, ont fait connaître que la ville de Rennes, étant située presque dans le centre de la province, et les pères pouvant y envoyer plus facilement leurs enfants pour y faire leurs études, l'université y serait placée beaucoup plus convenablement que dans la ville de Nantes qui est à l'une des extrémités de la dite province, et si éloignée de l'autre qu'elle ne peut lui être d'une grande utilité; mais que si ce changement paraissoit susceptible d'une trop grande difficulté, il seroit d'une extrême conséquence pour pouvoir former avec plus de soin dans la science des loix et des coutumes, les sujets qui sont destinez à rendre la justice au parlement de Bretagne, ou à servir le public dans la profession d'avocat, que sa majesté voulût bien au moins transférer à Rennes la faculté de droit qui est établie à Nantes; que d'un côté une ville où la résidence du parlement rassemble en grande partie ce qu'il y a de plus éclairé dans la province, pourroit fournir plus aisément qu'aucune autre des professeurs et des maîtres, capables de bien instruire la jeunesse; que d'un autre côté les officiers dont le parlement est composé, et tous ceux que leur profession attache au service de la justice, seroient bien plus en état de veiller par eux-mêmes non seulement sur les études mais aussi sur la conduite et les mœurs de leurs enfants, au lieu qu'à présent ils sont obligés de les éloigner d'eux pour les envoyer étudier et prendre des degrez dans la faculté de droit de Nantes, où se trouvant livrez à eux-mêmes dans un âge peu avancé, ils ne font souvent que des études très-imparfaites, et sont d'ailleurs exposez à toutes les occasions de dissipations et de déréglement qu'une ville aussi peuplée que celle de Nantes, et où il aborde un aussi grand nombre d'étrangers peut leur présenter; qu'ainsi le moyen le plus propre à former de dignes sujets pour la science ou pour les mœurs qui puissent nous servir utilement soit dans notre |