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permis, il ne l'est que pour la monarchie qui est dans le vrai et non pour la monarchie qui est dans le faux; pour Charlemagne ou saint Louis, non pour Henri VIII ou Elisabeth. Il ne comprenait pas que, si la monarchie est la meilleure sauvegarde du principe d'autorité, elle ruine ce principe par le discrédit, dès qu'elle se fait violente et persécutrice. De là, sa malheureuse Campagne du Nord, au profit de la Russie, lorsque nos troupes combattaient les Russes en Crimée.

- Mais vous vous battez bien au profit des Turcs! - pouvait-il dire. J'en conviens, et n'entends nullement me porter fort pour la politique napoléonienne; mais enfin le Turc, à cette époque, laissait pleine liberté aux catholiques et le Russe ne la leur laissait pas; le Turc était impuissant et le Russe était précisément tout le contraire; la France enfin n'avait rien perdu encore de son prestige; elle pouvait facilement se faire respecter à Constantinople, beaucoup moins facilement à Saint-Pétersbourg. Crétineau se trompa donc; il perdit dans l'esprit de ses compatriotes, sans rien gagner dans l'esprit de ceux qui ne l'étaient pås. On se servit de lui pour fonder le journal Le Nord, puis on le congédia sans grande politesse.

Je dirai la même chose de sa campagne contre Louis-Philippe ; non certes qu'on puisse lui reprocher d'avoir pris corps à corps le roi des barricades; mais on put le voir avec regret entreprendre Pattaque à l'instigation du gouvernement impérial, avec son aide et ses promesses. J'avais l'espérance, dit-il, qu'on ferait quelque chose pour le Saint-Père, je l'avais stipulé. Confiance trop naïve! on se servit de lui, et, le service obtenu, on oublia le reste.

En deux mots, Crétineau-Joly manquait parfois de tact et de mesure. C'est ce qu'exprime avec une rare délicatesse la lettre de condoléance adressée à sa famille par le comte de Monti, au nom de M. le comte de Chambord. «Si quelquefois, y lisons-nous, la belle intelligence de M. Crétineau n'a pas toujours exprimé avec assez de calme la répulsion de son cœur pour les faits condamnables des temps passés et les lamentables tristesses des années que nous traversons, du moins, ses intentions ont toujours été parfaites, car

sa vie entière fut celle d'un Vendéen fidèle, d'un vaillant et éloquent défenseur de tous les principes. » Voilà le mot vrai et il

restera.

Comme écrivain, Crétineau avait une qualité que nulle autre ne supplée. Il savait appeler l'attention et se faire lire. Ecrire six gros volumes sur les jésuites et intéresser toujours, voilà certes un tour de force, et ce tour de force il l'a accompli. Lorsqu'on avait ouvert un de ses livres, on n'était pas libre de le fermer avant la dernière page, et c'est ainsi que son rôle a été des plus utiles. On le trouvait parfois incorrect, outré, étrange, surtout à la fin et dans ses écrits polémiques; car, dans les autres, que de pages éloquentes ou charmantes! mais on le sentait entraînant et l'on se laissait entrainer. S'il dépassait par hasard la vérité, c'était comme un cheval de course qui dépasse le but, mais qui a commencé par l'atteindre. Il l'a atteint, non-seulement dans son Histoire des Jésuites, mais encore dans son Clément XIV, dans son histoire du Sonderbund, dans ses ardentes polémiques avec Theiner. Coupez, élaguez tant que vous voudrez, mais la vérité restera. Vous la trouverez également frappante, palpitante dans son Eglise romaine en face de la Révolution. Elle ressort même tellement des pièces produites qu'on se demande pourquoi l'auteur fait tant d'efforts de style pour la mettre en saillie.

Crétineau a été enfin un grand dénicheur de pièces, ou plutôt il savait si bien les faire valoir qu'elles lui arrivaient de tous côtés. Son tort alors était de faire le mystérieux, comme un amant, de ses bonnes ou plutôt de ses mauvaises fortunes, et, au lieu de s'attacher å prouver, de ne chercher qu'à intriguer. De là une certaine défiance du public érudit, qui tient toujours à remonter aux sources. Dom Guéranger s'en fit un jour l'interprète, lorsqu'il fit remarquer que les Mémoires de Consalvi n'avaient pas été publiés en italien. Un document n'a, en effet, de valeur que lorsqu'on en connaît le texte. Avec la meilleure volonté du monde, une traduction peut être fautive; je dirai même, sans prendre trop au pied de la lettre le mot italien traduttore, traditore, qu'elle l'est toujours par quelque

endroit. Aussi l'authenticité des Mémoires de Consalvi n'a-t-elle cessé d'être mise en doute que lorsque le fac-simile du passage le plus important a été mis sous les yeux des lecteurs. Encore est-il fort heureux qu'on n'ait pas exigé davantage, car Crétineau s'était mis dans l'impossibilité de faire connaître le texte entier.

Voici le fait Consalvi raconte qu'ayant refusé, en 1801, de signer un concordat substitué frauduleusement à celui dont chaque phrase avait été discutée et arrêtée, il fut violemment interpellé par le premier consul dans une réunion officielle. Vous pouvez partir, disait Bonaparte; c'est ce que vous avez de mieux à faire; quand donc partez-vous? - Après dîner, lui fait dire son éditeur. La réponse, à coup sûr, était des plus vives et des plus fières. Aussi son succès dans la presse fut-il complet. Mais était-ce bien la réponse du cardinal? Consalvi dit, au contraire, qu'il demeura abasourdi et ne sut pas répondre un mot. C'était beaucoup plus candide et beaucoup plus modeste. La réponse qu'on lui prêtait était-elle d'ailleurs aussi heureuse qu'elle semblait l'être? Oui, si Consalvi et Bonapate eussent été seuls; la fermeté déconcerte la violence, mais seulement Jorsque l'amour-propre n'a rien à souffrir. Telle n'était assurément pas la situation, lors du grand diner dont parle Consalvi. Mettre au pied du mur, en face de tous les dignitaires de l'Etat, un général de trente ans, habitué à vaincre et qui porta, plus d'une fois, l'infatuation du pouvoir jusqu'à l'absurde, c'eût été rendre tout recul impossible. Le silence du cardinal le servit donc mieux et servit mieux les intérêts catholiques que ne l'eût fait la repartie la plus acérée. Il permit de reprendre les négociations, et tout le monde sait quel en fut le résultat. La fermeté toujours douce mais inébranlable de Consalvi finit par triompher des résistances des plénipotentiaires français, qui prirent sur eux de céder, et le concordat assura le rétablissement de l'Eglise.

J'ai parlé d'une appréciation de quelques-uns des actes de Pie IX qu'on peut, à bon droit, reprocher à Crétineau-Joly; mais, pour être juste, il faut ajouter qu'il se l'est.noblement reprochée à lui-même. C'était au commencement du règne de ce grand pontife. On se rappelle qu'en présence d'une société troublée et inquiète, Pie IX

crut qu'il fallait épuiser la mansuétude avant de recourir à la sévérité. Sans sacrifier aucun principe, il se montra donc généreux et conciliant. Bien des esprits et de bons esprits s'en effrayèrent. Ils accusaient le Pape de faiblesse, et, en cela, ils se trompaient; ils lui prédisaient des ingratitudes, des trahisons, et, en cela, ils ne se trompaient pas; mais le Pape ne s'y trompait pas plus qu'eux. D'autres, au contraire, et, parmi eux, les catholiques ne manquaient pas, croyaient fort légèrement à une réconciliation générale; ils interprétaient les réformes pontificales dans un sens qui n'était nullement celui du pontife, l'alliance impossible des principes libéraux et des principes catholiques, et ne doutaient pas de la sincérité des ovations, cette grande manœuvre des ventes, dans lesquelles de plus clairvoyants n'apercevaient qu'une tumultueuse et impudente comédie. De part et d'autre on comprenait assez mal la grande âme de Pie IX; on ne se souvenait pas assez de son divin modèle, mangeant avec les pécheurs, conversant avec la Samaritaine, accueillant la femme adultère, ce qui ne devait pas l'empêcher de chasser les marchands du temple. La justice n'apparaît jamais plus juste que lorsqu'elle est précédée de la bonté, et c'est précisément cette alliance de la justice et de la bonté qui a fait la grandeur de Pie IX.

Crétineau fut de ceux qui s'effrayèrent; on ne peut lui en vouloir; mais cette disposition de son esprit le rendit sévère pour le Pape et ce fut un tort. Dans la question du Sonderbund, il alla même jusqu'à l'insulte; Pie IX en fut profondément blessé, mais du moins la réparation fut solennelle, et, dans son beau livre de l'Église romaine en face de la Révolution, l'auteur de l'histoire du Sonderbund se montra aussi respectueux et aussi juste qu'il l'avait été peu dans son précédent écrit. Sans renoncer à ses idées - Crétineau y renonçait rarement, parce qu'elles étaient sincères, il exposa éloquemment celles du Pape, et termina cet exposé, où rien ne fut oublié cette fois, par une belle page.

« Né à Sinigaglia, le 13 mai 1792, disait-il, Pie IX avait conservé à travers les labeurs de sa carrière de prêtre, d'évêque, de cardinal, cette candeur de jeune homme et cette virginité de l'âme, heureux

privilége de quelques prédestinés. En le voyant, on pouvait toujours dire de lui ce que le Père de la Rivière a écrit de saint François de Sales: « Ce béni enfant portoit, dans toute sa personne, le › caractère de la bonté. Son visage étoit gracieux, ses yeux doux, › son regard aimant et son petit maintien si modeste, que rien plus; › il sembloit un petit ange. Comme François de Sales, Pie IX s'attacha à développer ce bonheur d'organisation; il eut sur les lèvres ces réponses pleines d'aménité qui apaisent les colères, et ces paroles qu'on préfère aux dons. Il était beau comme le désir d'une mère. Il lavait ses mains dans l'innocence, et, sans songer que l'âme de la colombe pouvait être livrée à un peuple de vautours, il se montrait éloquent parce qu'il avait la sagesse de cœur et que la mansuétude de sa bouche prêtait des charmes à la science. »

Il est remarquable que, deux fois en ce siècle, la Révolution a eru pouvoir circonvenir la papauté, de manière à s'en faire une aide: la première fois sous Pie VII, dont elle n'avait pas oublié les tendances conciliantes, à Imola; la seconde, sous Pie IX, dont elle interprétait à sa façon la touchante indulgence pour quelques égarés, à Spolette; mais deux fois elle a été réduite à se convaincre que, chez les élus de Dieu, la bonté n'est qu'un des éléments de la force.

M. l'abbé Maynard a été, dans sa Vie de Crétineau, ce qu'il est toujours, franc, complet, et son récit est, comme d'habitude, d'un intérêt soutenu. Quant à Crétineau, s'il a rendu d'éminents services, il en a été grandement récompensé. Les regrets de Pie IX se sont joints à ceux du comte de Chambord sur sa tombe, et Dieu l'a béni à la fois dans sa mort et dans sa famille dans sa mort, qui a été pieuse après avoir été pieusement attendue; dans sa famille, à laquelle il avait donné de bonnes leçons et qui lui rendait de bons exemples: Crétineau avait vaillamment combattu pour les saines doctrines, mais en volontaire quelque peu indiscipliné ; l'un de ses fils s'est enrôlé dans la milice sainte pour combattre à son tour, mais sous une sûre discipline. Il y a longtemps que le Psalmiste l'a dit : «Les fils sont la récompense des pères; filii, merces. »

EUGÈNE DE LA GOURNERIE.

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