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L'Institut supérieur de philosophie a pris sa place au grand soleil; il poursuit avec confiance, dans l'exécution d'un vaste programme, l'enseignement coordonné des sciences et de la philosophie.

Les nombreux abonnés de la Revue Néo-scolastique ont compris que sous ce programme vibre une œuvre. Leur adhésion bienveillante nous a permis de travailler au grand jour. Grâce à eux, la Revue a pu percer l'atmosphère de scepticisme au milieu duquel doit se déployer toute entreprise intellectuelle qui rompt avec de routinières préoccupations nous leur en exprimons notre plus vive reconnaissance.

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Merci aussi aux ainés de la presse, de la presse périodique surtout qui nous a réservé l'accueil le plus flatteur.

Leurs encouragements nous prouvent que notre programme n'est pas une utopie.

Pour le mieux suivre et le mieux réaliser, nous essaierons de racheter par de plus fructueux efforts les débuts imparfaits et les tâtonnements d'une première année.

LA RÉDACTION.

I.

La théorie des trois vérités primitives.

Il s'agit, dans les pages qui vont suivre, du problème de la certitude.

Non pas de la solution du problème, mais plutôt de la critique d'une théorie qui, à notre avis, en détermine mal la position.

Cette théorie, dite des trois vérités primitives, ne tient pas un compte exact de la nature du problème que soulève la science certaine, et, par suite, définit mal les conditions d'esprit dans lesquelles il faut l'aborder.

Notre but, plus négatif que positif, est de dissiper certaines équivoques auxquelles les partisans de cette théorie se laissent entraîner et de mieux préciser l'état initial légitime de l'intelligence humaine au moment où elle aborde l'étude critique des fondements de la science certaine.

Nos connaissances intellectuelles, envisagées au point de vue critique, sont de deux ordres différents, les unes spontanées, les autres réfléchies.

Les premières, fruit naturel, nécessaire, de l'intelligence en contact avec la réalité, sont les données du problème de la certitude.

Les secondes, produit de la réflexion. forment le contrôle librement voulu, que l'esprit exerce sur les premières.

C'est dans ce contrôle que réside l'analyse de la science certaine; c'est de là que peut surgir la certitude scientifique.

Spontanément, nous nous laissons aller à différentes convictions d'ordre moral et religieux; nous admettons, par exemple, l'existence d'un Être suprême, la liberté, la spiritualité de notre âme, l'existence d'une vie future.

Spontanément, l'homme de science a foi dans les principes sur lesquels reposent les conclusions qui occupent sa vie, il y est fermement attaché, il n'hésite pas.

Naturellement et invinciblement, nous sommes persuadés qu'il y a un monde extérieur, que les faits qui se passent en nous ont une réalité autre que leur existence phénoménale.

Les principes, surtout ceux de l'ordre idéal, à la contemplation desquels s'arrête la spéculation mathématique ou métaphysique, nous paraissent spontanément d'une si lumineuse évidence, que les nier ou les révoquer sérieusement en doute nous semble chose impossible.

Et cependant, ce que la nature laissée à elle-même nous. fait regarder comme irrévocablement certain devient, à certaines heures de réflexion, l'objet de doutes obsédants.

Je suis certain, je le veux, des propositions que je viens d'énumérer; j'en suis certain, c'est-à-dire que j'y suis déterminément attaché; certitudo est determinatio ad unum observe saint Thomas, lorsqu'il définit la certitude sous son aspect psychologique ; je les crois vraies, aussi longtemps que ma nature intelligente se laisse aller à la sollicitation exclusive des objets qu'elle considère.

Mais, fais-je bien de me laisser ainsi emporter par ma nature? Ce que je tiens spontanément pour vrai, est-ce vrai ? Moi, qui ai la puissance de réfléchir sur mes assentiments spontanés, ne dois-je pas y réfléchir?

Or, posé que je les cite au tribunal de la réflexion, à quelle conclusion finale aboutirai-je ?

L'œil voit et se repose dans la contemplation d'une lumière en harmonie avec sa puissance visuelle. Que cette lumière

soit une lumière réelle qui vient l'impressionner du dehors, ou que ce soit un phosphène qui surgit du dedans, peu importe, l'œil voit, le sujet sentant se sent voir, il en est agréablement ou désagréablement impressionné. C'est tout.

Mais lorsque l'intelligence voit, elle peut revenir sur sa vision directe, examiner réflexivement la lumière qui a provoqué sa vision mentale et se demander s'il y a une lumière réelle en dehors du sujet qui voit et, supposé qu'il y en ait une, si elle est telle qu'elle est perçue. En d'autres mots, la vision intellectuelle est-elle la perception de quelque chose qui est, indépendamment de l'activité mentale ou constitue-t-elle un phénomène d'hallucination toute subjective?

Tel est, en substance, le problème de la certitude.

Il revient à se demander s'il y a, au service de l'intelligence humaine, ce que Montaigne appelait un « instrument judicatoire, un moyen de discerner entre ce qui est vrai et ce qui n'est pas vrai, entre un jugement conforme à la réalité et un jugement en désaccord avec elle.

Cet instrument judicatoire, ce moyen de discernement, cette note distinctive du vrai, nous l'appelons couramment le critère de la vérité.

Il peut y avoir plus d'un critère spécial de vérité, mais, tôt où tard, il faut bien en arriver à un critère, fondamental et primordial.

Le scepticisme nie qu'il existe un critère de vérité, garantie de la légitimité de la certitude de l'esprit.

Le dogmatisme affirme qu'il y en a un.

Certains dogmatistes l'ont cherché dans une autorité extrinsèque, celle d'une Révélation extérieure faite par Dieu à l'humanité. Mais il est manifeste que la foi à la Révélation présuppose des convictions rationnelles et, par conséquent, un motif intrinsèque de certitude antérieur à la foi.

Et ce motif ne peut-être, comme Jacobi, Reid et tous les adeptes de la philosophie écossaise l'avaient voulu, le fait

même de notre adhésion naturelle. Car une pareille adhésion, pour irrésistible qu'elle soit spontanément, ne peut satisfaire une intelligence capable de réfléchir sur la cause déterminante de ses assentiments. L'adhésion réfléchie ne pourra se produire et être irrésistible à son tour, que si l'intelligence aperçoit en dehors d'elle-même un motif à son assentiment, en un mot, si elle se reconnait en possession d'un critère à la fois intrinsèque et objectif de vérité.

Y a-t-il un critère interne, objectif de vérité? Quel est-il ? Formule nouvelle, mais identique au fond à la précédente, du problème fondamental de la certitude.

Ce n'est pas de ce problème qu'il s'agit ici, nous l'avons déclaré dès le début.

Ce n'est pas à ce problème que s'applique directement la théorie dite des trois vérités primitives.

Celle-ci porte sur une question que nous appellerions volontiers préalable: Dans quelles conditions l'esprit humain doit-il aborder le problème capital énoncé à l'instant?

De ces conditions dépendra évidemment le succès ou l'insuccès des recherches critiques auxquelles ce problème donne lieu. D'elles aussi dépendra la sincérité du débat entre le scepticisme et le dogmatisme.

Quel est donc l'état d'esprit dans lequel il faut se placer pour aborder le problème de la certitude et viser à le résoudre ? Nous retrouvons ici le scepticisme et le dogmatisme en présence.

Pour le scepticisme, l'état initial de l'esprit, c'est le doute. Sous prétexte qu'il ne faut rien préjuger, le scepticisme pose en principe que la raison humaine est incapable d'arriver au vrai. Il tient la raison pour radicalement suspecte; la raison est pour lui dans le cas du témoin menteur, auquel on ne croit plus; ses informations sont toutes sujettes à caution; donc, le doute, rien que le doute.

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