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L'analyse des informations de la conscience sur le caractère objectif de la certitude ou, ce qui revient au même, la recherche du critère primordial, interne et objectif de la vérité, et la vérification de l'existence de ce critère dans les différentes catégories de connaissances que nous tenons spontanément pour certaines, tel est, on le voit, le double objet de la philosophie critique. Nous nous contentons, pour l'heure, de l'indiquer.

D. MERCIER.

II.

Fragments d'Économie politique du Moyen âge *)

1.

NATURE DU SUJET.

LES SOURCES.

On se plait de nos jours à écrire l'histoire de toutes les sciences; l'économie politique, la plus vivante, la plus discutée des sciences modernes, parce qu'elle touche à toutes les passions et à tous les intérêts, ne pouvait y échapper. Longtemps on a fait remonter son origine à la fin du siècle dernier, lui assignant pour premiers auteurs connus Adam Smith et Turgot. On lui a découvert, depuis, une généalogie plus lointaine.

Il nous a paru intéressant et instructif de prolonger ces recherches dans les sources du moyen âge, et de lui trouver encore de plus reculés ancêtres. Et, en même temps, nous avons cherché les idées de ces anciens pères de la science économique. C'est au XIII et XIVe siècle que nous sommes remontés. Dans ces pages, nous tâcherons d'établir l'opinion des vieux auteurs d'alors sur quelques points de la science des richesses. Comme de coutume, nous demeurons objectifs. On verra ce qu'ils ont écrit et pensé en leur temps. Nous ne songeons pas pour le moment à en tirer des conclusions. On se dira, certes, que leur temps n'est pas le nôtre; on s'en apercevra au cours même de l'exposé. On se dira aussi que, si tout n'est pas applicable à notre temps, peut-être y a-t-il des idées qu'il serait sage d'y restaurer, mutatis mutandis, suivant une antique devise: crescamus vetera renovando. Nous nous abstenons de faire ici ce triage.

*) Extrait d'un ouvrage qui paraîtra prochainement sous ce titre : Les théories économiques du moyen âge. Louvain, Ch. Peeters.

Nous ne ferons pas de dissertations comparatives qui nous entraîneraient trop loin; si nous en parlons même ici, ce n'est que pour rappeler la sage règle de toute étude historique ne juger les hommes et les idées que dans le milieu où ils se sont -développés; ne pas oublier que les principes sont éternels, mais les applications indéfiniment muables.

Nous n'exposons que les théories, non la vie d'alors; nous nous limitons à ce que les Allemands appellent Dogmengeschichte par opposition à la Wirtschaftsgeschichte dont le domaine est très différent. Nous n'avons pas la prétention d'être les premiers à aborder ce domaine, mais nous avons acquis la conviction qu'il y a encore beaucoup à y récolter. Nous exposerons le résultat de nos recherches dans un volume qui paraîtra bientôt; nous en détachons quelques fragments que la Revue Néo-Scolastique a eu la gracieuseté de nous demander.

Deux mots des sources de cette étude, que nous expliquerons ailleurs en détail. Il n'y a guère d'économistes au moyen âge; la science économique n'est pas distincte; ses éléments sont épars dans les traités de théologie et de philosophie, ou mêlés à des considérations de politique, d'histoire ou de droit. Le Corpus juris canonici est pour nous une source de premier ordre; puis viennent les écrits des théologiens moralistes, aux chapitres des vertus et des vices (prudence, libéralité, avarice, justice, charité, etc.) et des contrats (vente, prêt, etc.). Ces écrits sont théoriques ou pratiques et ceux-ci sont fort utiles; ce sont par exemple les summa destinées à donner une direction à la praxis des confesseurs.

Voilà les sources principales. Au XIIIe siècle, elles ont leur importance, sans être bien riches encore. Au siècle suivant, quand les relations économiques se compliquent, et que les questions se multiplient, ces chapitres grossissent; on trouve même des tractatus spéciaux. L'analyse des phénomènes économiques se dégage, parfois elle est très remarquable. Certes, on trouve des données précieuses chez saint Thomas d'Aquin,

saint Albert de Bollstadt, saint Raymond de Pennafort, Henri de Gand, Gilles de Rome, Duns Scot, etc., mais au xive siècle, les renseignements se multiplient surtout chez Jean Buridan, Henri de Langenstein, saint Antonin de Forciglioni, archevêque de Florence, Nicole Oresme, évêque de Lisieux, l'illustre inspirateur de Charles le Sage.

Les écrits des mystiques aussi abondent en conseils sur les matières de la vie économique; il en est de même des sermons, sous forme d'exhortations directes, ou sous celle d'anecdotes mises à la mode par le cardinal J. de Vitry.

Ces sources sont surtout ecclésiastiques, même parfois religieuses. Peut-être le sont-elles un peu exclusivement et ne voyons-nous l'économie du moyen âge que sous un jour plus idéal que réel.

Il est clair que toutes les idées exprimées par les philosophes de l'époque, ne sont pas théologiques. Nous nous bornons à les signaler et à les constater en historiens et en économistes, sans trancher les controverses de doctrine. Parmi ces philosophes, d'ailleurs, plusieurs furent hétérodoxes, mais ont exprimé, en matière économique, des idées qui méritent d'être signalées.

Nous avons aussi quelques écrits de jurisconsultes romanistes ou canonistes, traitant par-ci par-là les matières économiques, des écrits politiques, comme ceux très curieux de Philippe de Maisières; parfois aussi quelques notes de commerçants, comme celles, importantes, de Balducci Pegolotti, l'agent des banquiers Bardi de Florence; enfin des indications de chroniqueurs comme Christine de Pisan, Villani ou Joinville. Nous en passons, et des meilleurs, n'ayant en vue que de donner ici le court schema des sources anciennes.

Dans les écrivains des siècles suivants de l'ancien régime, on trouve souvent des vues rétrospectives, qu'on peut utiliser avec faveur. Chez des théologiens éminents, par exemple, comme les cardinaux de Vio-Cajetan au XVIe siècle, et de Lugo au XVII, chez des jurisconsultes, comme Raphaël

de Turri de Francfort et la plupart des auteurs de droit commercial.

Enfin, les modernes ont parfois abordé ce sujet et nous avons profité, notamment, des travaux d'Endemann, que nous n'acceptons pas sans réserves sur les théories du droit canonique, et de ceux, nombreux, qu'a produits l'école italienne de Pavie, sous la féconde et active impulsion de M. Luigi Cossa.

Il suffira de ces indications sommaires. Nous ne pouvons ici que donner des fragments, et préciser les caractères de la science économique médiévale. Nous avons arrêté nos aperçus aux points suivants que nous traiterons brièvement : le caractère moral et social de la richesse - la notion économique de la valeur le salaire le profit de l'industrie.

2.

LE CARACTÈRE MORAL ET SOCIAL DE LA RICHESSE.

LA MESURE DE LA RICHESSE.

L'oeuvre doctrinale des pères du moyen âge est l'enseignement de la morale économique, en conformité avec les principes de la justice et de la charité qu'ils appliquent aux faits sociaux de leur époque. Cette doctrine morale fondamentale, on ne peut mieux en demander l'exposé qu'au grand docteur d'Aquin.

L'homme a une fin à réaliser, qui lui est assignée par la nature et par Dieu. Il doit régler sa conduite en vue de cette fin. Les choses de la nature sont faites pour le service de l'homme, pour l'aider à réaliser cette fin. Il est appelé à les dominer et à s'en servir; il en a besoin pour subvenir aux nécessités de la vie. Les biens temporels, les richesses sont bonnes en tant qu'elles s'adaptent à cette fin de l'homme. C'est de cette utilité que vient leur mérite; leur possession n'est donc qu'un bien relatif et secondaire 1).

1) S. THOM. AQUIN. Summ. c. Gent., I. 133: aliquod bonum... sed secundarium.

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