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adhésion certaine ne se produit qu'en réponse à des motifs? Ai-je conscience que, tandis que mon œil est toujours irrésistiblement entraîné en présence de son objet, mon intelligence peut rester en suspens en présence de certains objets conçus ou perçus, et ne céder d'une façon définitive et irrésistible qu'à la sollicitation d'un motif, d'une cause objective?

Oui, j'ai conscience qu'il en est ainsi 1)

Oui, je puis n'adhérer qu'à des motifs, et par conséquent, j'ai le droit de distinguer entre adhésions motivées et adhésions non-motivées, entre adhésions conformes à leur objet et adhésions purement subjectives dont je n'aperçois pas la conformité avec l'objet, bref, entre des connaissances légitimement certaines parce que j'ai conscience qu'elles sont vraies, et d'autres connaissances dépourvues de ces caractères d'évidence objective et de certitude.

J'ai donc le droit d'affirmer, pour l'avoir vue à l'œuvre, pour l'avoir reconnue dans un fait, dans son acte, mon aptitude à connaître la vérité.

Ainsi comprise, l'affirmation de l'aptitude de la raison à connaître la vérité n'est pas un postulat, logiquement antérieur à tout jugement certain, en un mot, une vérité primitive, c'est une inférence tirée du fait que nous avons conscience d'émettre des jugements motivés.

Postuler l'aptitude de la raison à connaître la vérité, ce n'est pas résoudre le problème essentiel que soulève la certitude, c'est le supposer résolu dans le sens du dogmatisme et en négation du scepticisme 2).

1) C'est, bien entendu, le point capital qu'il faut établir pour justifier le dogmatisme. Nous tenterons ce travail plus tard, mais ici, nous tenons à le répéter, ce n'est pas la solution du problème que nous voulons fournir. Nous nous cantonnons à dessein dans la critique d'une théorie qui en a fort confusément saisi la position. Chaque chose en son temps. Qui trop embrasse mal étreint.

2) Nous ne parvenons pas à voir autre chose qu'une affirmation de l'aptitude de la raison à “ connaître infailliblement la vérité „,“ à bien juger „, à atteindre " à la légitime certitude,, dans les essais d'explication ou de preuve que nous allons reproduire : Facultas cognoscendi, écrit Schiffini, ad

Réfléchir sur des jugements spontanément certains, apercevoir que l'assentiment que nous éprouvons en les émettant est causé pár une influence distincte du sujet pensant, en un mot, avoir conscience que notre assentiment est motivé; inférer de ces actes de jugement et du caractère qu'ils revêtent,

hoc suapte natura tendit ut suum proprium objectum detegat; id enim ipsum nomen cognitionis significat. Objectum autem detegere, atque ipsi perceptione congruere, idem plane est. Congruentia autem perceptionis cum objecto, ejusdem perceptionis veritatem constituit. Ergo veritas est consequentia naturalis cognitionis in quantum hujusmodi, ac propterea impossibile est, ut detur naturalis aliqua facultas cognoscendi, quaeque ad veritatem natura sua non ordinetur. Deceptio autem veritati cognitionis opponitur. Nulla igitur facultas naturaliter cognoscitiva per se decipitur in proprii objecti perceptione. SCHIFFINI, Logicae et Metaphysicae elementa, vol. I, pp. 279-280. Cfr. Compendium, n. 124. Ailleurs, lorsqu'il entreprend la réfutation du Formalisme de Kant, le même auteur écrit: “ Formalismus Kantianus est absurdus. Prob. ex triplici repugnantia quæ potissimum in eo cernitur. Nam primo quidem contradicit ipsi generali conceptui cognitionis. Repugnat enim, cognitionem dari qua nihil omnino cognoscatur. Atqui talis est cognitio quæ exhibetur in hoc systemate. Ergo. Repugnat præterea, naturam rationalem ex se ferri in judicia cœca undequaque et ad nos decipiendos unice idonea. Atqui talia sunt judicia omnia, prout explicantur in hoc systemate. Ergo „ no 167.

"Le suprême critère de certitude est l'évidence objective de la vérité. „ "On tire de cette thèse une preuve, dit le P. Castelein, de la nature de la raison.,,

Le critère suprême de la certitude, ou le critère qui produit immédiatement, par lui-même, la certitude dans la raison, doit être conforme à la raison. Or, la raison est la faculté de connaître les choses comme elles sont. Done la raison ne peut adhérer tout entière et fermement à son objet que lorsqu'elle juge que son objet est tel qu'elle le conçoit et ne saurait être autrement. Mais un pareil jugement suppose que cet objet se manifeste à la raison soit en lui-même, c'est-à-dire dans sa propre existence, soit dans son lien réel avec un autre objet présent à notre raison. Donc, cette manifestation de l'objet, qui s'appelle l'évidence objective de l'objet, est le critère qui produit par lui-même la certitude de la raison. Donc, c'est le critère suprême et universel de la certitude; et, comme la raison dans son acte de légitime certitude ne saurait se tromper, ce critère est par lui-même un critère infaillible.,, CASTELEIN, Logique, p. 435.

Nous croyons avoir montré que le fond du débat entre le dogmatisme et le scepticisme, c'est précisément de savoir si la faculté de connaître que nous appelons la raison est une faculté de" connaître infailliblement la vérité „, si la faculté de juger est une faculté de bien juger „, si, enfin, la faculté d'atteindre à la certitude est une faculté d'atteindre à “ la certitude légitime.„, Affirmer ou supposer qu'il doit en être ainsi, n'est-ce done pas supposer ce qui est en question?

que la raison a le pouvoir de ne céder qu'à des motifs objecjectifs, c'est établir, à l'encontre du scepticisme et notamment à l'encontre du subjectivisme Kantien, que la raison est capable d'arriver à la connaissance scientifiquement certaine de la vérité.

Les deux attitudes sont radicalement différentes.

Sans doute, nous n'avons fait qu'indiquer le véritable problème et la solution qu'il appelle; nous n'avions pas pris à tâche de pousser notre étude plus loin dans cet article; mais ce que nous en avons dit suffit, pensons nous, pour faire voir que la théorie des trois vérités primitives n'en fournit pas la solution.

Nous croyons avoir justifié le double reproche que nous articulé contre cette théorie: elle ne répond pas au problème qu'elle devrait résoudre; envisagée intrinsèquement, abstraction faite de ses résultats, elle n'est pas défendable, car elle pèche à la fois par défaut et par excès.

Résumons nos critiques et concluons.

La théorie des trois vérités primitives s'attache à prouver qu'il y a certaines propositions que l'on ne peut nier ou révoquer en doute sans être obligé de les affirmer.

Or, ce n'est pas la nécessité d'affirmer certaines propositions qu'il importe de mettre en lumière; les sceptiques peuvent accorder l'existence de cette loi nécessitante. Ce qui est en cause entre eux et nous, c'est la nature de cette nécessité d'affirmer telle ou telle proposition, c'est la question de savoir si la nécessité de les affirmer est toute subjective ou si elle est le résultat de motifs objectifs. A cette question fondamentale, la seule qui soit réellement en cause, la théorie des vérités primitives ne touche pas.

Nous accordons qu'il y a des vérités primitives, c'est-à-dire des propositions indémontrables qui servent de prémisses aux démonstrations.

Mais il n'y a pas que trois vérités primitives, il y en a un nombre indéfini, autant qu'il y a de prémisses immédiates à la base des sciences et de la philosophie.

Le principe de contradiction n'est d'ailleurs pas, à proprement parler, une prémisse de ce genre; c'est un premier principe, mais dans ce sens seulement que son énonciation est contenue implicitement dans toute autre énonciation et qu'il sert de règle directrice à tous nos jugements certains, parce qu'il forme la condition d'évidence de la certitude.

Quant à l'affirmation de l'existence du moi, elle est une vérité primitive, par rapport aux vérités de l'ordre réel, maist elle n'en est pas une par rapport à l'universalité de nos connaissances. Les vérités de l'ordre idéal, en effet, sont indépendantes de l'existence des êtres contingents.

Enfin, l'affirmation de l'aptitude de la raison à connaître la vérité n'est absolument pas une vérité primitive: cette aptitude doit évidemment exister, dans l'ordre ontologique, pour que les connaissances vraies et certaines soient possibles, mais la connaissance de cette aptitude, loin d'être à la base de la critériologie, en est le résultat et le couronnement.

Quel est donc l'état initial de l'esprit au moment d'aborder la question fondamentale de la certitude?

Nous ne reconnaissons pas au scepticisme le droit d'affirmer a priori, avant tout examen, l'inaptitude essentielle de l'esprit à parvenir à la science certaine. C'est là une prétention arbitraire.

Ce que nous disons du scepticisme réel, nous le disons, absolument au même titre et pour le même motif, du scepticisme fictif ou méthodique.

Mais nous ne reconnaissons pas davantage au dogmatisme le droit d'affirmer a priori, avant tout examen, l'aptitude essentielle de l'esprit à parvenir à la vérité et à la certitude

scientifique. Car c'est tout juste cette aptitude même qui est en question.

Sans rien préjuger concernant l'aptitude ou l'inaptitude de la raison humaine, nous laissons la raison réfléchir sur les jugements dont spontanément nous sommes certains.

Ceux-ci, sont les uns médiats, les autres immédiats, mais comme les premiers se ramènent aux seconds par l'intermédiaire des moyens termes de nos raisonnements, c'est sur la certitude des jugements immédiats que tout le travail de la philosophie critique doit se concentrer.

Or, lorsque l'intelligence humaine réfléchit sur ses jugements immédiats, elle a conscience qu'elle ne peut pas ne pas y adhérer.

Elle a donc conscience que le premier usage qu'elle fait de sa réflexion la place, non dans le doute, mais dans un état de certitude, determinatio mentis ad unum.

L'état initial de la raison, au moment même où elle considère réflexivement le problème de la science certaine, c'est donc la certitude.

Reste la recherche philosophique de la nature intime de cet état de certitude, l'analyse approfondie des causes de la certitude.

L'état de certitude dans lequel se trouve l'esprit lorsqu'il énonce des jugements immédiats et que, de ceux-ci il passe logiquement à des jugements médiats, a-t-il pour cause adéquate la constitution du sujet pensant? Si oui, le subjectivisme est justifié au tribunal de la réflexion et finalement c'est le scepticisme qui a raison.

Ou bien, l'état de certitude est-il dépendant d'une influence objective, de façon que l'intelligence peut rester en suspens aussi longtemps que cette influence n'agit pas sur elle pour la déterminer à l'adhésion?

S'il en est ainsi, la certitude est objective et, de la conscience que nous avons d'avoir des connaissances objectivement certaines, il est permis d'inférer que la raison humaine est apte à connaître la vérité.

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