après avoir, tout d'abord, donné aide et assistance à l'artisan, avait eu pour résultat définitif de créer une aristocratie de boutique plus fermée et plus intolél'autre. rante que Aussi, la suppression des communautés ouvrières était-elle une des réformes depuis longtemps réclamées par les philosophes et les économistes lorsque, le 12 mars 1776, Turgot, ministre depuis deux ans, fait enregistrer un édit qui supprime les maîtrises et jurandes et proclame la liberté du travail. Dans le préambule de cet édit, Turgot, parlant des lois obscures des communautés parisiennes, dit que, «< contraires à l'humanité et aux bonnes mœurs, rédigées par l'avidité, adoptées sans examen dans des temps d'ignorance, il ne leur a manqué, pour être l'objet de l'indignation générale, que d'être connues. >> Dieu, ajoute-t-il, en donnant à l'homme des besoins, en lui rendant nécessaire la ressource du travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout homme, et cette propriété est la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes. »> Cet édit valut à Turgot la haine de tous ceux dont il avait ruiné les privilèges. Il augmenta le nombre de ses ennemis qui, bientôt, obtenaient sa disgrâce. Le 12 mai 1776, Turgot recevait ses lettres de renvoi. La même année, un édit, enregistré le 28 août 1776, rétablissait les corporations, réformait quelques abus, mais maintenait le régime des privilèges avec ses inconvénients et ses dangers. Cette renaissance des corporations devait être de courte durée. La Révolution était proche. Elle allait donner toutes les libertés. Le 15 février 1791, Dallarde, rapporteur du Comité des contributions publiques, en déposant un projet de lois sur le nouvel impôt des patentes, demande la suppression des maîtrises et jurandes. A ce moment, les corporations ne trouvent aucun défenseur dans l'assemblée. La loi est adoptée; elle consacre la suppression des corporations. Quelques lignes inscrites dans une loi de finances abattent définitivement cet'arbre antique, mais vermoulu, des institutions corporatives qui, pendant plusieurs siècles, avait abrité des générations de travailleurs. A une législation basée sur l'inégalité et le privilège, on substituait le régime de l'absolue liberté. Ces principes libéraux, combattus dès 1830 par les disciples de Saint-Simon, de Fourrier, de Proudhon, serviront de règle à notre législation du travail, qui a subi peu de modifications jusqu'en 1870. Cependant, sous l'influence des socialistes doctrinaires, se forme, même avant 1848, une législation industrielle. Il convient de signaler à ce point de vue : 1o La loi du 22 mars 1841 sur le travail des enfants; 2o Le décret des 3-11 juillet 1848 qui ouvre un crédit de 3 millions destiné à être réparti entre les associations librement contractées entre ouvriers ou entre patrons et ouvriers; 3o Le décret des 9-14 septembre 1848 relatif aux heures de travail dans les mines et manufactures; 4o La loi du 27 mai 1864 supprimant le délit de coalition et préparant le mouvement syndical qui doit aboutir à la loi du 21 mars 1884. Depuis 1870, au contraire, les idées de l'école libérale intransigeante ont perdu une partie de leur crédit. L'opinion semble de plus en plus attirée vers les dispositions législatives qui cherchent dans l'intervention de l'État une atténuation de la misère et la disparition des injustices sociales. Nous sommes donc en présence de deux routes opposées. Ceux qui nous les conseillent prétendent qu'elles aboutissent l'une et l'autre au bonheur de l'humanité. Avant de choisir, il n'est, certes, pas inutile de réfléchir et de voir si on n'essaye pas de nous leurrer par de chimériques espérances. Pour les économistes, la mise en œuvre des forces et des énergies individuelles se limitant les unes les autres, la concurrence assure l'équilibre social et donne pleine satisfaction aux intérêts légitimes. La société tend, tout naturellement, vers le bien-être, le perfectionnement et l'égalité (1). <«< Laissez faire et laissez passer, » disait Gournay. « Il mondo va da se, le monde va tout seul,» affirmait l'abbé Galiani. Plus tard, Bernardin de Saint-Pierre, s'inspirant de Jean-Jacques Rousseau, écrivait : « La nature présente à tous ses enfants des asiles et des festins. L'homme naît bon. C'est la société qui fait les méchants. » Ces pensées optimistes ne sont, hélas! que des imaginations poétiques. La nature ne hait et n'aime personne. Elle est la grande indifférente qui assiste impassible au combat pour l'existence que se livrent tous les êtres organisés. Nous contemplons la nature superbe de beauté et de bonheur. Nous ne voyons pas, ou plutôt nous oublions (1) Bastiat, Harmonies économiques. les continuelles menaces que cachent ces brillantes apparences (1). Les animaux se dévorent les uns les autres. Dans les forêts, les plantes les plus vigoureuses étouffent les faibles. On peut dire que la vie des êtres organisés n'est assurée que par la mort de la plupart d'entre eux. Cette loi de la lutte pour l'existence et de la disparition des plus faibles, conséquence de la rapidité avec laquelle les êtres organisés se multiplient, est inéluctable. Mais ne devons-nous pas chercher à en atténuer les effets? Faut-il oublier que l'homme est de tous les êtres organisés celui qui est le mieux doué de cet instinct social qui nous a révélé la charité? Faut-il oublier encore que l'homme est le seul des êtres vivants qui connaisse le sens moral, qui entende la voix de la conscience et qui obéisse à cette force mystérieuse qu'on appelle le devoir? Dans l'immensité de la nature l'homme n'est sans doute qu'un roseau. Mais souvenons-nous, avec Pascal, qu'il est un roseau pensant. C'est le diminuer injustement que le dire incapable de vouloir et de pouvoir secourir ses frères malheureux. La nature ne suffit donc pas à tout. Elle ne guérit pas, seule, les maux qu'elle a causés. Les lois peuvent atténuer les misères sociales. Mais, comme des remèdes, il convient de ne pas en abuser et de se garder de la réclame et des charlatans. (1) Darwin, Origine des espèces. Édition Reinwald, p. 68. Du reste, les sciences morales n'ont pas le même caractère de précision que les mathématiques. Elles ont pour objet non pas des éléments toujours identiques, mais l'homme, « ce sujet merveilleusement divers et ondoyant. » Elles nous révèlent des lois qu'il est dangereux de méconnaître, mais qu'on ne peut appliquer sans tenir compte des circonstances, du temps et des mœurs. Il n'est pas douteux que les conditions économiques du travail ont été profondément modifiées depuis que les économistes du xvIIe siècle ont proclamé les magiques effets de leur formule: «Tout laisser faire, tout laisser passer. » La Révolution, en donnant au citoyen la liberté du travail, lui reconnut, en même temps, la propriété exclusive des œuvres créées par lui (1). Ces principes ont été féconds en résultats. Ils ont surexcité l'initiative individuelle. Ils ont donné un essor prodigieux à l'invention humaine et, par conséquent, à la civilisation. Les découvertes de Papin et de Watt permettent d'utiliser la vapeur comme agent producteur de forces et de multiplier les produits en diminuant l'effort. L'application de la machine à vapeur entraîne une révolution industrielle bienfaisante dans son ensemble, mais elle crée pour l'ouvrier des périls autrefois inconnus. Le contact de l'homme avec la machine, avec ces forces aveugles qui coupent, écrasent et broient, a multiplié les risques d'accidents, de blessures et de mort. (1) Décret du 31 décembre 1790-7 janvier 1791. |