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s'éleva sur ses pattes, se rengorgea, tourna autour de la cage, se plaça dessus, en redescendit, alla vis-à-vis à la perdrix, passa la tête à travers les barreaux, présenta son bec, et fit des cris d'amour.

Outré de despit, Potiron le coucha en joue, et tira le déclin; mais tel maître, telle arme; celle de Potiron fit crac; il se hâta de réparer la chose; mais crac encore, et toujours crac. Ah! maudite arme; ah! chienne de patraque! s'écrioit-il, écumant de fureur. Tandis qu'il perdoit son temps, le coq ne perdait pas le sien; et il fit si bien, qu'il souleva la porte de la cage, et fut le plus heureux des coqs à la barbe de son rival. Potiron ne pouvoit pas sortir de son trou; son ventre étoit trop gros, ses jambes trop courtes. Il se mit à crier de toutes ses forces. Hé, ma chère mère, ma chère mère, venez donc vite empêcher ce vilain. La fée Rancune ne fit qu'un saut; elle avoit déjà la main sur le prince Discret; mais la fée Rusée, qui étoit présente, quoiqu'on ne la vit point, rendit dans l'instant son fils invisible comme elle. Rancune le chercha en vain.

Madame, dit Potiron, voilà une princesse qui a bien peu de pudeur. Je l'en punirois, répondit la fée; mais on doit respecter son fruit. On la rapporta au palais, elle pondit ses dix-sept œufs; il ne s'en trouva pas un de clair: ainsi Tricolore eut dix-sept perdreaux du premier lit, sans avoir cependant perdu ses prémices de princesse.

Un des oracles du Grand-Instituteur se trouva donc vérifié. Dès que ses enfants furent revêtus de queue, on les mit en liberté, et la fée Rusée rendit à la mère sa forme naturelle.

Ah! madame, s'écria-t-elle, transportée de joie,

que je vous ai d'obligations! Mais, de grâce, qu'est devenu votre fils? La fée Rusée, à cette question, tomba dans la tristesse, garda le silence pendant un moment, et fit cette réponse: Vous n'en aurez des nouvelles que trop tôt; le Grand-Instituteur ne se trompe pas; vous ne pouvez vous dispenser d'ôter la vie à votre amant, et, dès le soir même qu'il mourra, vous serez forcée d'épouser Potiron. Tricolore voulut gémir; mais la fée Rusée, qui prévit que cela ne seroit pas amusant, la laissa seule, et fit fort bien. Je l'imiterai, et je ne rendrai pas compte des réflexions de la princesse. Ce que l'on se dit à soi-même n'est pas toujours bon à répéter

aux autres.

Il est seulement nécessaire de savoir que Tricolore, après avoir beaucoup rêvé aux moyens d'éviter ses malheurs, se détermina à ne point passer le jardin de la fée Rancune, afin de ne point rencontrer le prince Discret: car, disoit-elle fort bien, si je ne le trouve pas, il sera difficile que je le tue. On voit par là combien cette princesse étoit forte pour le raisonnement.

Le lendemain, jour de grande chaleur, Tricolore, vers le soir, voulut prendre le frais: elle gagna une pelouse verte à faire plaisir; elle ne put résister à l'envie de se coucher sous le feuillage d'un gros chène; elle s'y endormit. On croit que je vais faire arriver le prince Discret? non, ce sera le Grand-Instituteur; il n'y a rien à perdre. Le hasard l'avoit conduit en ce lieu: il devoit faire un discours sur les inconvéniens de la chasteté, et il venoit le préparer, dans ce bois solitaire. Qu'il trouva un beau texte, en découvrant Tricolore endormie! J'ignore quelle étoit l'attitude de la prin

cesse; mais le prêtre s'écria: Ah sainte Barbe! que cela est joli! Il se cacha derrière un buisson, il craignoit de faire du bruit, et ne pouvoit cependant s'empêcher de taper du pied. Il étoit prêt à faire frémir. Son transport redoubla, lorsqu'il entendit la princesse, qui dit: Haie! en faisant un petit mouvement. Il devint séraphin; mais toutes les puissances de son âme furent occupées, en voyant Tricolore ouvrir les yeux à moitié; et prononcer ces mots d'une voix douce: Ah! que cela me chatouille! Elle parut se rendormir; mais la minute d'après, elle s'éveilla tout-à-fait, en s'écriant: Ah! que cela est chaud! Elle se croyoit seule; elle regarda, et trouva un ver luisant caché dans l'herbe, et placé le plus heureusement du monde.

Un lecteur pénétrant jugera aisément par la façon, dont ce ver luisant se plaçait, que c'étoit le prince Discret métamorphosé par sa mère. La princesse le prit et le considéra avec un air de complaisance, comme si elle se fût doutée de ce que c'étoit. Quoi, dit-elle, voilà ce qui m'a tant émue! cela est plaisant. Voyons cependant s'il ne m'a pas piquée. En cet instant critique, le Grand-Instituteur creva dans ses panneaux, et malgré lui, s'écria: Ouf, je n'en puis plus !

La pauvre Tricolore fut saisie de frayeur et de honte. - Hé quoi! monsieur, qui vous auroit cru là? On voit bien que les prêtres mettent leur nez partout. Le Grand-Instituteur, qui ne répondoit qu'à ses idées, repartit en soupirant; Ah! que ce ver luisant est heureux! -Vous appelez cela un ver luisant, dit la princesse ? — Oui, répliqua l'Instituteur. J'admire la sagesse de la nature qui lui a placé une étincelle de feu sur la queue. En effet, cela

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est drôle, continua Tricolore; et qu'en concluezvous ? Que cet insecte lumineux, répondit le prophète, cache peut-être un amant. A ce mot d'amant, Tricolore tressaillit; elle tomba dans la rêverie, contempla le ver luisant, et prononça ces mots d'un air intéressant: Le pauvre petit, qu'il est gentil! Mais savez-vous bien, poursuivit-elle en réfléchissant à la place où elle l'avoit trouvé, savezvous bien que vous pourriez avoir raison, et que c'est peut-être un amant?

N'en doutez pas, dit le Grand-Instituteur : cette étoile n'est qu'une étincelle que l'amour a laissé tomber de son flambeau. Madame, continuat-il, ayez la bonté de la serrer un peu, pour voir s'il remuera la queue. Tricolore fut curieuse de cette expérience: elle appuya ses deux doigts; mais, ô surprise, ô terreur ! elle sentit jaillir du sang, et sur-le-champ elle entendit la voix du prince Discret, qui dit: Ah! Tricolore ! je meurs de votre main; que je vous suis obligé ! Le prince expira, la princesse s'évanouit, et le Grand-Instituteur s'écria: Victoire! victoire! Tricolore, vient de tuer son amant; tant mieux pour lui, tant mieux pour elle, tant mieux pour moi!

Le bruit de cet événement s'étant répandu, le roi des Patagons fit battre aux champs; on publia le mariage de la princesse et de Potiron; rien ne pouvoit le retarder. Le repas se fit; on mangea plus qu'on ne parla; on parla plus qu'on ne pensa. La chère fut fine, les plaisanteries furent grosses, et le roi charmé de se bien divertir, dit d'un ton malicieux qu'il étoit temps de conduire les nouveaux mariés à leur appartement. Je vous fais grâce de la cérémonie. Le prince parut bête, Tricolore parut

triste; tout cela étoit vrai. La fée Rancune rioit comme rit la haine. Le Grand-Instituteur fit une belle exhortation; mais ce n'est pas ce qu'il fera de mieux. Dès que les époux furent dans la chambre nuptiale, la belle Tricolore prit le deshabillé le plus galant; mais ce qui la rendoit encore plus charmante et plus désirable, c'étoit son embarras et sa rougeur. En pareille occasion, la pudeur est toujours un tribut à la volupté.

Potiron n'étoit pas très-bien dans son bonnet de nuit; mais, comme il avoit une belle robe de chambre couleur de chair, le roi crut que c'étoit l'instant de les laisser. Il congédia l'assemblée, et il prit le parti lui-même de s'appuyer sur deux de ses pages, et de se retirer, en disant quelque ordure, qu'il prit pour une finesse.

Dans le moment que tout le monde sortoit, on entendit une voix qui prononça ces paroles: « Il n'y est pas encore. >> - Madame, dit aussitôt Potiron, permettez-moi de lui donner un démenti. Tricolore garda un silence modeste, qui autorisoit les droits de son époux. Il alloit en profiter, lorsque la princesse fit une grimace, une plainte et un mouvement. Potiron, plein d'égards, contint son feu, et lui demanda ce qu'elle avoit. Seigneur, répondit-elle, c'est quelque chose de très-extraordinaire. Sentez-vous du mal quelque part, poursuivit Potiron? Seigneur, cela est plus embarrassant que douloureux. Madame, permettez-moi de voir. Je n'ose pas, repartit-elle : si vous saviez où c'est ! Vous me l'indiquez, en me parlant ainsi, reprit Potiron. En même temps, il fit l'examen, mais quel fut son étonnement, en apercevant une rose toute épanouie, entourée de pi

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