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Pardon, mon très-révérend père, si j'ai couvert du voile de la fable quelques vérités utiles, mais, pouvais-je ne pas me souvenir qu'en s'instruisant on veut être amusé? D'ailleurs, tout ce monde frivole et profane, qui préfère encore, aveugle en son délire, Ovide à Moïse, et les charmantes fictions de la théologie païenne aux sublimes idées de la nôtre; m'aurait-il lu, si j'avais négligé de m'en servir? et tout le bien que doit faire ce petit ouvrage, cette espèce de testament, où presqu'en mourant j'ai consigné mon repentir, fût-il arrivé?

Vous n'ignorez sans doute pas le goût de toute notre jeunesse pour les petites histoires; c'est une fureur. Je me suis vu forcé par elle de choisir ce genre, puisqu'il plaisait davantage. Vous savez aussi mieux encore que moi, mon très-révérend père, que jusqu'ici l'on n'a cessé de bercer de contes notre pauvre genre humain: contes moraux, contes persans, contes pour rire, contes de mon cousin Guillaume Vadé, contes à dormir debout, contes, etc., etc. Mais tous ces ouvrages sont ou obscènes, ou impies, ou tendants à semer l'erreur, ou à amollir l'âme par le poison des voluptés. En voici enfin d'une autre espèce, consacrés uniquement aux vérités, ce sont des contes théologiques.

Lisez, mon très-révérend père, et faites lire à vos pénitentes. Puisse cet ouvrage être jugé digne, par votre révérence, d'être associé au sien! Elle est même la maîtresse de le faire courir sous son nom, comme un supplément à

celui qu'elle vient de publier. Il ne me restera rien à désirer, si, du fond de ma retraite, j'apprends qu'il ait fait dans le monde autant de bien que le sien.

Je suis en me recommandant à vos saintes prières dans le sacrifice de la messe, et à toutes celles des bons pères de votre édifiante communauté,

De votre révérence,

Mon très-révérend père,

Le très-humble et très-obéissant

serviteur
D. B.

Paris, 6 juin.

Avertissement de l'éditeur.

Sans un évènement extraordinaire, il paraît que les contes théologiques n'étaient pas destinés à être mis en lumière. Un convoi parti de Bordeaux pour l'Amérique en 1781, portait quelques officiers français, dont les malles se trouvèrent réparties sur différens bâtiments. Un coup de vent ayant dispersé ce convoi, plusieurs des bâtiments dont il était composé, furent pris par des croiseurs anglais. L'une de ces prises, que j'amarinai, contenait une malle remplie de livres et de papiers; mon équipage consentit à m'en laisser l'entière disposition. Parmi beaucoup de manuscrits, j'y trouvai celui des Contes théologiques par duplicata: l'un paraît écrit de la

main de l'auteur même; il est très-différent du second, dans lequel ces contes paraissent avoir été non seulement abrégés, mais extrêmement corrigés et améliorés. Une note, à la suite du second manuscrit, m'apprend que l'auteur des contes théologiques, est feu M. Du Busca, officier du corps de l'artillerie de France, lequel avait eté d'abord oratorien. Il paraît que cet officier mourût vers 1770 et qu'il légua son manuscrit, encore informe, à l'un de ses amis, avec prière de lui faire voir le jour. Cet ami, vraisemblablement propriétaire de la malle et des papiers qui m'échurent, s'étant borné à mettre ce legs en état de paraître, et croyant sans doute aujourd'hui ne pouvoir plus remplir le vœu du légataire, sera certainement très-surpris de le voir mis en exécution. Je me suis fait une espèce de scrupule de remplir sa dette; en effet, les nombreuses corrections qu'il avait faites à l'original, prouvent qu'il avait eu le dessein de l'acquitter. C'est d'ailleurs un moyen de lui restituer une partie de ses papiers, qui me sont tombés dans les mains; car le libraire de Francfort, où je me suis arrêté en courant l'Allemagne, et auquel j'ai donné ce manuscrit, aux conditions de le publier dans l'année, y joindra pour former un bon volume, beaucoup de pièces d'un genre analogue, que le légataire des contes paraissait avoir recueillies avec soin, et qui, pour la plupart, selon ses notes, ou n'ont point été imprimées, ou sont perdues dans un trop grand nombre de volumes.

Je ne dirai rien de ces contes et pièces, je ne connais pas assez la langue et le parnasse français pour les juger; ils me semblent, comme la nation même, spirituels et gais: il me suffit, au reste, d'en faire par la voie de l'impression, une sorte de restitution à celui auquel les hasards de la guerre les avaient enlevés.

JOHN LOWEMAN.

Voici maintenant une petite facétie en prose, exceptionnelle dans ce volume, qui, hors elle, ne contient que des poésies:

Monosyllabes écrits pendant la semaine sainte, par le chevalier de Boufflers au duc de Choiseul.

Mon cher Duc, qui chez vous a la foi? Qui de vous croit au vrai Dieu, à son fils, à un tiers, à ce Dieu qui n'est qu'un, mais qui est trois, et qui n'en est pas moins un; car on sait qu'un et un font deux et un font trois, mais que trois ne font plus qu'un; rien n'est plus clair.

Ce Dieu est de tous les temps, et du temps où il n'y a pas eu de temps; il est dans le temps, il est hors du temps, il n'est point né; il ne meurt point, c'est lui qui le dit, de plus il dit qu'il est né et qu'il est mort.

Ce Dieu est en tous lieux et où il n'y a point de lieu, il est dans les cieux et hors des cieux. Tout est plein de lui, hors ce qui n'est pas plein. Tout est lui hors ce qui n'est pas lui.

Que ce Dieu est bon! il a fait le Ciel pour nous tous: y va qui veut, c'est un peu haut, et pas trop gai. Il a fait un grand feu pour ceux qui ne sont pas là haut; il faut que bien des gens aient froid, car on y court à qui mieux mieux.

Ce Dieu n'eût pas de corps tant qu'il fut chez lui; mais il en prit un, quand il vint chez nous: il prit ce corps dans un corps tout neuf, sans qu'on y eût rien mis. Il est mort, ou il a fait le mort, deux ou trois jours. Ce qu'il y a de sûr, c'est que ceux qui l'ont vu mort, l'ont vu au bout de deux ou trois jours fort vif et fort sain. Ils en ont eu peur. Mais qui l'a vu? c'est Jean, c'est Luc, c'est Marc, c'est qui veut; ce n'est pas moi. Ils l'ont vu deux mois; au bout de ce temps-là il fut au Ciel; et c'est où on va le voir le plus tard qu'on peut.

Zimmermann (Joh. George). Vom der Eimsamkeit (De la Solitude). Leipzig, 1784-5, 4 vol. in-8, figures.

Cet ouvrage fut traduit en français par J.-B. Mercier, Paris, 1798, in-8, et 1817, 2 vol. in-12; et par A.-J.-L. Jourdan, Paris, Baillière, 1825, in-8, 7 fr. Traduction nouvelle par X. Marmier, avec une notice sur l'auteur. Paris, FortinMasson, 1845, in-12, 3 fr. 50.

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