Page images
PDF
EPUB

Cette dernière était située à l'autre extrémité du village, mais non sur la place tracée au haut du promontoire, au milieu de laquelle s'élève la croix peinte et dorée qui ici, comme partout dans ce pays, domine et protége chaque groupe d'habitations, et qu'entourent à Passay les maisons neuves et plus confortables de l'aristocratie commerçante. Le père Gaffou habitait une rue boueuse, tortueuse, autrefois seul chemin pour arriver à la grève et qui maintenant, abandonnée par la route nouvelle, est encombrée de fumiers, de chaume, de bois, et bordée des misérables demeures des pêcheurs et des pauvres.

La pluie qui continuait de tomber à flots avait rendu la rue dont nous parlons presque impraticable, et l'obscurité augmentait encore les difficultés du passage. Mais André en connaissait depuis son enfance les montagnes et les vallées, les fondrières et les pierres de sauvetage. Il savait au juste où il devait poser le pied pour éviter la mare dans laquelle il se serait enfoncé jusqu'au dessus du genou, et l'endroit où il fallait grimper sur les remparts de fumier, seul lieu see et propre de tous les environs. Il arriva donc sans encombre à la maison de son père, frappa et se fit reconnaître. Il entendit alors la lourde clef tourner dans la serrure, la porte s'ouvrit lentement et le jeune homme entra.

L'intérieur de la maison était encore plus misérable que l'extérieur ne pouvait le faire supposer. Tout y accusait le désordre et l'insouciance. Les murs bas et nus laissaient passer une humidité pénétrante; l'eau suintait en quelques endroits à travers les lattes du toit, et formait sur la terre, qui servait de plancher, des flaques d'eau boueuse. Les vastes bottes, les gaffes, les rames, les engins de pêche déposés dans un coin, répandaient autour d'eux une odeur nauséabonde qui chargeait de ses exhalaisons l'atmosphère lourde de la triste demeure. En l'absence complète de fenêtres, le large tuyau de la cheminée servait de ventilateur, et le feu, que l'humidité de la nuit rendait nécessaire, même dans cette saison de l'année, envoyait de temps à autre des tourbillons épais de fumée vers les solives du toit. Deux lits, dont l'un était défait et en désordre, un

vaisselier où s'étalaient quelques plats ébréchés, une table grossière et deux chaises boiteuses complétaient l'ameublement de la maison. André était trop habitué à ces apparences de misère pour en être frappé. Si quelque chose eût pu attirer particulièrement son attention, c'eût été deux ou trois détails annonçant un peu plus d'aisance que de coutume, un bon fusil accroché à la cheminée, une montre d'argent suspendue à la tête du lit, et des souliers neufs posés sur le bahut.

Le père Gaffou se tenait devant son fils d'un air qui ne trahissait qu'une satisfaction fort modérée de son heureux retour. C'était un homme d'une soixantaine d'années, plutôt petit que grand, mais vigoureux et carrément bâti. Ses lèvres épaisses, son front bas, caché par une forêt de cheveux gris, ses yeux noirs au regard inquiet, lui composaient une physionomie des moins prévenantes. Il était encore tout habillé, car il venait de rentrer de la pêche, et ses vêtements de grosse laine étaient trempés par la pluie et les vagues, ce dont il ne s'inquiétait guère.

[ocr errors]

Ah! te voilà, Dro, dit-il à son fils d'une voix enrouée, je ne pensais pas te revoir sitôt. As-tu fais bon voyage?

Assez bon, mon père, répondit le jeune homme, mais il était temps que j'arrivasse. Je suis harassé.

En disant ces mots, André s'assit sur le banc; l'excitation qui l'avait soutenu jusqu'alors commençait à tomber, il se sentait épuisé par les émotions et la fatigue.

Veux-tu souper ? demanda le père Gaffou; si tu viens de loin tu dois avoir faim, car les auberges ne sont pas ouvertes à l'heure qu'il est.

Le vieillard alla prendre dans le buffet un morceau de lard froid, le posa sur la table, et passant dans un petit cellier qui joignait la maison, en revint avec un pichet plein de vin.

[ocr errors]

Merci, mon père; je suis fâché de votre peine, mais ça n'est pas de refus, dit André pendant que le père Gaffou s'approchait de lui d'un pas lourd et en se balançant, comme si les vastes bottes qui reposaient dans un coin eussent encore enfermé ses jambes; un coup de vin me fera du bien, je pense.

Il prit le pichet des mains de son père et le porta à ses lèvres; mais à peine en eut-il avalé deux gorgées, qu'il remit le pot sur la table et regarda le vieillard avec surprise.

- Tiens! la pêche a donc joliment donné depuis mon départ? dit-il, voilà du vin comme il n'en entrait guère chez nous autrefois. C'est pur muscadet, j'en jurerais!

Le vin, désigné aux environs de Nantes sous le nom de muscadet, ne paraîtrait peut-être pas exquis à un gourmet; mais comme il est le plus cher et le meilleur du pays, il est rare d'en trouver chez les paysans, qui n'en boivent que dans des occasions tout à fait extraordinaires.

Le père Gaffou parut vexé de la remarque de son fils.

On peut bien se donner quelques douceurs quand on devient vieux, dit-il d'un air rogue. Je fais mes comptes moi-même à cette heure; je n'ai pas une femme dépensière qui fait passer l'argent on ne sait où, et les affaires en vont mieux.

- Eh bien eh bien! mon père, je ne vous le reproche pas, répondit André avec une distraction insouciante. Je suis content de voir que vous faites des affaires. Vous pêchez toujours avec les mêmes consorts, je pense? Il doit y avoir du changement chez eux aussi, car ils étaient les plus pauvres du village.

(La suite à la prochaine livraison.)

JULES D'HERBAUGES.

NOTICES ET COMPTES RENDUS

JACQUES CASSARD, CAPITAINE DE VAISSEAU.

SA FAMILLE.

SA NAISSANCE. Notes généalogiques, par M. S. de la Nicollière-Teijeiro. Nantes, 1876, gr. in-8°, 24 pp. Impr. Vincent Forest et Emile Grimaud.

1

Voici la saison de la chasse, et sans doute plus d'un de nos lecteurs se livre aujourd'hui au plaisir de tuer lièvres et perdrix, et surtout au plaisir plus grand encore, pour le chasseur digne de ce. nom, qui consiste à prévoir le champ où il fera lever une compagnie de perdrix et à voir se vérifier son calcul, comme se vérifie celui de l'astronome qui marque d'avance le coin du ciel, le champ d'azur où se lèvera une planète. — Eh bien ! il est un plaisir plus vif que celui du chasseur, c'est celui du chercheur, de l'érudit qui est à la piste d'un fait curieux et précis, d'une date exacte, qui la poursuit d'archives en archives et jusque dans la poussière d'une étude de notaire, comme l'a fait M. Eudore Soulié pour Molière. Quelle joie, lorsque enfin notre homme met la main sur la pièce qu'il a flairée d'avance, et qu'il la rapporte triomphant au logis! Quelle pièce de gibier vaudra jamais celle-là ?

M. de la Nicollière-Teijeiro figure au premier rang parmi ces heureux et intrépides chercheurs. Il a le flair, il a la patience, il a le zèle que rien ne lasse et la sagacité que rien ne trompe. Grand est déjà le nombre de ses précieuses découvertes. Aujourd'hui, il nous donne des notes généalogiques d'une précision merveilleuse sur Jacques Cassard, l'émule de Jean Bart, l'ami de DuguayTrouin, le capitaine des vaisseaux du roi, né à Nantes, le 30 septembre 1679. C'est justement cette date que M. de la Nicollière met aujourd'hui en pleine lumière, rectifiant sur ce point les biographes ses prédécesseurs, qui se sont tous trompés.

Greslan, auteur de l'article Nantes, dans le Dictionnaire des Gaules, d'Expilly; Turpin, Fastes de la Marine française; Richer, Vie du capitaine Cassard; Eyriès, Biographie universelle; M. P. Levot, Biographie bretonne, disent, avec plusieurs autres, que Cassard naquit en 1672.

La Revue des provinces de l'Ouest, 1856, p. 32, a publié, comme étant l'acte de baptême de Jacques, celui de son frère aîné, né en 1669 et mort à l'âge de cinq ans.

Avec quel soin, avec quelle patience, M. de la Nicollière a relevé les actes de l'état civil de la famille de J. Cassard! Au premier

abord, vous seriez peut-être tenté de croire que ces pièces textuellement copiées, que ces feuillets détachés des registres de la paroisse Saint-Nicolas, sont d'une lecture difficile, et, tranchons le mot, ennuyeuse. Erreur profonde! La passion qui anime l'érudit soulève ces pages, y répand un souffle de vie, une animation, un attrait véritable, et lorsque arrivés ensemble à la fin, le lecteur et l'auteur se sentent en possession de la vérité qu'ils cherchaient, le premier ne peut se défendre de partager la satisfaction si légitime du second.

A ce dernier, du moins, et à lui seul, l'honneur d'un si remarquable et si intéressant travail. Il nous annonce (page 22) qu'il a déjà réuni d'importants documents pour une étude biographique complète de Jacques Cassard. Qu'il ne nous la fasse pas trop attendre, et qu'il dote enfin la ville de Nantes et la marine française d'une biographie digne du héros qui partage avec le grand Duquesne l'honneur d'avoir exercé le commandement de capitaine à l'âge de dix-huit ans.

EDMOND BIRÉ.

PETITE HISTOIRE DE LA PETITE VILLE DE LIGUEIL, racontée aux enfants des écoles par un de leurs amis. In-18 de XIV-212 pages, avec un plan de Ligueit au XVIe siècle. Rouillé et Ladevèze, Tours.

Pourquoi ne pas le dire tout de suite? cet ami des enfants de Ligueil est tout simplement leur vieux curé, qui, après avoir évangélisé pendant quarante ans sa paroisse, a voulu lui laisser, non point

« PreviousContinue »