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Sont-ce tes mille saints, enfants du statuaire,
Qui, la nuit, éveillant l'écho du sanctuaire
Parlent entre eux confusément?

O basilique ! ému d'une pieuse crainte,

Laisse-moi parcourir ton morne labyrinthe;
N'exile pas encor le passant attardé.

Permets que, solitaire et plongé dans ton ombre,
J'évoque du passé les visiteurs sans nombre
Qui dans ce lieu m'ont précédé.

De tous les continents, durant toutes les ères,
Ils vinrent par troupeaux oublier leurs misères
Sous le dôme éternel dont chacun sait le nom;
De l'art et de la foi création sublime
Dont n'a point approché ce temple de Solime
Bâti par le roi Salomon.

Ils ont, dans tes parvis, bourdonné leur extase,
De tes piliers de marbre ils ont touché la base,
Ils ont de tes arceaux mesuré les hauteurs ;
Roulant sur ton pavé comme des grains de sable,
Ils furent tour à tour d'une œuvre impérissable
Les fugitifs admirateurs.

Puis, sortis sans retour du portail séculaire,
Que sont-ils devenus?... Ce que devient sur l'aire
La paille qu'en été le vanneur suit de l'œil ;
Ce que devient le jour disparu dans la brume;
Des flots tumultueux ce que devient l'écume
Que l'Océan jette à l'écueil.

Et toi qui vis ce flot couler sous tes portiques,

Tu maintiens dans l'azur, depuis les jours antiques,

Tes superbes frontons de lumière éclatants;

Le siècle fait son cours, mais, qu'il meure ou renaisse, Tu gardes à jamais ton intacte jeunesse,

Ta majesté des premiers temps.

Dieu l'a voulu. Celui dont l'esprit s'insinue
Dans le bronze insensible et dans la pierre nue,
Lui-même de tes murs cimente les parois,

Et, pour y mieux fonder son culte et son empire,
Confia ton autel, où son Verbe respire,

A des pontifes qui sont rois!

Règne donc! de ta gloire enveloppe l'espace!
La foule en vain blasphème, en vain le siècle passe,
O temple, sois toujours le temple souverain!
Et, de Rome à tes pieds dominant les ruines,
Demeure inébranlable entre les sept collines,
Colline de jaspe et d'airain!

J. AUTRAN.

Naples, 1840.

A TRAVERS LES LIVRES

JEANNE D'ARC, par H. Wallon, de l'Institut; un vol. in-40, illustré de 15 chromos et de 150 gravures; 2o édition; Firmin-Didot et Cie.

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Phénomène unique peut-être dans les annales de la librairie : Voici un livre dont la première édition se trouva épuisée avant même de paraître, le nombre des souscripteurs absorbant par avance celui des exemplaires. Et ce succès sans exemple est de tout point justifié. Indépendamment de la perfection typographique et picturale, qui a déjà classé cet ouvrage parmi les chefs-d'œuvre de la librairie contemporaine, le sujet dont il traite n'est-il pas redevenu plus populaire que jamais ? Dans ces jours de revers inouïs et de poignantes angoisses, tous les regards, tous les cœurs ne se tournent-ils pas, d'un élan spontané et instinctif, vers celle miraculeuse libératrice qui autrefois sauva la France agonisante, et la releva d'une situation encore plus désespérée, comme si dans ce souvenir nous cherchions une espérance, comme si nous attendions une autre Jeanne d'Arc pour nous sauver des ennemis du dehors et des ennemis du dedans, de ces autres Anglais et de ces autres Bourguignons, également redoutables? Mais Dieu fera-t-il en notre faveur deux fois ce miracle? Son vieux peuple franc, ce peuple choisi de la Loi nouvelle, non moins souvent infidèle, hélas ! que celui de l'ancienne Loi, mérite-t-il d'être une seconde fois sauvé? Un avenir prochain nous le dira, nous signifiera notre arrêt de vie ou de mort...

Tout a été dit sur cette merveilleuse histoire, unique dans les fastes humains, de cette jeune fille des champs, « ne sachant ni a ni b »,

comme elle disait elle-même en son naïf langage, et se trouvant tout à coup, dans sa sublime ignorance, capable de confondre la science des savants, la sagesse des hommes d'Etat, l'habileté des politiques, l'art stratégique des capitaines les plus renommés de son temps; -de cette Judith française, supérieure à la Judith biblique; de cette humble paysanne, qui, soudain transfigurée, échange sa quenouille pour l'épée, la garde de ses brebis pour le commandement des armées, et sauve son pays d'une ruine imminente! << Il n'y a rien, dirons-nous avec un écrivain de ce temps, il n'y a rien à comparer ni chez les anciens, ni chez les modernes, ni dans la fable, ni dans l'histoire, à la pucelle d'Orléans.» Histoire plus invraisemblable, en effet, qu'un rêve de l'imagination, et cependant la plus certaine, la plus authentique.

Et, comme si dans les desseins de Dieu toute rédemption dût s'acheter par un sanglant sacrifice, la libératrice de la France devait, à l'exemple de son divin modèle, le Rédempteur du monde, payer de sa vie le salut de sa patrie. Elle aussi devait avoir sa passion, et, si le rapprochement nous était permis, quels étranges points de ressemblance n'aurions-nous pas à relever entre les douloureuses stations des deux sacrifices, le divin et l'humain? Ces proches et ces compatriotes qui méconnaissent Jeanne d'Arc et la renient; cet autre Judas, le comte de Ligny, qui la vend, au prix de dix mille écus; cet autre prince des prêtres, l'évêque Cauchon, qui la livre ; ce criminel, autre Barabbas, préféré à Jeanne et délivré à sa place, le jour de la fête de l'Ascension, en vertu d'un vieux privilége dit de Saint-Romain; ce long et mortel interrogatoire, où la haine et la ruse épuisent toutes leurs arguties, où l'accusée confond ses juges par ses réponses inspirées; cette agonie morale, où son âme aussi est triste jusqu'à la mort, où, n'entendant plus ses voix, elle crie vers Dieu et lui demande pourquoi il l'abandonne ; puis, cette condamnation inique et sans preuves, cette marche au supplice de Jeanne pleurant sur le peuple et sur la ville de Rouen, sur les maux que l'un et l'autre souffriront à cause d'elle; cette eau, qu'elle demande, sur le bûcher, pour éteindre le feu, tant intérieur qu'extérieur, qui la dévore; ce grand cri qu'elle pousse en expirant;

ces bourreaux qui, en s'en retournant, après le supplice, se disent les uns aux autres : « Nous sommes perdus, nous venons de brûler une sainte!» quel ensemble, vraiment extraordinaire, d'analogies avec le drame divin du Golgotha ?

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Telle est cette histoire incomparable que nous raconte, par la plume, le burin et le pinceau, le beau livre dont nous nous occupons.

La plume est celle de M. H. Wallon, un écrivain et un érudit qui a fait ses preuves, ainsi d'ailleurs que le texte qu'il nous donne anjourd'hui. Car ce texte n'est pas nouveau ; il comptait déjà un certain nombre d'années sous une forme plus modeste, et plusieurs éditions en avaient attesté le mérite et le succès.

Le récit de M. Wallon est exact et clair, savant et vivant ; les éléments en ont été empruntés aux sources originales; il est entremêlé de longues citations tirées des vieux textes du XVe siècle, qui viennent le corroborer de leur naïf témoignage. L'historien nous peint tour à tour la bergère et la vierge inspirée, la guerrière victorieuse et libératrice, la victime et la martyre. — Trilogie sublime : idylle, épopée, tragédie, également uniques dans les annales du monde!

Inutile de dire que M. Wallon a su mettre à profit les laborieuses recherches de ses devanciers, en particulier ces deux ouvrages, d'une valeur si capitale en l'espèce, dans lesquels MM. Quicherat et O'Reilly ont révisé les deux procès de Jeanne, l'un avec la science patiente d'un érudit, l'autre avec l'expérience d'un jurisconsulte.

Le livre de M. Wallon est l'œuvre d'un Francais, en même temps que d'un chrétien. Car, est-il besoin de le dire? pour lui Jeanne d'Arc n'est pas cette pseudo-Velléda imaginée par le néo-druide Henri Martin, encore moins cette hallucinée, cette folle (des. Français ont osé prononcer ce mot impie!) que ses contemporains auraient dû apparemment enfermer, plutôt que de lui permettre de sauver son pays !

M. Wallon, lui, croit à l'inspiration de Jeanne, à ses voix, à sa mission providentielle. Chrétien sincère et convaincu, le savant académicien n'a garde d'affecter pour le surnaturel ce mépris si à

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