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saurions, sans étendre notre travail au delà de toute mesure, accompagner le savant historien de l'opéra dans l'exposition et l'examen des œuvres lyriques qui ont paru au théâtre depuis Mozart jusqu'aujourd'hui. Il y montre les qualités que nous avons déjà rencontrées et louées, l'érudition, le goût, la sagacité, la compétence, avec un patriotisme dont l'ardeur a son excuse dans les émotions troublantes au milieu desquelles l'auteur a écrit. Son livre manquait, je le répète, à notre littérature musicale. Rien ne sera plus facile à M. G. Chouquet que d'y apporter les améliorations que nous avons cru devoir franchement lui proposer. Terminons en lui conseillant d'être plus sobre à l'égard des hommes et des œuvres de moyenne valeur; plus abondant, au contraire, quand il étudie les maîtres, leurs chefs-d'œuvre et leur philosophie.

CH. LÉVÊQUE.

BENOIT DE SAINTE-MORE ET LE ROMAN DE TROIE, ou les Métamorphoses d'Homère et de l'épopée gréco-latine au moyen âge, par A. Joly, professeur à la Faculté des lettres de Caen, Paris 1870.

DEUXIÈME ARTICLE1.

Examen de quelques difficultés; émendations diverses.

Un grand texte comme le Roman de Troie, qui était inédit et que nous recevons de la main d'un diligent éditeur, est une aubaine pour ceux qui aiment notre ancienne langue. Je suis du nombre. Aussi ai-je fouillé ce vieux document, me livrant à l'utile exercice d'essayer de comprendre ce qui est obscur, et de corriger ce qui semble altéré. C'est le résultat de cet exercice que je mets sous les yeux du lecteur. Thoas est pris par les Troyens; mais il ne tardera pas à être délivré :

1

Por tant fu bien aparissant,

Ainz que li trei jor passissent. (V. 11,431.)

Voir, pour le premier article, le cahier de janvier 1876, p. 33.

Je ne note pas ces vers à cause de aparissant; car, à côté d'aparoir, il y avait une forme aparir; deux cents ans plus tard, Macé de la Charité, dans sa Bible en vers, folio 102 verso, 2° colonne (n° 401 des manuscrits français de la Bibliothèque nationale), disait :

Ceste estoile est apparissens.

Je ne les note pas non plus à cause de la forme isse, au lieu de asse, à l'imparfait du subjonctif d'un verbe de la première conjugaison; car notre Benoît a, v. 11,617, amisseiz du verbe amer. Je les note à cause de la forme barbare qui rend masculine et accentuée une terminaison toujours inaccentuée et féminine passissent rimant avec aparissant. Je sais que certains patois d'aujourd'hui ont de ces terminaisons masculines aux troisièmes personnes du pluriel; mais leur façon de parler peut-elle fournir l'explication ou la justification d'une forme rencontrée dans un texte du xir siècle, et rencontrée une seule fois? Il est vrai qu'à une époque plus rapprochée, le xiv° siècle, un prêtre des bords de la Loire, Macé de la Charité, que je viens de citer, ou du moins son copiste, transforme fort souvent, aux imparfaits de l'indicatif, les finales féminines ent du pluriel en finales masculines. En voici des exemples :

Et les tenebres qui estaint

Et semblance d'abisme avaint (f° 2, 2° col.);

et folio 68 verso, première colonne :

totes les lignies

Qui d'Israhel eraint seignies.

Mais Macé est de deux cents ans postérieur à Benoît; il appartient à une contrée sise loin de la Normandie; et ces contractions, qui changent une syllabe féminine en une masculine, ne sont pas identiques à une manière de parler qui, sans contraction, donne le son de ant à ent muet. Je serais donc tenté de rejeter l'assimilation, et de penser que, dans Benoît, la leçon est fautive, sauf à chercher la correction. Cette correction je la concevrais de cette façon :

Por tant fu bien aparissant,

Ainz que li tiers jors passisse ent.

Ces tentatives doivent être écartées en présence de cet autre texte de

Benoît, qui, sans être identique au précédent, y a une grande ressemblance :

Quand Helenus fu delivrez
Et sis aveirs quites clamez,
Molt humblement en mercia
Cels de Grece, puis lor preia
Que sa mere li rendissont.
Longe parole et grant en font;

Plus le desvelt que nel otreie. (V. 26,239.)

Ainsi, non-seulement la syllabe ent, muette de nature, est rendue sonore, mais encore le son ont lui est donné. Je ne puis me rendre raison de ces grossières anomalies que par la malheureuse facilité qui portait les trouvères de ce temps à changer arbitrairement les finales pour la rime. Quand, variante 27,358, Benoît, en parlant d'une forteresse, dit :

Car dusqu'al jor du finement
N'i porreit l'en faire un assalt;

La roche est plaine et dreite et halt,

peut-on pécher plus effrontément contre la grammaire, joignant à deux adjectifs féminins un adjectif masculin, les trois appartenant au même substantif roche 1?

Aet, que n'ont ni le dictionnaire provençal de Raynouard ni le glossaire étymologique de Diez, se trouve deux fois dans le Roman de Troie :

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et v. 17,183:

Tex quatre cox li done ou set,

Dont il voide lo sanc aet.

Le sens ressort suffisamment de l'emploi du mot; il signifie « tout de « suite. promptement; » mais qu'est le mot en lui-même? La conjecture a, pour se diriger, la forme et le sens. Aet est sans doute pour adet ou atet. Or il y a dans le latin une locution composée atque ita, qui signifie « aussitôt, tout de suite; » on peut penser en conséquence que et représente ita, et que a représente atque.

Au contraire, il m'a été impossible de déterminer les connexions des quatre mots suivants, que je note ici pour cette raison. On en aperçoit le sens par l'emploi que l'auteur en fait.

1° Macain, que M. Joly, dans son glossaire, rend par puissant, habile :

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Autre variante: Ne se fist contre els escurdos.

3° Ringaille, qui signifie ce qu'on nommait aussi pietaille :

Firent la sepme des batailles

Sans gens à pié et sans ringailles,
Mes de buens chevaliers eslis

Et toz corageus et hardis. (V. 8,171.)

4° Visde, à la fois adjectif et substantif, et signifiant habile, habileté :

Paris fu molt escientos,

Visdes, cortois et enartos. (V. 4,331.)

Et v. 17,431:

Tanz dis se rest appareilliez

Come sages et veziés
Palamedes par molt grant sens;

Molt a grant visde et grant porpens'.

J'ai été plus heureux avec eschaucirer. C'est un ancien verbe, assez maltraité par les copistes; et je prends occasion de ces discussions de mots pour le ramener à sa vraie forme, là où elle a été altérée. Non pas qu'il se rencontre dans le Roman de Troie; mais il est dans la Chronique des ducs de Normandie; et nous savons que ces deux ouvrages sont d'un même Benoît. La Chronique, t. II, p. 568, a :

E li enfes eschaucé ra,

Tant qu'en l'estraim s'envolepa.

Il s'agit d'un enfant qui, couché dans de la paille, agite les jambes. On lira eschaucira. Le mot, dans la même Chroniqne, ibid. p. 178, est écrit

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Enfin, dans Rois, p. 140, on le trouve avec la bonne forme; il s'agit de la translation de l'arche traînée par des bœufs : «Quand il vindrent « à l'aire Nachor, Oza estendid sa main vers l'arche, si la tint pur ço « que li buef eschalcirrouent e alches l'enclinerent. » La finale ouent est la terminaison normande de la troisième personne au pluriel des imparfaits de la première conjugaison. Eschaucirer représente le latin excalcitrare, regimber.

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