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sont que d'honnêtes plaisanteries ou de hardies métaphores, que pouvait admettre une conversation familière. Il y aurait à en faire le départ dans une analyse à la fois grammaticale et morale de ce curieux écrit.

Le fragment, fort enrichi par M. Miller, du traité sur les jeux mériterait plus d'attention encore. Si, suivant le mot célèbre de Caton, les grands hommes doivent compte à l'histoire de l'emploi même de leurs loisirs un peuple tel que le peuple grec mérite qu'on l'étudie jusque dans les jeux où il porte, comme ailleurs, la plus ingénieuse activité d'esprit, et pour lesquels sa langue lui fournit un si grand nombre de mots précis et pittoresques 2. Nous ne voulons pas prolonger ces observations; ce que nous avons dit suffit, à ce qu'il nous semble, qu'il nous semble, pour indiquer aux philologues un champ assez étendu, où il y a plus que de simples glanes à recueillir.

É. EGGER.

« Ut et otii mei, cujus et Cato « reddendam rationem putat, apud te « opera constaret. » Justin, préface de l'abrégé de Trogue-Pompée, passage où les interprètes citent d'autres témoins de cette parole de Caton.

2

Sujet traité récemment, d'une manière intéressante, mais non approfondi comme il le mérite, par M. Becq de Fouquière, dans son ouvrage intitulé : Les Jeux des Anciens (Paris, 1869, in-8°).

Histoire des persécutions de l'Église jusqu'à la fin des Antonins, par B. Aubé, professeur de philosophie au lycée Fontanes. Paris, Didier, XII-470 pages, in-8°, 1875.

PREMIER ARTICLE.

M. Aubé s'est préparé à ce travail par de longues et solides études. Toutes les personnes instruites connaissent sa belle thèse sur les Apologies de saint Justin et les utiles articles sur plusieurs Pères de l'Église qu'il a insérés dans la Biographie générale de M. Didot. Les études qui composent le présent volume ont paru elles-mêmes pour la plupart dans des recueils, et M. Aubé a consacré plus de dix années à les revoir. C'est l'ouvrage d'un bon esprit, ami du vrai, sagement indépendant, toujours prêt à modifier ses premières opinions, quand il y est amené par l'étude désintéressée des faits. M. Aubé tient très-bien le milieu entre la critique complaisante, qui emploie toutes ses ressources à défendre des textes depuis longtemps frappés de discrédit, et le scepticisme exagéré, qui rejette en bloc et a priori tout ce que le christianisme raconte de ses premières épreuves. Habitué à manier les idées générales, M. Aubé sait être vrai de ton et de couleur, même quand il est attaquable ou incomplet dans le détail. Un fait remarquable, c'est que M. F. Overbeck, qui vient de traiter le même sujet sans avoir eu connaissance des travaux de notre compatriote1, est arrivé à des conclusions tout à fait semblables aux siennes. Aussi M. Aubé a t-il obtenu des juges les plus compétents en fait d'histoire ecclésiastique, en particulier de M. Adolphe Harnack 2, les approbations les plus flatteuses. La clarté de l'exposition et la parfaite correction du style font le plus grand honneur à l'école universitaire, d'où est sorti M. Aubé. Nulle part la solidité des études littéraires et philosophiques n'a plus de prix que dans des sujets qui exigent comme celui-ci, à côté de l'impartialité, le degré d'expérience psychologique nécessaire pour savoir reconnaître les illusions auxquelles la piété même est exposée.

Ueber die Gesetze der römischen
Kaiser, von Trajan bis Marc-Aurel,
die Christen und ihre Behandlung bei den
Kirchenschriftstellern, dans les Studien

zur Geschichte der alten Kirche, Heft I, Schloss-Chemnitz, p. 93-157.

Zeitschrift für Kirchengeschichte, premier cahier, p. 141 et suiv.

Dans les premières études que M. Aubé publia sur les persécutions, il penchait un peu trop du côté des solutions négatives. Les légendes qui remplissent les Actes des martyrs, savamment discutées par nos grands critiques du xvII° siècle, avaient produit en général, au dernier siècle et au commencement de celui-ci, une impression défavorable sur les hommes éclairés qui voulaient porter dans les études ecclésiastiques la rigueur et les scrupules de l'érudition classique. Les documents qui étaient d'abord présentés comme les pièces originales des procès des martyrs s'étant trouvés pour la plupart apocryphes; les textes des historiens proprement dits relatifs aux persécutions étant rares et courts; les recueils des lois romaines ne contenant presque rien sur la matière, il était naturel qu'on s'imposât la plus grande réserve. En lisant les premiers essais de M. Aubé, on eût pu être tenté de croire que les persécutions furent en réalité peu de chose, que le nombre des martyrs ne fut pas considérable, et que tout le système de l'histoire ecclésiastique sur ce point n'est qu'une construction artificielle. Peu à peu la lumière s'est faite dans cet esprit juste et sincère; l'étude complète des monuments l'a ramené à l'exacte mesure. Sur un seul point, sur l'authenticité de l'épître de Pline à Trajan relative aux chrétiens, peut-être aussi sur l'authenticité du rescrit d'Adrien à Minicius Fundanus, on retrouve encore la trace des doutes exagérés auxquels il s'abandonna d'abord. Il n'y a dans cette persistance rien de systématique; car, sur d'autres points, en particulier sur la valeur des Actes de saint Justin, on peut trouver que M. Aubé fait à l'opinion traditionnelle de trop grandes

concessions.

Il est incontestable que, si nous étions réduits, pour l'histoire des persécutions, aux Actes des martyrs, le scepticisme aurait pu se donner une libre carrière. La composition des Actes de martyrs devint, à une certaine époque, un genre de littérature religieuse, pour lequel on consulta bien plus l'imagination et une certaine exaltation pieuse que des documents authentiques. Si l'on excepte la lettre relative à la mort de Polycarpe, celle qui contient le récit des héroïques souffrances des martyrs de Lyon, les Actes des martyrs d'Afrique et quelques autres récits empreints du caractère le plus sérieux, il faut avouer que les pièces de ce genre, qu'on a trop facilement qualifiées de sincères, ne sont que des romans pieux. Nous reconnaissons aussi que les historiens de l'empire, sur ce qui regarde les chrétiens comme sur tant d'autres points, sont singulièrement pauvres de détails. Les vrais documents sur les persécutions que l'Église eut à souffrir sont les ouvrages qui composent la littérature chrétienne primitive. Ces ouvrages

n'ont pas besoin d'être des auteurs auxquels on les attribue pour faire autorité dans une pareille question. Le goût pour les suppositions d'écrits de tout genre était si répandu à cette époque, qu'un très-grand nombre des livres qui nous ont été légués par les deux premiers siècles sont d'une attribution incertaine; mais cela n'empêche pas que ces livres sont des miroirs très-exacts du temps où ils ont été composés. La première épître attribuée à saint Pierre, l'Apocalypse de saint Jean, l'épître attribuée à Barnabé, l'épître de Clément Romain, lors même qu'elle ne serait pas de lui, les épîtres totalement ou partiellement apocryphes de saint Ignace et de Polycarpe, les parties des poëmes sibyllins qui appartiennent au 1o et au n° siècle, toutes les pièces originales qui nous ont été conservées par Eusèbe sur les origines du montanisme, les controverses des gnostiques et des montanistes sur le martyre, le Pasteur d'Hermas, les Apologies d'Aristide, de Quadratus, de saint Justin, de Tatien, révèlent à chaque page un état violent, qui pèse sur la pensée de l'écrivain et l'obsède en quelque sorte. De Néron à Commode, sauf de courts intervalles, on dirait que le chrétien vit en ayant toujours devant les yeux la perspective du supplice. Le martyre est la base de l'apologétique chrétienne, le signe de la vérité du christianisme. L'Église orthodoxe seule a des martyrs; les sectes dissidentes, par exemple les montanistes, font d'ardents efforts pour prouver qu'elles ne sont pas privées de ce criterium suprême de vérité. Les gnostiques sont mis au ban de toutes les Églises, surtout parce qu'ils professent l'inutilité du martyre. C'est qu'en effet la persécution, comme le veut Tertullien, était bien alors l'état naturel du chrétien. Les détails des Actes des martyrs peuvent être faux pour la plus grande partie; mais l'effroyable tableau qu'ils déroulent devant nous fut une réalité. On s'est souvent fait de trompeuses images de cette lutte terrible qui a entouré les origines chrétiennes d'une brillante auréole et a imprimé aux plus beaux siècles de l'empire une hideuse tache de sang; on n'en a pas exagéré la gravité. Les persécutions ont été un élément de premier ordre dans la formation de cette grande association d'hommes qui la première fit triompher son droit contre les prétentions tyranniques de l'Etat.

M. Aubé réduit à son véritable caractère la persécution qui porte le nom de Néron. Ce ne fut pas le résultat d'une mesure législative durable; ce fut un acte de brutalité du fou furieux qui gouvernait le monde, un hideux moyen pour détourner de lui l'odieux de l'incendie de Rome. Il ne faut ni grossir l'importance de ce monstrueux épisode, ni chercher à l'amoindrir. Tacite nous en a révélé les horreurs, et, quoique le souvenir direct s'en soit moins conservé chez les chrétiens

qu'on n'aurait dû le croire, l'Apocalypse, maintenant ramenée à sa date et à sa signification véritable, est devenue, pour celui qui sait la lire, le cri d'outre-tombe des victimes de l'an 64. L'épître de Clément Romain bien comprise renferme plus d'un écho des mêmes événements; le Pasteur d'Hermas, quelques poëmes sibyllins, y font également de transparentes allusions.

Tout le monde est d'accord sur ce point que Vespasien et Titus ne montrèrent aucune malveillance contre le christianisme. Vespasien et Titus vivaient entourés de Juifs qui, oublieux de Jérusalem, obtenaient toute la faveur des destructeurs de leur patrie. Tels étaient Tibère Alexandre, Hérode Agrippa II, ses sœurs Drusille et Bérénice, Agrippa fils de Drusille et de Félix, Josèphe. Tout ce monde était loin d'être mal disposé pour le christianisme. L'idée que chacun doit adorer Dieu selon le culte qu'il a choisi, idée jusque-là inouïe à Rome1, gagnait du terrain et servait puissamment à la propagande des cultes monothéistes. Josèphe la proclamait hautement 2. Le judaïsme tel que l'entendait Josèphe se rapprochait par plusieurs côtés du christianisme, surtout du christianisme de saint Paul. Comme Josèphe, la plupart des chrétiens avaient condamné l'insurrection, maudit les zélotes; ils professaient hautement la soumission aux Romains. Comme Josèphe, ils regardaient la partie rituelle de la Loi comme secondaire, et entendaient la filiation d'Abraham dans un sens moral. Bérénice, de son côté, et son frère Agrippa avaient eu pour saint Paul un sentiment de curiosité bienveillante. La société intime de Titus était donc plutôt favorable que défavorable aux disciples de la religion nouvelle. Rappelons que cette famille n'appartenait pas à la haute aristocratie romaine. Elle faisait. partie de ce qu'on peut appeler la bourgeoisie provinciale; elle n'avait pas contre les Juifs et les orientaux en général les préjugés de la noblesse romaine, préjugés qui reprendront tout leur pouvoir avec Nerva, et qui amèneront contre les chrétiens cent ans de persécution presque

continue.

La tolérance de Vespasien et de Titus ne fut pas imitée par leur indigne successeur. Domitien, comme tous les souverains hypocrites, se montrait sévère conservateur des vieux cultes. Le mot d'impietas, surtout à partir de son règne, eut en général une signification politique 3,

1

« Sua cuique civitati religio est, nos tra nobis. »Cicéron, Pro Flacco, 23.) · Δεῖν ἕκαστον ἄνθρωπον κατὰ τὴν ἑαυτοῦ προαίρεσιν τὸν Θεόν εὐσεβεῖν, ἀλλὰ μὴ μετὰ βίας. Vita, 23.

' Pline le Jeune, Épîtres, I, 5. Pietas, dans Quintilien (III, VII, 2), c'est le soin que Domitien a eu d'élever un temple à la gens Flavia. Cf. doebeiz, dans Philostr. Apoll. IV, XLIV, 1.

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