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signer une marche rampante. Le mécanisme grammatical a changé de cette façon en verbes quantité d'appellatifs. Il est intéressant de comparer, à ce point de vue, les langues modernes, par exemple le français, où il subsiste tant de verbes dont les primitifs, autrefois employés, sont sortis de l'usage. Même, il arrive à notre enseignement, quand il néglige la filiation historique, de construire des racines imaginaires et de recommencer, pour une période beaucoup plus récente, le faux raisonnement dont nous parlons. Mais cette fois il est plus facile de mettre le doigt sur l'erreur. Ainsi dans un livre élémentaire d'étymologie française, on groupe les mots comme rouler, roulement, roulage, roulier, rouleau, roulette, roulis, autour d'un radical roul qu'on suppose marquer un mouvement circulaire. Ce prétendu radical roul, comme on sait, n'est autre chose que le substantif latin rotula.

Si l'on est autorisé à penser qu'un bon nombre de substantifs usités à une époque très-reculée, se cachent dans des racines verbales, un plus grand nombre a dû périr après la création du système grammatical. Ce qui caractérise, en effet, ce système, c'est sa grande fécondité : à l'aide des suffixes, une racine verbale met au monde un nombre considérable d'adjectifs et de substantifs qui peuvent, grâce à la répartition et à la fixation du sens, devenir des appellatifs. En outre, dans la conjugaison, l'actif et le moyen permettent d'exprimer la même action sous deux points de vue très-différents. Les particules qu'on adjoint aux verbes en diversifient l'emploi de la façon la plus riche. Les préfixes, notamment les préfixes privatifs, varient le sens des adjectifs. Les monosyllabes appelés au rôle de racines sont donc comme une espèce prolifique et pullulante qui limitait l'espace et entravait l'existence des autres mots, restes de la période anté-grammaticale. Il faut ajouter que les mots nouvellement formés avaient l'avantage de la clarté, puisqu'ils contenaient une racine devenue agissante. On ne sera donc pas étonné que les quatre ou cinq cents racines' qui ont formé les mots nouveaux de notre famille de langues aient pu dévorer, en quelque sorte, ce qui, à côté d'elles, restait de la période antérieure, sauf un certain nombre de mots qui, grâce à des circonstances particulières, ont su se défendre et se maintenir. En effet, si étendue que soit l'influence des révolutions en linguistique, il reste ordinairement quelques témoins de l'âge antérieur :

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Il y en avait probablement un plus grand nombre à l'origine. Mais la lutte pour l'existence, qui est une loi en linguistique comme en histoire naturelle, a

dû en faire disparaître une partie. Je rappelle ce que j'ai dit, au commencement de ce travail, de certains mots comme agni, feu; garu, lourd.

tous les anciens appellatifs n'ont sans doute pas été changés en racines verbales ni effacés de la mémoire des hommes. Je prends, par exemple, le mot ap ou áp qui désigne l'eau; comme il n'existe pas de racine verbale qui puisse expliquer ce substantif, on doit croire que nous avons ici le représentant plus ou moins altéré d'un ancien nom; on en peut dire autant pour ghmă, la terre. Il est possible qu'une partie des mots que nous avons cités en commençant, comme nar, l'homme; rā, la propriété, soient des appellatifs déjà employés comme tels dans la période monosyllabique.

Quant aux ressources de grammaire et de syntaxe qui ont pu être en usage dans cette période reculée, elles ont dû se perdre quand notre système grammatical s'est créé. Il y a place ici pour toutes les hypothèses, depuis celle d'une langue à modulations, comme le chinois ou le siamois, jusqu'à celle d'une langue polysynthétique comme les idiomes américains. Certains phénomènes de changement de voyelle, comme ce que nous observons dans les pronoms na, ni, nu; dva, dvi; ka, ki, ka; ta, ti, pourraient donner lieu à d'autres hypothèses et faire chercher des affinités avec d'autres familles d'idiomes. Mais c'est là un domaine trop évidemment voué aux conceptions de l'imagination pour que nous y arrêtions le lecteur. Nous voulons seulement faire observer qu'il serait hardi d'affirmer, comme le fait par exemple M. Curtius, qu'aucune grammaire n'existait dans l'âge monosyllabique, et que l'esprit devait suppléer les idées de subordination et de rapport qu'avaient entre eux ces mots invariables.

Nous bornons ici ces considérations, qui ont été suggérées par la lecture d'un certain nombre d'ouvrages où les enseignements nouveaux fournis par la grammaire comparée nous paraissent avoir conduit à des conclusions excessives. Une appréciation plus vraie doit à la fois étendre notre horizon intellectuel et limiter notre ambition philologique. La création du système grammatical dont nous nous servons fut une révolution qui plia à des usages nouveaux la matière transmise par des âges antérieurs. S'il est impossible de dire ce qui précéda, on peut, du moins, affirmer que de longs siècles de parole se trouvent par delà notre horizon linguistique. Il n'y a aucune information directe à tirer des racines pour la question de l'origine du langage1. Si c'est une entreprise vaine de chercher dans ces syllabes une imitation des bruits de la nature, il n'est pas

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J'ai déjà indiqué ces idées à propos d'un travail de M. Frédéric Müller, dans la Revue critique du 18 mai 1872. On

trouvera quelques aperçus d'une grande pénétration dans un article de M. Benfey, Orient und Occident, II, p. 744.

moins déplacé de triompher parce que ces racines ne sont pas des onomatopées, ou de développer des considérations sur la grandeur de l'intelligence humaine, parce que la plupart des racines expriment des idées verbales. Les premiers balbutiements de l'homme n'ont rien de commun avec des types phonétiques aussi arrêtés dans leur forme et aussi abstraits dans leur signification que dha, poser; vid, voir, savoir; man, penser. L'erreur serait à peu près la même que si l'on voulait présenter les anciennes monnaies grecques, d'un art déjà si avancé, comme le premier moyen d'échange inventé par les hommes.

Il est dans la nature des sciences d'observation de devenir tous les jours plus exigeantes pour elles-mêmes. Nous apercevons des difficultés là où n'en voyaient point nos devanciers nous distinguons des séries successives de faits là où tout leur semblait du même temps. Loin de rien prouver contre la solidité d'un ordre d'études, cette révision de la science montre qu'elle est en progrès. C'est faire un pas dans la voie de la précision, que d'apprendre jusqu'où s'étend et où finit le champ de notre regard. Même les exagérations passagères ne sont pas inutiles: elles provoquent la contradiction et elles laissent voir les côtés faibles d'un système. Celui qui redresse une erreur doit ordinairement cet avantage au travail d'une génération qui a perfectionné les instruments et accru de faits nouveaux notre expérience.

MICHEL BRÉAL.

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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

INSTITUT NATIONAL DE FRANCE.

SÉANCE PUBLIQUE DES CINQ ACADÉMIES.

La séance publique annuelle des cinq Académies de l'Institut a eu lieu le mercredi 25 octobre 1876, sous la présidence de M. Bersot, président de l'Académie des sciences morales et politiques, assisté de MM. C. Doucet, de Wailly, vice-amiral Paris, Meissonier, délégués des Académies française, des inscriptions et belleslettres, des sciences et des beaux-arts, et de M. Mignet, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morales et politiques, secrétaire actuel du bureau de l'Institut.

Après un discours du président, il a été donné lecture du rapport sur le concours de 1876 pour le prix de linguistique fondé par M. de Volney.

La Commission a décerné ce prix à M. Robert-Cæsar Childers, auteur de l'ouvrage intitulé: A Dictionary of the pali language (London, 1875, in-4°), et elle a accordé deux médailles de 300 francs chacune, l'une à M. J. G. ouvrages sur diverses langues de l'Afrique occidentale, l'autre à M. Pimentel pour Christaller pour ses trois son Cuadro descriptivo y comparativo de las lenguas indigenas de Mexico, o tratado de filologia mexicana (Mexico, 1875, in-8°).

La séance s'est terminée par la lecture des quatre morceaux suivants :

Les racines des langues indo-européennes, par M. Bréal, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres; Un libre penseur dans le grand monde, par M. Cuvillier Fleury, de l'Académie française; La première contestation entre les académiciens envoyés au Pérou dans le XVIII' siècle, pour les opérations relatives à la détermination de la figure de la terre, par M. de la Gournerie, de l'Académie des sciences; Les portraits de Raphaël par lui-même, par M. Gruyer, de l'Académie des beaux-arts.

ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES.

M. Georges Pertz, de Berlin, associé étranger de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, est décédé à Munich.

ACADÉMIE DES SCIENCES.

M. Charles Sainte-Claire Deville, membre de l'Académie des sciences, est décédé à Paris le 10 octobre.

ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS.

L'Académie des beaux-arts a tenu, le samedi 28 octobre, sa séance publique annuelle sous la présidence de M. Meissonier.

Après l'exécution de la scène lyrique qui a remporté le second premier grand prix de composition musicale, la séance s'est ouverte par un discours du président, qui a été suivi de la proclamation des prix décernés.

Grands prix de peinture.

་ d'Hector.

Sujet du concours : « Priam demandant le corps

Premier grand prix : M. Wencker (Joseph), né à Strasbourg le 3 novembre 1848, élève de M. Gérôme. - Second grand prix: M. Dagnan (Jean-Adolphe-Pascal), né à Paris le 7 janvier 1852, élève de M. Gérôme.

Sculpture. - Sujet du concours : Jason enlevant la Toison d'or. »

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Premier grand prix : M. Lanson (Alfred-Désiré), né à Orléans le 11 mars 1851, élève de MM. Jouffroy et Aimé Millet. Premier second grand prix : M. Boucher (Alfred), né à Bouy-sur Orvin (Aube), le 23 septembre 1850.-Deuxième second grand prix M. Turcan (Jean), né à Arles le 12 septembre 1846, élève de M. Cavelier.

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Sujet du concours : «Un palais des Arts. »

Premier grand prix: M. Blondel (Paul), né à Belleville (Seine), le 8 janvier 1847, élève de M. Daumet. — Premier second grand prix : M. Bernard (Marie-Joseph-Cassien), né à la Mure (Isère), le 14 octobre 1848, élève de MM. Questel et Pascal. Deuxième second grand prix: M. Roussi (Charles-Georges), né à Paris le 2 août 1847, élève de M. Guénepin.

Gravure en taille-douce. - Grand prix : M. Boisson (Louis-Léon), né à Nîmes l 2 octobre 1854, élève de M. Henriquel.

Mention honorable. M. Rabouillé (Edmond-Achille), né à Paris le 3 janvie 1851, élève de M. Henriquel.

Composition musicale.

a intitulée Judith. »

Sujet du concours: «Une cantate à trois personnages.

Premier grand prix M. Hillemacher (Paul-Joseph-Wilhelm), né à Paris le 25 novembre 1852, élève de M. François Bazin; deuxième premier grand prix, M. Véronge de la Nux (Paul), né à Fontainebleau le 29 juin 1853, élève de M. François Bazin; premier second grand prix, M. Dutacq (Amédée-Jean), né à Neuilly (Seine), le 18 juillet 1848, élève de M. Reber; deuxième second grand prix: M. Rousseau (Samuel-Alexandre), né à Neuve-Maison (Aisne), le 11 juin 1853, élève de M. François

Bazin.

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