Page images
PDF
EPUB

Lib.comm. Champion 10-17-23

JOURNAL

DES SAVANTS.

JANVIER 1876.

HISTOIRE DE L'OPÉRA EN FRANCE.

[ocr errors]

Histoire de la musique dramatique en France depuis ses origines jusqu'à nos jours, par Gustave Chouquet; ouvrage couronné par l'Institut. 1 vol. grand in-8° de xv-448 pages. Firmin Didot frères, Paris, 1873. OEuvres complètes du trouvère Adam de la Halle, poésie et musique, publiées sous les auspices de la Société des sciences, des lettres et des arts de Lille, par E. de Coussemaker, correspondant de l'Institut. 1 vol. in-4° de LXXIV-440 pages. A. Durand et Pedone-Lauriel. Paris, 1872. Biographie universelle des Musiciens et Bibliographie générale de la Musique; 2o édition, entièrement refondue et augmentée de plus de moitié, par F. J. Fétis, maître de chapelle du Roi des Belges, directeur du Conservatoire de musique de Bruxelles. 8 volumes grand in-8° avec une préface de xxxvII pages; Paris, Firmin Didot, 1868-1875.

[ocr errors]

TROISIÈME ARTICLE 1.

[ocr errors]

Quiconque a suivi les laborieuses transformations du drame reli«<gieux en opéra moderne, dit M. G. Chouquet, admirera tou

Voir, pour le premier article, le cahier de novembre 1875, p. 671-688, et,

pour le second article, le cahier de décembre, p. 725-733.

[ocr errors]
[ocr errors]

«jours le génie musical et scénique de Lulli, et, ainsi que nous, pro<«< clamera ce maître le véritable fondateur de notre tragédie lyrique'. Un peu auparavant, M. G. Chouquet avait écrit : « N'est-ce point l'intelligence qui enseigne l'ordre et l'harmonie des proportions, la mesure « et la clarté, le goût et la raison? Ces hautes qualités qui distinguent <<< notre littérature, nous sommes appelés à les retrouver dans la musique « dramatique de notre pays 2. » Et en effet, le savant historien de l'opéra reconnaît et signale ces qualités dans les œuvres de Lulli. C'est donc un Italien, un Florentin, qui a été le véritable fondateur de notre tragédie lyrique; c'est un Italien qui a le premier, à un haut degré, imprimé à la musique dramatique son caractère français; et c'est en France que s'est opérée la première conciliation des deux génies lyriques.

Le fait est d'autant plus digne de remarque, qu'il se reproduira encore dans la suite des temps. M. G. Chouquet l'a parfaitement aperçu. L'a-t-il aussi bien expliqué? Il nous avait promis de montrer toujours, chemin faisant, la théorie se dégageant de l'exposition historique. Il tient parole le plus souvent, excepté cependant sur un point qu'il laisse enveloppé dans son véridique récit plutôt qu'il ne le met en évidence. Ce point, très-important à notre avis, c'est que l'accord entre l'esprit italien et l'esprit français dans l'opéra a été surtout le résultat d'un règlement d'intérêts, d'une sorte de concordat, où les droits respectifs de la musique et de la poésie ont été stipulés, non peut-être par écrit, mais très-explicitement. Aussi longtemps que l'une des deux parties contractantes a eu des prétentions exagérées, ou n'a pas fourni son apport tout entier, l'opéra n'a pas paru sous sa forme vraie. Au contraire, du jour où un homme a été assez puissant pour tracer aux deux arts associés et rivaux leur rôle et leurs limites, l'opéra français s'est montré dans sa première, je ne dis pas dans sa plus haute perfection.

Lulli a été cet homme. Qu'un Italien ait défendu et fait prévaloir les droits de la musique, rien de plus naturel; mais qu'il ne les ait point exagérés, et que, loin de là, il n'ait demandé à la poésie que les sacrifices nécessaires à la clarté, à l'expression, à la vérité dramatique, voilà qui est plus méritoire et qui suppose ou bien une rare justesse d'esprit, ou une éducation particulière, ou probablement les deux choses à la fois.

Lulli a opéré une réforme musicale: on en tombe d'accord. Le caractère de cette réforme, c'est moins l'invention de nouveaux et puis

1

Histoire de la musique dramatique en
France, p. 106.

• Histoire de la musique dramatique en France, p. 91.

sants moyens d'expression, que l'habile conciliation d'éléments poétiques et musicaux déjà connus. Tel est le fait. Quant aux causes principales du fait, ce sont, à notre avis, d'abord l'éducation essentiellement française que le génic de Lulli a reçue chez nous, et, en second lieu, l'emploi très-conscient, très-volontaire, que ce maître a fait de ses dons, en vue d'organiser le drame lyrique et de l'élever à toute la perfection qu'il comportait alors.

Sur le fait lui-même et sur les deux causes principales du fait, nous sommes obligé de mêler quelques réserves aux éloges que mérite le savant travail de M. G. Chouquet.

Il est bon, sans doute, de ne pas tout dire au lecteur, de lui laisser le plaisir de tirer les conséquences ou de remonter aux principes des faits exposés. Cependant ce plaisir est plus senti et coûte moins de peine lorsque les détails, sans être artificiellement arrangés, sont groupés par l'auteur de manière à s'expliquer comme d'eux-mêmes. N'étaitil pas utile de dire en quel état se trouvait l'opéra français lorsque Lulli entreprit de le réformer, et de montrer en quelques pages quels étaient les défauts communs aux drames lyriques des contemporains de ce maître? Il y a là une source de lumière pour la critique.

De l'histoire du théâtre musical en France au xvII° siècle, avant les grands succès de Lulli, il résulte en effet que les œuvres de ses rivaux manquaient plus ou moins de signification, de proportion, d'unité, d'équilibre entre le chant et les paroles. Les chanteurs et les baladins italiens que Mazarin appelait à Paris pour divertir Anne d'Autriche, jouaient des comédies lyriques d'une longueur démesurée, qui ne disaient rien à l'âme. Les gens de goût en étaient peu charmés, et Mme de Motteville traduisait leur impression aussi bien que la sienne propre quand elle écrivait: «Ceux qui s'y connaissent estiment fort les Italiens; pour <«<moi je trouve que la longueur du spectacle diminue fort le plaisir, et« que les vers naïvement répétés représentent plus aisément la conver<«<sation et touchent plus les esprits que le chant ne délecte les oreilles. » C'est que les poëmes des Italiens étaient encore trop pauvres pour nourrir le chant et le rendre expressif. D'autre part, la passion des ballets, très-vive chez nous en tout temps, faisait que l'on se contentait de danses, de décors, de machines, et que l'importance du chant et de l'orchestre ne croissait qu'avec lenteur. Enfin, parmi les œuvres musicales qui ont marqué entre l'année 1645 et l'année 1672, il n'en est pas une seule qui ait réuni les conditions essentielles d'un opéra. Chez l'une, le poëme a de l'intérêt, mais la musique est insignifiante; chez telle autre, les chants ont de la valeur, mais le drame est détestable. En 1647, une

troupe de chanteurs, recrutés à Rome, exécute à Paris une tragi-comédie intitulée Orfeo. Mme de Motteville est satisfaite cette fois et déclare que cette comédie fut belle. C'était, dit-on, un opéra véritable. De qui en est la musique? personne ne le sait; était-elle remarquable? personne ne le dit. En 1650, on joue l'Andromède; les vers sont de Pierre Corneille; ils enchantent tout le monde; la musique est de d'Assoucy, poëte burlesque, chanteur et compositeur; de cette musique on ne parle pas. Chassés par les troubles de la Fronde, les comédiens italiens reviennent à Paris en 1654. On comprend mieux désormais combien leurs pièces sont mal ordonnées; on aspire à en entendre de meilleures. Benserade en imagine de spirituelles, et Lulli, en 1658, a l'heureuse chance de composer en grande partie la musique d'Alcidiane, ballet écrit par ce poëte. Cependant, si l'art de combiner les éléments divers de l'opéra se débrouillait un peu, ce n'était pas sans peine. Le Xerxès de Francesco Cavalli en est une preuve. Cet ouvrage fut exécuté au Louvre, en 1660, pour fêter le mariage de Louis XIV. Le maître vénitien était venu lui-même monter son opéra à Paris. A ce moment, Cavalli était le premier des musiciens dramatiques. Les airs des ballets intercalés dans la pièce avaient été écrits sous les yeux de Cavalli par Lulli. Et pourtant le Xerxès ne réussit pas. Faut-il s'en étonner? Six intermèdes allongeaient outre mesure le spectacle, qui dura huit heures on y voyait à côté de Xerxès et de la fille du roi d'Abydos, des paysans basques, des danseurs espagnols, Scaramouche et Polichinelle, des matelots débarquant une cargaison de singes, des matassins, et enfin Bacchus avec son cortège de satyres et de bacchantes. Quelle musique n'eût succombé sous le poids de ce fatras scénique? Les faits que nous venons de résumer sont dans le livre de M. Chouquet; mais l'importance n'en est pas rendue assez frappante. J'en dirai autant des

suivants.

La tâche que Lulli devait accomplir avait été beaucoup mieux préparée par quelques hommes dont la rivalité lui fut un moment redoutable. Dès 1659, l'organiste Cambert, homme de talent, avait fait représenter la première comédie française en musique intitulée la Pastorale, dont il avait composé les chants sur des paroles de l'abbé Pierre Perrin. Donnée au château d'Issy, dans une salle basse que M. de la Haye avait mise à la disposition de Cambert, son protégé, cette pièce avait si bien réussi, qu'on dut la chanter huit ou dix fois en peu de temps. Le succès de la Pastorale créa entre Cambert et l'abbé P. Perrin des relations qui tournèrent au profit de l'art. Ils s'empressèrent de préparer deux ouvrages, l'un qui avait pour titre Ariane ou le mariage de

« PreviousContinue »