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tion perd de son importance. La divergence que M. Lecomte relève entre les deux dates peut être le fait du copiste du xe siècle, peu familiarisé avec la cursive mérovingienne surchargée de ligatures et, dans les formules de datation, souvent abrégée; la lecture pouvait être rendue plus difficile encore par suite du mauvais état de l'original, qu'on était obligé de refaire. Les nombreuses fautes de rédaction imputables au prétendu original légitiment notre manière de voir. Les mots « septimo kl. nov. » auraient été interprétés « septimo id. oct. » L'hypothèse n'a rien que de vraisemblable, le chiffre sept étant le même dans les deux dates'. Si l'on admet cette hypothèse, l'objection tirée de la novelle de Théodose ne subsiste plus, et cette objection était la seule qui eût quelque poids.

Une rédaction

Le style, dit M. Lecomte, n'est pas mérovingien: du vir siècle n'y est pas caractérisée; » on y trouve, en effet, l'emploi suspect du mot mansus, qui est de l'époque carolingienne, et celui du mot sacerdos, détourné du sens qu'il avait au vire siècle. M. Lecomte est-il bien certain que le style ne soit pas mérovingien? Les preuves qu'il donne à l'appui de sa thèse sont bien faibles. L'emploi du mot mansus n'est pas suspect. M. Lecomte a eu grand tort d'accepter sans contrôle l'affirmation de Julien Havet; si notre très regretté confrère a proclamé que ce mot était carolingien, c'est qu'il n'en avait pas trouvé dans du Cange et dans Forcellini d'autre exemple, pour l'époque mérovingienne, que celui tiré du testament de Perpétue, dont la fausseté lui paraissait évidente 2. Julien Havet se trompait. Mon ami et confrère

1. Le 7 des kalendes de novembre de la cinquième année du règne de Dagobert doit se lire le 26 octobre 627. M. Lecomte a bien fixé la date d'année, mais il s'est trompé dans le calcul des kalendes (il a traduit : 25 octobre), alors que Bréquigny lui fournissait le bon quantième du mois. Qu'il me soit en outre permis de faire ici une remarque, à mes yeux importante. M. Lecomte, imitant Julien Havet, ajoute au quantième du mois le jour de la semaine sans prévenir qu'ainsi il interprète la date du document; l'acte ne dit pas mercredi 7 des kalendes de novembre, puisque le 26 octobre était un lundi et non un mercredi. M. Lecomte a d'ailleurs commis une erreur : le 25 octobre était un dimanche; c'est le 25 novembre qui tombait un mercredi. Il faut, je crois, s'en tenir strictement à la date telle que la fournit le texte et n'y rien ajouter.

M. Lecomte soulève ici une question connexe saint Faron et Chagnoald, qui étaient respectivement évêque de Meaux et évêque de Laon, ne sont pas qualifiés évêques dans le testament. La chronologie des listes épiscopales ne nous permet pas d'affirmer qu'en 627 Burgundofaro fût déjà évêque de Meaux; d'autre part, l'identification de Chagnoald et de Chagnulfus est-elle donc tellement évidente que ce soit là une raison de douter de l'authenticité du document? Les identifications de personnages sont très problématiques le plus souvent, et c'est ici le cas de se montrer prudent.

2. La critique diplomatique n'a pas dit son dernier mot sur ce célèbre testa

M. Prou attirait mon attention sur le mot mansus et m'en signalait quelques exemples, entre autres deux pris dans le testament de Leodebodus, dont M. Prou, dans une étude encore manuscrite, a démontré l'authenticité (qu'il me pardonne cette indiscrétion), et dans la charte de Leotheria pour l'église de Sens. On en pourrait citer d'autres exemples; je me contenterai d'y ajouter celui-ci : j'ai particulièrement noté le mot mansus dans un fragment de charte, la donation faite par l'abbé Ado au monastère de Saint-Remi, au mois d'avril 715-716. Cette charte, que Mabillon transcrivit d'après l'original très mutilé, est au-dessus de tout soupçon'. Le mot mansus est bien mérovingien. Il est très imprudent d'affirmer que tel ou tel mot n'est pas de l'époque mérovingienne : les pertes de documents ont été trop nombreuses pour que nous puissions dresser un vocabulaire ne varietur de la langue mérovingienne. De même ne devons-nous pas affirmer qu'un mot n'avait pas le sens que nous lui trouverions dans un document qui se donnerait pour mérovingien et encore moins nous servir de cette affirmation pour condamner ensuite ce document. M. Lecomte croit que le mot sacerdos au vire siècle « désigne un chanoine ou même un évêque plutôt qu'un curé de paroisse, constamment appelé capellanus. » Qu'il me permette de lui dire que le mot sacerdos, qui s'applique en effet très souvent aux évêques, désigne aussi fréquemment tous les membres du clergé qui ont reçu les ordres majeurs. Or, pourquoi M. Lecomte veut-il que dans le testament de Burgundofara ce mot ne désigne que les chanoines, alors que nous ne connaissons pas les souscripteurs du testament, qui pouvaient être même des évêques. En conséquence, pourquoi les mots sacerdotibus ac saecularibus viris paraissent-ils moins s'appliquer ‹ à l'état primitif du monastère qu'à la situation datant du IXe siècle?» Et maintenant dirons-nous que le style du testament est mérovingien? Pas encore. Ce qui donne au style des actes mérovingiens son tour spécial, c'est l'emploi de la prose métrique. M. Lecomte, qui a invoqué l'autorité de J. Havet si malheureusement, aurait dû s'inspirer des derniers travaux de cet éminent diplomatiste : l'une des principales trouvailles de J. Havet a été d'introduire dans la critique diplomatique cet élément nouveau. Les testaments sont les actes où la prose métrique trouve le plus difficilement son emploi ; cependant, le testament de Burgundofara nous fournit quelques exemples de fins de phrase rythmiques. Le passage qui commence par les mots Invoco Domini majestatem et finit à consistat nous donne trois des types licites dont J. Havet a dressé le tableau. Le doute n'est donc plus possible le style est bien mérovingien.

ment. La démonstration de Julien Havet est loin d'être convaincante, comme je le montrerai prochainement.

1. Pardessus, Diplomata, Chartae..., t. II, p. 300-301, no 492.

La langue ne serait pas non plus mérovingienne. « Quant à la langue, il faut remarquer que les formes Eboriacum, Cavaniacus, Parisiaco n'ont pas la physionomie que présentent les mots en i-acus à l'époque mérovingienne. La forme Briegium a plutôt l'aspect des formes refaites en France depuis le xre siècle, lorsque le latin fut devenu langue morte »> (p. 8). J'avoue que je ne saisis pas la pensée de M. Lecomte. Peut-être n'ai-je pas des lumières philologiques suffisantes! Mais, quand je compare ces formes Eboriacum, Cavaniacus et Parisiaco à celles d'autres noms en iacus que je trouve dans des textes mérovingiens, comme par exemple les diplômes de Clovis II et de Clotaire III, dont les originaux sont aujourd'hui aux Archives nationales', je ne vois pas en quoi la physionomie des mots en iacus du testament de Burgundofara n'est pas aussi mérovingienne que celle des mots en iacus de ces diplômes originaux. Quant à la forme Briegium, qui serait du xre siècle, je n'oserai pas encore contredire M. Lecomte. Je lui ferai toutefois remarquer qu'on trouve cette forme Briegium dans une charte de Pépin le Bref, maire du palais, dont l'original est aux Archives nationales et dont l'authenticité ne me paraît pas douteuse 2: on a daté cette charte approximativement de 751. Voici donc que nous rencontrons cette prétendue forme du xre siècle vers le milieu du vie. Il faudrait d'ailleurs examiner si, le latin étant langue morte au XIe siècle, comme le veut M. Lecomte, on eût formé sur le vocable français Brie le mot latin Briegium; cela paraît de prime abord assez peu vraisemblable. Enfin, en admettant même que M. Lecomte ait raison, et pour les formes en iacus et pour la forme Briegium, ce qui est très douteux, ces rajeunissements ne sauraient-ils être imputables au scribe du xie siècle? Dans quantité d'actes, on constate que les copistes ont pris des libertés avec les formes archaïques du texte, et cependant l'authenticité de ces actes n'est pas contestée. L'objection de M. Lecomte n'aurait de valeur que si nous possédions l'original; mais nous savons que tel n'est pas le cas. Cette observation s'appliquerait à la forme, rajeunie d'après M. Lecomte, pagus Aliodrensis, bien que là encore je ne sois pas absolument convaincu que la forme Albioderum (Augers) soit exclusivement mérovingienne et la forme Aliodrum exclusivement carolingienne. Je me demande en outre si le pagus d'Augers, signalé pour la première fois par M. Lecomte, existait encore au ixe siècle et si un moine du xe siècle, incapable, selon l'opinion de M. Lecomte, de retrouver la vraie forme latine de Brie, eût été capable de retrouver la vraie forme latine d'Augers, qui avait cessé d'être chef-lieu de pagus? Ne faut-il pas penser bien plutôt que Aliodrum a une physionomie mérovingienne, pour parler comme M. Lecomte?

1. Ibid., t. II, p. 98, 104 et 109.

2. Ibid., t. II, p. 418.

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Enfin, « Hildegaire, évêque de Meaux (853-873?), biographe de saint Faron, parait bien n'avoir pas connu le testament de Fare. Aucune mention ne s'en trouve chez lui; il n'y fait aucune allusion. » Qu'est-ce que prouve ce dernier argument contre l'authenticité du testament? Si le biographe n'a pas parlé du testament de Burgundofara, cela n'implique pas nécessairement qu'il ne l'a pas connu, et, quand même il ne l'aurait pas connu, nous n'en conclurons jamais que le testament est un faux, mais bien qu'Hildegaire était mal informé (supposition qui n'est pas invraisemblable) ou simplement qu'ayant à parler de saint Faron, il n'avait pas cru devoir s'occuper des actions de sa sœur.

Après examen des critiques adressées au testament de Burgundofara, je ne saurais conclure dans le même sens que M. Lecomte et condamner un acte en faveur duquel nous pouvons donner quelques arguments solides; le testament de Burgundofara offre un exemple remarquable d'institution régulière, comme le reconnait M. Lecomte; les legs et les affranchissements sont donc, en vertu de la loi romaine, bons et valables. Burgundofara, pour que son testament soit inattaquable, invoque les prescriptions du droit civil et prétorien, comme on avait accoutumé de le faire. Dans le préambule, Burgundofara parle du jour de sa mort et du jour du jugement en vue duquel elle a voulu par son testament obtenir l'absolution de ses péchés, et c'est là, nous le savons, par de multiples exemples, l'une des préoccupations qui ont le plus souvent hanté les auteurs des testaments. Enfin, l'acte se termine par des clauses comminatoires où M. Lecomte inclinerait volontiers à voir une influence carolingienne, bien qu'il ne veuille pas tirer de la similitude d'un acte de 943 et de la charte de Burgundofara un « argument décisif » contre l'authenticité du testament. Qu'on juge de la similitude : « Habeaturque extraneus a limine omnium ecclesiarum Dei» (testament de Burgundofara); « A conventu omnium christianorum vel liminibus ecclesiarum extraneus habeatur » (donation en faveur de saint Denis, août 943). Nous, nous voyons au contraire dans ces clauses, par la comparaison de notre document avec le testament de SaintYrieix (1er novembre 572), avec le testament de Bertran, évêque du Mans, et le testament original de N., fils d'Idda (690), actuellement aux Archives nationales, avec une formule de Marculfe, que M. Lecomte cite lui-même, les habitudes et les formules mérovingiennes.

D

Après l'étude de M. Lecomte et jusqu'à plus ample informé, nous devons, je crois, continuer de considérer le testament de Burgundofara comme authentique.

Léon LEVILLain.

L'Estoire de la Guerre sainte. Histoire en vers de la troisième croisade (1190-1192), par AMBROISE, publiée et traduite d'après le manuscrit unique du Vatican et accompagnée d'une Introduction, d'un Glossaire et d'une Table des noms propres, par Gaston PARIS. Paris, Leroux, 1897. In-4", xc-593 pages. (Documents inédits sur l'Histoire de France.)

L'Estoire de la Guerre sainte est le récit, en 13,000 et quelques centaines de vers octosyllabiques, de la croisade de Richard Coeur-de-Lion. L'auteur, Ambroise, nous est inconnu par ailleurs; mais de la lecture du poème on peut induire quelques renseignements sur sa personnalité et sur la façon dont il conçut son œuvre. Il était Normand, très probablement d'Évreux ou des environs, sujet par conséquent de Richard. Il suivit son roi en Terre-Sainte, non comme combattant ni comme clerc : il était jongleur, selon toute vraisemblance, et s'était proposé d'écrire l'histoire de l'expédition. Il dut prendre des notes pendant tout le temps qu'il fut absent de chez lui, comme on le voit par l'exactitude des dates, qu'il rapporte presque toujours minutieusement; c'est à Acre même qu'il recueillit les renseignements qu'il donne sur l'histoire antérieure de la Terre-Sainte, qu'il connut un journal du siège jusqu'à l'arrivée des rois de France et d'Angleterre, et qu'il lut le catalogue, dressé par un bon clerc, des croisés de marque morts devant la ville depuis le commencement jusqu'à la fin du siège. » A son retour d'Orient, il écrivit, à la gloire de Richard, à la défense de la croisade et surtout pour faire œuvre de sa profession, son poème, qu'il destinait à être récité en public.

Il n'existe de l'ouvrage d'Ambroise qu'un seul manuscrit, de la fin du XIIIe siècle, conservé au Vatican dans le fonds de la reine Christine. Cette copie a été faite en Angleterre par un scribe qui a souvent altéré la mesure ou la rime des vers, voire même le sens. L'éditeur a reproduit ce manuscrit en se contentant d'y introduire, avec beaucoup de réserve, les modifications exigées par la mesure, la rime ou le sens. Le texte, restitué dans la langue même de l'auteur, avec une graphie constante, aurait été d'une lecture plus facile, mais cette restitution comportait trop d'arbitraire, et M. Paris y a renoncé.

Une étude minutieuse (p. XIII-L) de la langue du poète, distinguée de celle du scribe, confirme les conjectures que j'ai résumées ci-dessus relatives à la patrie d'Ambroise. Mais c'est là son moindre intérêt. Pour les philologues, elle a surtout le mérite de faire connaître la langue d'une région bien déterminée (environs d'Évreux) à une date sûre (vers 1196). Cette langue « était très voisine du français de France proprement dit, et le poème d'Ambroise peut être regardé comme un des documents les plus anciens de ce parler, qui est devenu notre langue littéraire. »

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