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En suite de ces vues, l'établissement des aliénés vient d'être transféré à Montdevergues, qui est situé à cinq kilomètres d'Avignon. (P. 424.)

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Malgré les quelques imperfections, purement topographiques, de l'ancien hospice des insensés à Avignon, et sans méconnaître les efforts faits pour élever au sein d'une belle campagne un grand asile départemental d'aliénés, il n'en faut pas moins proclamer bien haut que les Pénitents de la Miséricorde ont, jusqu'à la révolution, assisté avec autant de bonheur que de dévouement les fous confiés à leurs soins. J'arrêterai l'attention des lecteurs de l'Art médical sur cette nouvelle forme de la charité venant au secours des aliénés. Jusqu'à présent, nous avons vu l'Église assister les fous par ses prêtres à SaintVrain, à Bonnet (1); par ses religieux, à Saint-Lazare, à Malte (2), à Charenton (3); par ses religieuses, aux PetitesMaisons (4); par une population chrétienne et avec la puis

(1) De tout temps on a conduit dans l'église de Castel-Sarrasin, petite ville du Languedoc, des fous pour y être guéris par les desservants de cette église.» (Esquirol, Mal. ment., t. II, p. 434.)

(2) Sur l'hôpital et sur les aliénés de Malte, cfr. Th. Bartholin, Epist. med., cent. I, lettre 53, t. I, p. 226; Moreri, Dict., t. IV, p. 837; - Daquin, Philos. de la folie, p. 19; Larrey, Mém. de chir. mil., t. I, p. 186; Coste, Dict. des sc. med., t. XXI, p. 417; M. Moreau (de Tours), Rech. sur les aliénés en Orient: Ann. méd. psych., janvier 1843, t. I; M. Honoré Aubanel, Notice sur les aliénés de Malte. Ibid., 1844. »

(3) « En 1207 ou 1209, fut fondé à Paris le couvent pour la rédemption des captifs. Saint Mathurin, patron de ce couvent, jouissait, longtemps avant cette époque, d'une grande renommée pour la guérison des fous. » (Esquirol, t. II, p. 434.)

(4) Aux Petites-Maisons, les Filles de la Charité, servantes des pauvres malades, instituées par saint Vincent de Paul, dit Abelly (Vie de saint Vincent de Paul, t. II, p. 33), ont soin de la nourriture, entretien et netteté des pauvres aliénés d'esprit qui y sont en grand nombre, de l'un et de l'autre sexe, qu'elles servent tant en santé qu'en maladie, et traitent avec une grande douceur et charité. MM. les administrateurs de cet hôpital ont rendu témoignage que ces bonnes filles avaient retranché quantité de désordres qui allaient à l'offense de Dieu, à la ruine des biens de la maison, et à l'altération de ces pauvres insensés; en sorte qu'on a été très-édifié et satisfait de leur conduite. » — Gui Patin va nous fournir son témoignage. - «Un de nos médecins, écrivait-il de Paris le 10 août 1671, M. de Launay, âgé de 74 ans, est tombé en enfance; son fils unique, avocat célèbre, a été conseillé de faire une assemblée de parents, et par autorité de juges, il l'a fait mener à Saint-Lazare, où on a coutume de mettre de telles gens; il y a été gardé quelque temps, et enfin, le mal augmentant, on l'a mis où sont les fous, savoir dans les Petites-Maisons du faubourg Saint-Germain. » (Lettres, éd. Reveillé-Parise, t. III, p. 783-84.)

sante intercession de sainte Nymphna, à Gheel en Belgique. -L'histoire nous montre une confrérie de bourgeois chrétiens chargés du soin des fous. Les formes de la charité ont varié à l'égard de ces infortunés malades; mais sous la féconde impulsion de l'Église, la charité a montré la voie à la civilisation ou plutôt l'a enfantée.

Le sceptique Sprengel fournit lui-même un fait à l'appui de ma thèse quand il dit, avec Moehsen, qu'après la réformation, on vit cesser les pèlerinages qui, dans les pays catholiques, guérissaient une foule d'hommes mélancoliques et de femmes hystériques. (Hist. de la Méd., t. III, p. 233.)

Un doyen de la Faculté de médecine de l'Université de Paris, Guillaume Du Val, donne (1) la liste des saints qui guérissent les malades atteints de certaines maladies, et nomme saint Mathurin, saint Nazaire et saint Deipna comme étant les saints qui procurent la guérison de la manie et de la démence. Mais tout en confessant cette thérapeutique surnaturelle (2), Du Val, qui donnait l'exemple d'une heureuse association de la piété et de l'érudition, et faisait marcher parallèlement la thé rapeutique naturelle et la thérapeutique surnaturelle, restait docile aux enseignements de l'Église, et proscrivait tout ce que la superstition (3) a pu suggérer aux hommes pour le prétendu traitement des maladies. La profession de foi de G. Du Val est trop belle, le livre qui la contient est trop rare pour que je ne croie pas devoir la mettre sous les yeux du lecteur.

« Ut autem hoc loco mentem fidemque meam candidè aperiam, verbis quæ in aurem insusurrantur, aut quovis modo pronuntiantur, ut et inscriptis periammatis, sive amuletis, graphidibus, sigillis, characteribus, schedulis, funiculis humano corpori illigari solitis, sive e collo suspendantur, sive quasi

(1) Historia Monogramma, sive Pictura linearis Sanctorum Medicorum et Medicarum, etc. Paris, ap. viduam V. Blageart, 1643. In-4° de 84 pages, p. 24. (2) Verdier, Jurispr. de la méd, en France, t. I, p. 184; L'Art méd.. t. I, p. 419.

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(3) Moreri, t. IV, p. 776; — Verdier. Essai, p. 30 et loc. cit., t. I. p. 186.

pericarpia admoveantur carpis, sive quasi anacollemata fronti imponantur, sive quomodò libet usurpentur, ad morbos percurandos; quod ferè fit a mulierculis, idiotis, imperitis ac superstitiosis; ac si characteribus, litteris, signaturis, et verbis insit vis, energia, facultasve aliqua ad sanandum; nullam me prorsùs habere fidem, ingenuè et palam profiteor,

>> Imò superstitiosa ejusmodi remedia, aliaque similia, et magica, tanquam vetita, frivola et ridicula nugamenta et deliramenta anicularum, dolos, præstigias, imposturas Agyrtarum, technas et sortilegia, impiorum illusiones, et decipulas cacodæmonum, quorum medicinæ sunt verba et characteres, ut syrupi et apozemata hominum, inquit impius ille et veræ philosophiæ, ac medicinæ ignarus, atque ciniflonum magister Paracelsus (1), eliminanda, prorsùsque rejicienda censeo, detestorque, cum Ecclesià Sanctâ Dei, Catholicâ, Apostolicâ et Romanâ, matre meâ, perpetuâ, in cujus sinu, sensu, fide,decretis, ego Guillelmus Du Val divinâ gratiâ adjutus, protestor, spondeo, voveo, coram Deo et angelis ejus, me toto vitæ meæ decursu, generosè constanterque permansurum, sicque moriturum. Faxit ipse Deus, ut etiam in gratiâ et charitate suâ, et proximi, sanctisque actibus veræ pœnitentiæ, virtutumque christianarum, vivam et moriar ! »

Cavaillon, le 19 juillet, fête de saint Vincent de Paul.

CH. RAVEL.

(1) Du Val condamne avec raison les erreurs que Paracelse a professées en religion. Reste réservé pour l'éclectique ce que Paracelse a fait de bon en thérapeutique et en matière médicale. (L'Art Méd., t. VI, p. 132.) Le médecin éclectique chrétien a présente à la pensée cette règle de l'apôtre saint Paul: OMNIA PROBATE, QUOD BONUM EST TENETE. (Ad Thessal., ép. I, ch. 5, v. 21. (Éprouvez tout, retenez ce qui est bon.)

LA LIBERTÉ DE DISCUSSION ET D'EXAMEN

DEVANT

LE CONGRÈS SCIENTIFIQUE de France.

La lettre suivante, que nous adresse, au moment où nous mettons sous presse, M. le D' LABORDERIE, de Limoges, est un témoignage de plus à enregistrer de la scandaleuse persécution que subit la liberté scientifique, au siècle des lumières, et dans notre beau pays de France. Espérons, pour l'honneur des représentants du Congrès, que les faits qui nous sont signalés ne resteront pas, s'il est possible, de sa part, sans quelques éclaircissements. En attendant, nous nous faisons un devoir de donner l'hospitalité de l'Art médical aux légitimes protestations de notre honorable confrère de Limoges. J. D.

A Monsieur DAVASSE, rédacteur en chef de l'Art Médical.

Monsieur et cher Confrère,

Vous n'avez pas seuls, à Paris, le privilége d'attirer les foudres du pouvoir médical; la province se fait la digne émule de la capitale, et Limoges n'a pas plus que vous à espérer du bon vouloir de ceux qui n'ont qu'un but maintenir leur ascendant, même au détriment de la vérité. Ils n'ignorent pas cependant, ces messieurs, que la lumière se fait souvent par le frottement, et que la vérité jaillit presque toujours de la discussion faite avec raison et conscience.

Mais à quoi bon leur parler de la sorte et leur rappeler les droits les plus légitimes en science? ils sont fanatisés soit par leurs idées et principes, soit par position, soit par parti pris. Or, le fanatisme n'a pas d'oreille pour ce qui est juste et droit. L'Art médical a-t-il pu se faire ouvrir les portes du temple scientifique, où trônent en maîtres les sommités

de l'École de médecine? l'Art médical a-t-il pu se faire discuter là où la discussion, dit-on, jouit de la plus grande liberté? A-t-il pu se faire entendre là où l'on soutient que toute opinion a le droit de se faire citer? A-t-il pu parler là où l'on prétend que chacun est libre de venir se défendre et se disculper? Que penser devant des faits de ce genre? Je laisse à chacun, en son intérieur, le soin de qualifier cette manière d'agir. — Ils ont donc un bandeau sur les yeux, tous ceux qui entrent dans le camp de l'intolérance, puisqu'ils ne voient pas ce qui crève les yeux de tout le monde? Et personne, chez eux, d'assez fort pour arracher et déchirer ce voile épais qui cache à la foule tant d'injustice et tant d'erreurs !

On dit, il est vrai (et j'aime à croire qu'on le pense), qu'en dehors de l'école il n'est point de salut, et qu'alors il est inutile de se créer de faciles triomphes et des victoires sans périls, partant sans mérite et sans gloire. Et puis, pourquoi se commettre avec ces hérétiques, qui sont assez hardis pour ne pas s'incliner servilement devant nos arrêts et nos croyances? De la sorte, tout apostolat est rendu facile et commode; il ne s'agit pas ici de risquer sa vie et sa liberté pour le triomphe de ses principes. Ils n'en valent donc pas la peine. Quant à moi, je crois plutôt que pour apprendre il faudrait travailler, et qu'en apprenant, on risquerait fort de ne plus tant haïr ce que l'on a tant d'intérêt à ignorer.

Mais un jour viendra où le pouvoir scientifique devra changer de mains il faudra bien alors, bon gré, mal gré, compter avec les idées nouvelles, qui, si elles ne font pas en ce temps-ci leur chemin dans le camp adverse, ne cessent pas de se propager de jour en jour en dehors des temples de la science officielle. Le moment vient donc où la vérité, après avoir envahi tout le reste, aura circonscrit le mal et l'erreur de telle sorte que, ce dernier laissé seul,il lui faudra bien mourir dans sa retraite. N'est-ce pas ainsi que toutes les grandes découvertes sont parvenues à se répandre pour le bonheur de l'humanité entière? N'est-ce pas ainsi que la circulation du sang a pu triompher des barrières presque insurmontables que l'Académie se plaisait à élever contre elle de tous côtés, et qui, en réalité, n'ont servi qu'à circonscrire le mal et à hâter la mortification? C'est ainsi encore qu'agit le chirurgien habile, dont tous les soins tendent à limiter la gangrène pour sauver la partie saine du membre. Ainsi se comporte la vérité : elle s'étend et grandit à côté de l'erreur; elle vivifie tout ce qui espère, et laisse se détacher ce qui a perdu tout espoir. Mais combjen de temps encore devons-nous attendre la mortification tant désirée, pour que la science sorte enfin de ces luttes hideuses et injustes qui donnent le frisson?

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