pour cela la publication du mémoire de M. Bouchut, et nous examinerons seulement le nervosisme à l'état chronique. M. Bouchut a constitué l'histoire du nervosisme avec les lambeaux de plusieurs maladies et, en particulier, avec des symptômes et des lésions appartenant à la chlorose, à l'hystérie et à l'hypochondrie. Pour cela il a été obligé de refaire arbitrairement l'histoire de ces maladies, et d'en retrancher, pour les besoins de son hypothèse, des symptômes, des lésions et des formes toute entière; ainsi, pour M. Bouchut, l'hystérie est réduite à sa forme convulsive, et la forme vaporeuse rentre tout entière dans le nervosisme. L'hypochondrie est encore plus maltraitée, et cette maladie est réduite à un seul symptôme la monomanie. M. Beau a démontré, avec beaucoup d'érudition et avec un grand sens, que c'était là de l'arbitraire, et que personne n'avait le droit de détruire des espèces morbides aussi naturelles que l'hystérie et l'hypochondrie, pour les remplacer par un état nerveux purement artificiel ; il a fait voir, en un mot, que le nervosisme ne reposait que sur une définition tronquée de l'hystérie et de l'hypochondrie, mais M. Beau n'a pas suffisamment indiqué le vice du raisonnement et d'observation sur lequel repose l'erreur de M. Bouchut et de la plupart des confusionistes en nosologie. Je retrouve, dit M. Bouchut, dans des histoires de maladies désignées sous les noms d'hystérie, d'hypochondrie, de chlorose, d'aliénation mentale, d'anémie, de syphilis larvée, un état nerveux qui offre constamment les mêmes caractères, et j'en conclus qu'il constitue une maladie à part, une névrose différente des autres névroses. Cette conclusion est fausse, parce qu'il ne suffit pas qu'un ensemble de symptômes et de lésions présente des caractères communs et constants pour constituer une maladie; il faut, de plus, qu'ils existe indépendamment de tout autre état morbide, mais c'est ce que M. Bouchut n'a pas démontré; au contraire, d'après les auteurs auxquels il emprunte ses observations, l'état nerveux se rencontrait avec l'hystérie, l'hypochondrie, la syphilis, la goutte ou une autre maladie. Nous ajouterons encore que ce vice de raisonnement repose sur un vice d'observation; en effet, l'état nerveux n'a pas seulement des caractères communs, il a surtout des caractères différentiels qui varient avec les maladies dont il est le symptôme. L'observation de ces caractères différentiels aurait conduit M. Bouchut à conclure que ces états divers ne constituent pas une maladie, mais un syndrome; et, au lieu de faire de mauvaise nosologie, il aurait pu écrire un très-utile chapitre de séméiotique, puisqu'à l'aide des différences que présente chaque état nerveux il aurait montré qu'on pouvait remonter à la maladie dont cet état est le symptôme. Il eût ainsi perfectionné le diagnostic différentiel de l'hypochondrie, de l'hystérie et des autres maladies dans lesquelles on observe un état nerveux. De même qu'avec les variétés d'anémie, on distingue entre elles la chlorose et les autres cachexies dans lesquelles il y a appauvrissement du sang. Nous croyons donc que la tentative de M. Bouchut est mauvaise, principalement parce qu'elle est dirigée contre la doctrine des espèces morbides naturelles, c'est-à-dire contre la seule base positive de la médecine pratique. Mémoire sur un point relatif à l'histoire de la cirrhose. Sous ce titre M. Sappey a fait à l'Académie une communication fort intéressante sur l'existence de veines-portes accessoires, et sur le rôle de ces veines dans le développement d'une circulation supplémentaire, lorsque les radicules de la veine-porte sont oblitérées. Ces veines-portes accessoires siégent principalement dans l'épaisseur de l'épiploon-gastro-hépatique, sur le pourtour de la grosse extrémité de la vésicule biliaire, dans la partie du ligament suspenseur qui unit la face convexe du foie au diaphragme; d'autres naissent de toute l'étendue de la portion. sus-ombilicale de la ligne blanche, et, parmi ces derniers, il en est une plus considérable que les autres, qui suit le même trajet que le cordon fibreux de la veine ombilicale. Lorsque, à la suite de la cirrhose, les capillaires hépatiques de la veineporte sont oblitérés, ces veines accessoires se dilatent et ramènent le sang dans la veine iliaque. Cette dilatation anormale produit des tumeurs variqueuses parfois fort volumineuses, et sont le siége d'un frémissement sensible à la main et au stéthoscope. Cette circulation supplémentaire empêche, lorsqu'elle est très-développée, la formation des hydropisies qui accompagnent habituellement la cirrhose. Voici, du reste, les conclusions qui terminent le mémoire de M. Sappey : Des faits et considérations qui précèdent, je pense pouvoir conclure : >> 1° Qu'il n'existe aucun fait bien authentique de persistance de la veine ombilicale chez l'adulte, et que tous les faits qui ont été considérés comme attestant cette persistance doivent être considérés, au contraire, comme autant d'exemples de dilatation avec hypertrophie de l'une des veinules comprises dans le ligament suspenseur du foie; » 2° Que cette veinule, en se dilatant et s'hypertrophiant, amène la dilatation et l'hypertrophie des veines avec lesquelles elle s'anastomose, et devient ainsi le point de départ d'une grande voie dérivative qui s'étend du sinus de la veine-porte vers la veine principale du membre inférieur ; » 3° Que cette voie dérivative est parcourue par le sang de haut en bas, et non de bas en haut, ainsi que l'avaient pensé et le pensent encore tous les auteurs; » 4° Qu'elle peut suivre, tantôt les veines aponevrotiques et tantôt les veines sous-cutanées de l'abdomen; que, dans le premier cas, il ne se développe sur son trajet ni varices ni tumeurs variqueuses; que dans le second, au contraire, on voit presque toujours une ou plusieurs de ces tumeurs se produire; » 5° Que le courant veineux dirigé du foie vers la veine crurale accuse sa présence par un frémissement perceptible à la main, et par un murmure continu perceptible, au stethoscope; >> 6° Enfin que l'existence de ce courant peut être considérée, dans la très-grande majorité des cas, comme un symptôme de la cirrhose du foie, et que ce symptôme, bien qu'il accuse toujours une cirrhose ancienne et incurable, doit être accueilli cependant comme un signe favorable, puisqu'il écarte la crainte d'une hydropisie abdominale. » Gaz. méd. 1859, p. 492. Le grand débat qui signala le commencement de ce siècle et qui se termina par la fusion des fièvres en une seule unité morbide, et par la constitution définitive de la fièvre typhoïde, devint l'occasion de nouvelles et plus fâcheuses substitutions. La secte des prétendus observateurs et des statisticiens, l'école du bon sens (1), ne craignirent pas de s'attribuer l'honneur d'avoir résolu le difficile problème des fièvres (2), sans faire la plus modeste part à l'homme de génie qui, le premier, eut une idée nette de la vérité et la signala, en l'exagérant, il est vrai, à ses contemporains. Tout en voulant rendre à chacun ce qui lui appartient, (1) C'est ainsi que M. Chomel qualifie son école et par extension l'enseignement de la Faculté de Paris de son temps. (Pathol. gén, dernière édition.) (2) M. Valleix (Union médicale, 1849), M. Grisolles (Discours d'ouverture de la Faculté de médecine, 1858-59), s'efforcent vainement de rapporter tout l'honneur de cette découverte et de cette réforme, le premier à M. Louis, le second à MM. Chomel et Louis. nous ne nous faisons aucune illusion sur Broussais ni sur sa médecine prétendue physiologique. Admirablement organisé pour la lutte et pour la discussion, l'illustre auteur des phlegmasies chroniques a peut-être plus détruit qu'il n'a édifié. Sans doute, il a rompu avec la tradition lorsqu'il n'aurait dû rompre qu'avec les erreurs de la médecine; sans doute, il est le père de l'organicisme moderne, et l'un des patrons du matérialisme scientifique; sans doute, ses amères critiques ont fourni trop d'armes au scepticisme médical; sans doute, il a eu le tort de réduire toutes les maladies à une cause hypothétique: l'irritation, à une lésion: l'inflammation, et la thérapeutique à la méthode des émissions sanguines; mais, enfin, il a remarquablement contribué à résoudre la question des fièvres, en substituant au chaos qui régnait à son époque, et qu'avait encore augmenté l'absurde nosographie de Pinel, l'idée d'une maladie unique et d'une altération pathologique toujours la même dans sa nature et dans son siége. C'était trop de réduire toutes les fièvres à une seule maladie (1); c'était trop de n'y voir qu'un mouvement fébrile symptomatique d'une inflammation de l'intestin; mais c'était singulièrement préparer le terrain, avancer la question et en faciliter la solution. Broussais ne pouvait déterminer la nature des fièvres que d'après les idées de son temps, c'est-à-dire d'après le siége de leur lésion caractéristique. C'était là tout ce qu'on cherchait, et il faut convenir, surtout quand on se rappelle ce que Pinel avait fait de cette question et comment il avait localisé les fièvres, que, sous ce rapport, Broussais a, plus que personne, éclairci le problème des fièvres en montrant du doigt le siége constant et la nature inflammatoire de la lésion caractéristique. Réduire donc la plupart des fièvres à une affection locale commune, substituer une lésion réelle et unique aux localisations arbitraires et fausses de Pinel, c'était s'approcher bien près (1) Puisque indépendamment de la fièvre typhoïde, il existe deux autres fièvres continues: l'éphémère et la synoque, sans parler des fièvres intermittentes et des fièvres éruptives. |