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SUPPLÉMENT DE L'ART MÉDICAL.

INTRODUCTION

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Le premier remède à nos maux, à cet abaissement continu de la médecine comme science, comme art et comme profession, qui nous désɔle ainsi que la plupart de nos confrères, est un retour sérieux à la science traditionnelle, à la scolastique, cette vaste encyclopédie qui, des vérités divines les plus hautes, descend logiquement jusqu'aux dernières vérités d'observation et d'expérience. Hippocrate avait basé la médecine sur la théologie naturelle de son temps, et c'est ainsi qu'il constitua une doctrine durable. Suivons donc l'exemple d'Hippocrate, en choisissant pour point de départ la vérité, la science chrétienne, immuable dans ses principes, mais éminemment progressive dans ses conséquences.

Plusieurs de nos lecteurs peuvent ignorer ce que c'est que la scolastique; d'autres peuvent et même doivent avoir des préjugés contre elle; en effet, depuis plus de trois siècles les philosophes travaillent à la faire mépriser. Nous saisissons donc avec empressement l'occasion de leur en donner une idée saine et de leur montrer les tendances communes à l'union et à l'unité. Le travail suivant du R. P. Ramière n'a pas besoin de nos éloges; il produira sur l'esprit de nos lecteurs l'impression que nous désirons.

J. P. TESSIER.

DE LA

THEOLOGIE SCOLASTIQUE

Parmi toutes les institutions qui sont nées du souffle fécond de l'Église catholique, il n'en est aucune qui ait subi d'une manière plus éclatante que la théologie scolastique cette loi providentielle qui soumet l'Épouse de Jésus-Christ et tout ce qui lui appartient à être, comme son divin Époux, un signe de contradiction, et à recevoir, dans son passage à travers les générations humaines, le choc des appréciations les plus opposées et des sentiments les plus contraires. Où trouver, en effet, une institution qui ait été l'objet d'une admiration plus enthousiaste, qui ait passionné à un plus haut degré les individus, les peuples, l'Europe entière? Mais aussi où en trouver une sur laquelle on ait déversé un plus insultant mépris, et qui ait été plus hautement accusée de rétrécir et de dégrader l'esprit humain?

Ce qu'il y a de plus étrange, c'est que les violentes attaques dont, depuis bientôt quatre siècles, la théologie scolastique est l'objet, sont parties des camps les plus opposés. Que les ennernis de l'Église aient déchaîné toutes leurs fureurs contre l'arsenal où les défenseurs de l'Église trouvent leurs moyens de défense, rien de plus naturel; et ce n'est pas là le genre d'attaques qui eût pu nuire beaucoup à la scolastique. Les révoltantes insultes dont Wiclef, Luther, Calvin, Mélanchthon, Jansénius, tous les hérétiques, en un mot, et après eux tous les incrédules, leurs légitimes héritiers, l'ont accablée, sont au contraire un de ses plus beaux titres de gloire; et je ne sais si elle peut invoquer, pour démontrer son utilité, un argument plus décisif que ce concert de haines de la part de tous ceux qui ont haï la vérité catholique.

Mais ce qui ne se comprend pas, c'est que, dans ce concert de reproches et d'injures, la voix d'un grand nombre de catholiques sincères

se soit mêlée à la voix des hérétiques et des incrédules; c'est que, sans égard pour les services incontestables que la théologie scolastique a rendus à l'Église, et pour la reconnaissance et l'estime dont l'Église a entouré ses plus éminents docteurs, ils se soient obstinés à ne voir que ses défauts, et se soient persuadé qu'ils ne pouvaient rendre de meilleur service à la vérité qu'en se liguant avec tous ses ennemis, pour détruire un de ses principaux boulevards. Parce que la théologie scolastique, comme les meilleures et les plus saintes choses, avait été sujette à plus d'un abus; parce que, arrêtée dans son développement, elle n'avait pu se dépouiller de toutes les imperfections qu'elle avait dû contracter dans les siècles où elle naquit; parce que, semblable à toutes les sciences, elle enveloppait ses enseignements de termes et de formules intelligibles pour les seuls initiés, on s'est cru autorisé à confondre dans. une même condamnation les formules et les doctrines, les imperfections et les avantages, à répudier à la fois les abus accidentels et les trésors amassés par les siècles, à renverser de fond en comble les constructions si solides, si régulières dont il nous eût été si facile de remplir les lacunes, pour établir sur des fondements plus complets l'édifice de la science chrétienne.

Grâces à Dieu, nous sommes bien revenus de cette illusion funeste. Le temps n'est plus, quoiqu'il ne soit pas encore bien éloigné de nous, où la fraction la plus brillante et la plus active du jeune clergé faisait parade de son dédain pour la théologie scolastique. Les hommes d'avenir que Dieu suscite parmi nous ont cessé de se faire gloire d'un profond mépris pour le passé; ils comprennent que l'œuvre de Dieu est l'œuvre des siècles, et que, pour avoir l'honneur d'y travailler avec fruit, il faut se mettre à l'école des ouvriers qui l'ont poursuivie avant nous. De là un retour bien caractérisé et bien consolant vers les travaux de la scolastique. Après avoir laissé languir longtemps dans la poussière la Somme de saint Thomas, voilà qu'on s'est remis à l'étudier sérieusement; et, à mesure qu'on la comprend mieux, on l'admire davantage; aussi les éditions se sont-elles multipliées et ont-elles eu de la peine à satisfaire à l'avidité des acheteurs. On a pu tenter simultanément deux éditions des œuvres complètes de Suarez, gigantesque recueil qui renferme une encyclopédie complète et raisonnée de la philosophie et de la théologie scolastiques. Il a fallu même, pour satisfaire l'impatience de ceux qui voulaient connaître la doctrine de saint Thomas et qui n'avaient pas le temps d'apprendre sa langue, traduire en français son intraduisible chef-d'œuvre.

Notre but, dans ce travail, est de favoriser et d'éclairer tout à la fois ce

mouvement si consolant de retour vers un passé glorieux. Nous envisageons d'abord la théologie scolastique en elle-même, c'est-à-dire dans sa nature, ses causes, sa destination providentielle; nous nous efforcerons d'en donner une notion exacte à ceux qui ne la connaissent que vaguenent par les insultes de ses ennemis, ou peut-être par les éloges plus chaleureux que raisonnés de ses admirateurs. Ensuite nous en inquerons les principaux avantages; enfin nous pèserons la valeur des reproches qui lui ont été adressés, et, tout en réfutant les accusations injustes, nous signalerons les abus auxquels elle n'a pu échapper, et les lacunes qu'il faut nous efforcer de remplir, pour donner à la première de toutes les sciences la perfection dont elle est susceptible.

§ Ier

LA THÉOLOGIE SCOLASTIQUE ENVISAGÉE EN ELLE-MÊME.

I

Qu'est-ce donc que la théologie scolastique? On peut la définir en deux mots: la science de la révélation. C'est encore, si l'on veut, la philosophie de la foi; c'est le résultat du travail que l'esprit humain fait nécessairement subir aux dogmes qui sont proposés à sa croyance, pour arriver à comprendre, autant qu'il en est capable, tout ce que ces dogmes lui offrent de vérité; c'est enfin, pour nous servir de la belle définition de saint Anselme, qui convient bien mieux à la théologie qu'à la philosophie, à laquelle on l'applique d'ordinaire, c'est la foi poursuivant l'intelligence, pour contracter avec elle une féconde union: Fides quærens intellectum.

Dira-t-on que les termes de ces différentes définitions se repoussent les uns les autres; que la foi, qui est essentiellement aveugle, exclut l'intelligence, et que la révélation, qui n'a pour but que de captiver l'esprit, ne saurait être l'objet d'une science? Ce serait montrer qu'on ne comprend ni la nature de la foi, ni celle de l'esprit humain, auquel la révélation s'adresse, ni les desseins de Dieu, qui fournit à sa créature raisonnable ce flambeau bienfaisant pour la conduire à sa fin.

C'est en effet se faire une étrange idée de la sagesse de Dieu que supposer que, lorsqu'il juge à propos de révéler certaines vérités à une créature qu'il a douée de raison, il veut que cette créature répète machinalement et sans la comprendre l'affirmation divine. Une pareille adhésion, dénuée de toute intelligence, ne serait plus un acte humain;

ce ne serait plus par conséquent un acte de vertu; et la vérité ainsi acceptée ne serait plus reconnue comme vérité.

Dieu veut sans doute, et il en a bien le droit, que, lorsqu'il parle, sa parole soit reçue avec une soumission absolue, que la raison créée s'abaisse devant sa raison souveraine, et donne à ses affirmations, même les plus obscures, une adhésion exempte de tout doute volontaire. Mais c'est à l'intelligence et non aux lèvres, ou même simplement à la volonté, qu'il demande cette adhésion. La foi n'est donc pas tellement aveugle qu'elle ne soit souverainement raisonnable. Elle est aveugle en ce sens qu'elle affirme la connexion de deux idées, non en vertu de l'évidence qu'elle a de leur rapport mais en vertu de l'autorité de Dieu, qui l'affirme le premier; mais elle est intelligente et raisonnable en ce sens qu'elle perçoit tout à la fois et les idées qui sont comme la matière de son affirmation, et le motif souverainement légitime d'affirmer la connexion de ces idées, à savoir l'autorité infaillible de Dieu.

II

L'intelligence a donc une large part dans l'acte de foi lui-même; mais là ne se bornent pas ses attributions par rapport aux dogmes révélés. Ce trésor une fois reçu dans l'âme par l'humble adhésion de la foi, il appartient à la raison de l'exploiter par le double procédé d'analyse et de synthèse qui constitue sa vie propre, et par lequel seul elle entre en jouissance des vérités qu'elle possède.

Il y a sous ce rapport une parfaite analogie entre les vérités de l'ordre naturel et les vérités de l'ordre surnaturel. Essentiellement différentes par leur origine et par le mode par lequel l'homme arrive à les connaître, elles sont soumises aux mêmes lois quand elles entrent dans le domaine de l'intelligence. Ce sont deux rayons partis de foyers bien différents, mais réfractés de la même manière en passant par un même milieu. Dans l'ordre naturel aussi, l'intelligence prend possession de la vérité par les affirmations; elle la saisit par le sens intime ou les sens extérieurs sous la forme de faits. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner si, antérieurement à l'appréhension de ces faits, l'intelligence ne doit pas être munie d'une ou plusieurs idées qui lui permettent de saisir d'une manière générale ce que les sens ne perçoivent que d'une manière particulière; ce qui est certain, c'est que ces idées ne deviennent réfléchies et ne commencent à se développer que lorsqu'elles s'appliquen aux faits saisis par les sens. Ainsi restreint aux idées réfléchies, qui seule

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