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il se demandait si l'on ne choisissait pas les malades qui offraient le plus de chances, en abandonnant les autres, et si ce n'était pas le secret de ces statistiques si favorables. Pour moi, je pense qu'il y a une autre cause, que j'ai dite; mais il se pourrait bien que le triage des sujets y ait aussi sa part. Car savez-vous ce qui fut répondu par M. Gillette, l'un des chefs de service de l'hôpital des Enfants?

« Je regrette que M. Barthez semble soulever une opposition entre la manière de faire dans les deux hôpitaux d'enfants, relativement à la trachéotomie; il faudrait mettre cette question de côté. »

Et en effet, messieurs, la question a été mise de côté. Mais que dirai-je à mon tour d'une pareille réponse: Il faut mettre cette question de côté? Et pourquoi donc ces réticences, et à qui donc peuvent-elles servir? Ce n'est pas aux malades, sans doute; ce n'est pas non plus à la science. Il faut poser bien haut cette question, et demander qu'elle soit résolue. Ainsi que le disait si judicieusement M. Barthez, il y a deux façons d'envisager et de pratiquer la trachéotomie : l'une au profit de la statistique, et afin d'avoir une plus grande proportion de succès; l'autre au profit des malades; et alors on les opère tant qu'il leur reste quelques chances, si faibles que soient ces chances, et assurément au détriment de la statistique. C'est la règle que doit suivre tout chirurgien consciencieux, c'est la règle que nous suivons en ville, et, je le répète, il se pourrait bien que cela expliquât aussi en partie la proportion plus grande de nos revers. S'il en était ainsi, messieurs, si, sans contre-indication formelle et absolue, uniquement pour la plus grande gloire de la statistique on refusait le bénéfice de l'opération à des malades trop compromis, ah! vos succès seraient achetés trop cher; et je répéterais encore une fois : Caveant consules!

J'ai dû signaler ce point; comme vous voyez, il a son importance; mais enfin, c'est une pratique qui n'a jamais osé s'ériger en doctrine, et ce sont surtout les doctrines que je combats. Pour en finir avec celle de M. Trousseau, il me reste à examiner les raisons sur lesquelles il s'appuie afin que le débat soit complet...

M. Bouvier a essayé de répondre aux graves accusations portées par M. Malgaigne contre la pratique de l'hôpital des Enfants, mais nous n'avons pas trouvé qu'il ait réussi. Et d'abord, l'accusation d'opérations prématurées ne peut pas être réfutée, puisqu'elle repose sur l'analyse des observations publiées et qu'elle est corroborée par les honorables aveux de

M. Sée. Les nombreuses lettres citées par M. Bouvier et les très-courts extraits d'observations qu'il oppose à M. Malgaigne prouvent seulement que les opérations de la trachéotomic n'ont pas été toutes prématurées, mais elles ne prouvent pas qu'il n'y en ait pas eu un certain nombre, et c'est là tout ce que M. Malgaigne a prétendu prouver.

Quant à la seconde accusation, celle de laisser mourir les malades trop avancés, afin de ne pas avoir des statistiques compromettantes, nous comprenons qu'elle ait été repoussée avec énergie par M. Bouvier. Mais les protestations et les preuves dont il a essayé de les appuyer ne peuvent effacer complétement l'effet produit par les paroles de M. Barthez et par celles de M. Bouvier lui-même.

Conclusion. La trachéotomie répond à l'asphyxie causée par un obstacle mécanique au passage de l'air à travers la glotte. Opérer avant que le signe de cette asphyxie soit manifeste, c'est s'exposer à faire inutilement une opération dangereuse ; ne pas opérer quand les signes de cette asphyxie sont évidents, c'est priver les malades d'un secours puissant, et souvent du seul secours qui puisse les arracher à la mort.

P. JOUSSET.

CORRESPONDANCE.

Nous insérons avec plaisir, à titre de document sur le traitement du croup, la lettre suivante qui nous est adressée par M. le docteur Lecorney, d'Alençon :

Monsieur le rédacteur,

L'espèce d'enquête ouverte sur le traitement médical du croup me porte à vous adresser la petite note suivante, qui vous paraîtra peut-être digne de quelque attention.

J'avais lu dans Hahnemann (Organon, 3° édit., p. 88), et ce remède avait été, d'ailleurs, vanté en dehors de l'école hahnemanienne, que le foie de soufre jouit d'une grande efficacité dans le croup. Ce n'est cependant qu'après avoir employé pendant

plusieurs années les traitements plus usités, y compris la trachéotomie, que je suis arrivé à l'emploi du médicament indiqué. J'en ai éprouvé dans deux cas récents un si bon résultat, que, quelque misérable que soit le nombre de deux cas, je vous le signale, cependant, quand surtout il s'agit non de préconiser un remède nouveau, mais de rappeler l'attention sur un remède autrefois éprouvé.

OBS. 1. Dans les premiers jours de décembre 1858, je suis mandé auprès d'un garçon âgé de deux ans. Depuis plusieurs jours, il toussait de cette toux sonore, aboyante, qui appartient à la première période du croup. Je le trouve étendu sur les genoux de sa mère, le cou tendu, le facies anxieux; la respiration est fortement sifflante dans ses deux temps; la voix est éteinte, la toux et le cri insonores. Plusieurs accès de suffocation ont déjà eu lieu, dans lesquels l'enfant se jette sur son séant, se débattant et s'accrochant à sa mère. Une fausse membrane blanche existe sur l'amygdale gauche. Je passe deux jours à prescrire les vomitifs d'abord tartre stibié avec ipécacuanha, sulfate de cuivre jusqu'à 1 gramme, qui font à peine vomir; - le bromure de potassium, le bicarbonate de soude, les frictions avec l'onguent napolitain sur le cou, avec l'huile de croton-tiglium sur la poitrine. Aucune amélioration ne se produisait; au contraire, les accès de suffocation se répétaient plus menaçants; l'enfant, vivait, c'était tout.

J'arrivai au foie de soufre: 10 centigrammes dans 90 grammes d'émulsion consistante d'amandes douces et amères ; une cuillerée à café toutes les heures. Cette lotion terminée, l'enfant me parut mieux; je renouvelai la prescription; bref, après trois jours de l'emploi du médicament, il était hors de danger quant au croup. Survint une pneumonie lobaire, qui fut traitée par les vésicatoires volants. L'enfant a guéri, conservant pendant quelques semaines une aphonie complète.

OBS. I. Peu de temps après, je fus appelé auprès d'un autre garçon, à peu près du même âge, offrant également tous les symptômes du croup arrivé à sa seconde période : sifflement laryngo-trachéal continu, toux et voix éteintes, accès de suffocation. Il avait été porté à l'hôpital, où l'on avait prescrit un vomitif. Des vomissements assez répétés n'avaient produit aucun soulagement. J'ordonnai d'emblée le foie de soufre, recommandant cependant à la mère de faire tousser de nouveau l'enfant s'il paraissait sur le point d'étouffer. C'était le soir; je le revis le lendemain matin, et je constatai sur l'amygdale droite la présence d'une petite fausse membrane blanche que je cautérisai avec la pierre infernale. Plusieurs accès de suffocation avaient eu lieu la nuit, et la mère avait fait vomir deux fois le petit malade.- Continuer le foie de soufre, laisser les vomitifs. Le lendemain, la respiration était plus

libre, moins sifflante; les accès de suffocation avaient été plus légers et plus rares.

Après un troisième et un quatrième jour du même traitement, l'enfant était hors de danger. Comme le précédent, il demeura aphone durant plusieurs semaines. Quelques cuillerées de potion vomitive sont un moyen si universellement inefficace dans les cas confirmés, que la guérison me paraît bien devoir être attribuée au foie de soufre.

J'ai vu depuis que c'est le foie de soufre calcaire que recommande Hahnemann, tandis que c'est le polysulfure de potassium que j'ai employé. Je ne citerai que pour mémoire un troisième cas de guérison, par le même remède, d'une suffocation d'apparence croupale, mais tenant à une inflammation des ganglions bronchiques (avec compression probable des nerfs récurrents) chez un enfant de quatre ans mort plus tard du carreau.

Je sais qu'un même remède ne convient pas à tous les cas de la même maladie, cette maladie fût-elle, comme le croup, presque constamment semblable à elle-même; qu'il faut une exacte appropriation du remède au mal, variable suivant les sujets, les phases, les heures. J'ajouterai que dans les cas cidessus l'angine était peu de chose, le croup presque tout; que, quoique nous eussions à la même époque une épidémie d'angines couenneuses signalée par quelques cas d'une extrême gravité, la maladie était généralement bénigne et l'affection discrète. Ces remarques faites, voyez, monsieur le rédacteur, s'il reste encore quelque intérêt à ces deux observations. J'ai l'honneur d'être, monsieur le rédacteur, votre trèshumble et très-dévoué serviteur, V. LECORNEY.

Alençon, 19 avril.

ASCLEPIADE, DE BITHYNIE

A-t-il conseillé l'excision des amygdales dans l'esquinancie?

J'ai rencontré dernièrement dans l'Histoire de la Médecine, de Sprengel (VII, 340), les lignes suivantes qui frappèrent mon attention, éveillée déjà par l'une des communications que M. le docteur Bouchut venait de faire à l'Académie des sciences. (L'Art Médical, VIII, 421.)

« Asclepiade de Bithynie, dit Sprengel, recommande d'ou

vrir les veines sous la langue, dans l'angine; mais lorsque le mal est plus violent, on doit scarifier le palais et les amygdales, opération qu'il appelait homoiotomie. On peut conclure de là qu'il excisait alors la portion saillante des tonsilles. » Cette conclusion me conduisit à faire quelques recherches que j'exposerai le plus brièvement possible.

Citons d'abord un passage de Cælius Aurelianus, qui, seul, peut nous permettre de résoudre cette question.

« At si major (inquit [Asclepiades]) passio [synanche] fuerit, dividendæ (1) sunt fauces, hoc est tonsillæ, et partes supra uvam constitutæ ; etenim summa (2) est in his æqualis sive par incisura, quam appellavit homoiotoimam (3) (Acut, Morb., 1. III, c. 4, § 35, éd. Ammann. Amsterd., 1722, 4, p. 193). La difficulté réside dans le mot dividendæ : faut-il traduire ce mot par scarifier ou par exciser ? Cælius Aurelianus va nous le dire. Quelques lignes plus haut (§ 32, p. 192), l'interprète de la secte des Méthodiques, parlant du traitement que Praxagore employait contre l'esquinancie, ajoute « Tunc uvam præcidit, vel aliquando dividit. » Ainsi le mot præcidit (il enlève) est ici opposé au mot dividit, (il scarifie) [la luette]. Almelowen (Lexicon Cælianum, 613), Ammann interprètent les mots dividit, dividendæ, par ceux de scarificat, scarificandæ Si j'interroge les historiens de la médecine, je constate que Daniel Leclerc, Schulze, Dujardin, Haller, Guimpert (Asclepiadis Bithyni Fragmenta, 161), A. J. L. Jourdan, Gasté et Tourtelle disent qu'Asclepiade scarifiait les amygdales; mais aucun d'eux ne prête au médecin de Prusa en Bithynie l'idée d'avoir proposé l'excision des amygdales comme remède de l'esquinancie. Sprengel est le seul historien qui ait hasardé cette interprétation.

Quant à l'amputation des amygdales qu'un chirurgien des hôpitaux de Paris, en 1852, a proposé de pratiquer dans le cours même de l'angine tonsillaire aiguë, on peut lire dans le (1) Scarificandæ. — (2) Summi auxilii. — (3) Homoiotomam. (Ammann.)

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